Apprendre à aimer entre 8 et 12 ans
- Zélie
- 20 mai
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Entre l’âge de raison et le début de l’adolescence, l’enfant vit une période charnière. C’est un moment précieux pour l’accompagner et l’éduquer dans sa croissance affective, relationnelle et sexuelle. Voici quelques conseils pour adopter à son égard une attitude d’affection, de vérité et de confiance, avec Valérie Ternynck, thérapeute, conseillère conjugale et familiale, fondatrice de « Parlez-moi d’amour ».
Zélie : D’un point de vue général, quels sont les enjeux principaux de l’éducation affective, relationnelle et sexuelle de l’enfant de 8 à 12 ans ?
Valérie Ternynck : Je pense que le premier enjeu est de se connecter régulièrement à la beauté de son cœur profond, son l’élan de vérité, du bien et du beau. Le deuxième enjeu est que l’enfant repère les différentes dimensions de sa personne : son corps, sa sensibilité, son intelligence et son âme. Toutes sont essentielles et doivent être concertées à chaque choix de la vie afin de rester équilibré et dans le réel.
Enfin, il est important qu’il ait une juste idée de la relation à l’autre, du don, tout en préservant son intimité ; c’est-à-dire qu’il apprenne à faire des choix cohérents, de vrais oui, de vrais non. Pour éveiller cette conscience-là, on peut lui demander : « En faisant tel choix, quelles conséquences pourraient arriver, dans 3 jours, 3 semaines, 3 ans, 30 ans ? »
Pourriez-vous nous donner quelques moyens concrets d’aider l’enfant à avoir une bonne estime de soi ?
Entre 8 et 12 ans, il est bon d’apprendre à se connaître, avant les turbulences de l’adolescence. L’enfant peut déjà prendre conscience de son corps et de sa signification. Il peut repérer les parties de son corps dont il est fier ou bien d’autres qu’il peut déprécier, et pourquoi. Favoriser l’expression sur ce sujet est juste. L’aider à exprimer, avec justesse, ses émotions, sa colère, sa tristesse, sa peur, sa joie. L’aider aussi à repérer ses besoins : a-t-il eu besoin d’être protégé, d’être écouté ou consolé, d’être respecté ? Prendre conscience du respect et de l’amour que les personnes autour de lui manifestent, celles vers qui il peut se tourner, rassure et fait grandir.
Autre piste : l’aider à identifier les valeurs auxquelles il tient, pour qu’il ne s’en éloigne pas : par exemple, l’honnêteté, le courage, la droiture, la franchise, l’amitié, etc. Il peut se rappeler un fait concret, quelque chose dont il est fier, qui lui a permis de sortir de lui-même pour pouvoir se donner : « Monter la valise d’une vieille dame en haut de l’escalier d’une gare ». Cela sera son ancrage pour continuer à avancer dans le réel. Éviter de se concentrer sur les échecs, cultiver l’humour de soi, valoriser ce qui est bon et avoir la certitude que dans son cœur profond il est et restera toujours une belle personne, lui permettront de croire en lui.
Comment bâtir de bonnes amitiés, fondées sur le respect ?
Il existe trois sortes d’amitiés chez Aristote. L’amitié utile : « Il sera mon ami, ainsi je pourrai être invité chaque année, à son anniversaire. » L’amitié agréable : « M’accompagnerais-tu dans cette aventure ? J’ai un peu peur de la vivre seul, j’ai besoin de toi car c’est dangereux. »
Ces deux exemples ne relèvent évidemment pas d’une véritable amitié, contrairement à l’amitié bienveillante, qui veut le bien de l’autre : « Cette expérience est trop dangereuse, j’ai peur qu’il t’arrive quelque chose, tant pis si je parais rabat-joie, je tiens à toi, je te propose un autre projet. » Un exemple personnel : mon aîné de 4 mois ne tenait pas bien sa tête. Personne n’osait m’en parler. Une amie bienveillante est venue me dire la vérité, elle a sauvé mon enfant.
En primaire, nos enfants n’ont peut être pas encore de véritables amis, mais quand on leur en parle, ils comprennent facilement la beauté et la valeur de l’amitié bienveillante.
Comment expliquer à l’enfant, à cet âge-là, ce qu’est être amoureux ?
Quand nous sommes parents, nous ne sommes pas forcément à l’aise sur ce sujet. On peut vite conclure en disant par exemple : « Impossible, on ne peut pas être amoureux à ton âge ! » En réalité, être amoureux est une notion très belle. C’est se sentir attiré, cela rend vivant et joyeux ! L’amour entre deux personnes commence par le désir amoureux. Cela entraîne au don de soi.
Il y a peu de temps, j’ai rencontré un enfant de CM2 qui semblait vraiment amoureux dans son cœur. Il a fallu écouter respectueusement ce qu’il avait à dire, le prendre au sérieux. Nous en avons convenu tous les deux que ce sentiment était vrai et beau mais qu’il était lourd pour ses épaules. Le taire et le garder au fond de son cœur était peut être mieux, par respect pour l’autre. Cela préserve le lien. Apprendre à aimer est une notion qui demande du temps et de la maturité.
Pourtant, est-ce que le sentiment amoureux, qui est une attirance du cœur mais aussi du corps, n’est pas impossible avant la puberté ?
Je pense que cela peut être un attrait du cœur. Un enfant me demandait chaque jour, lors d’une retraite : « Peut-on se mettre encore à la table de cette dame ? Je la trouve si jolie ! » Être amoureux peut être un attrait pour la beauté. Si on affirme à son enfant qu’il ne peut pas l’être alors qu’il ressent le contraire, il peut perdre confiance, ne pas se sentir respecté ni écouté, se renfermer et ne plus vouloir aborder ce sujet avec ses parents.
Comment expliquer la relation sexuelle à l’enfant de 8 à 12 ans ?
Là aussi, il est bon de quitter nos peurs pour parler du beau. On peut lui dire que la relation sexuelle est le langage d’amour le plus beau, quand il se vit dans le respect, la réciprocité, l’amour et le don. Ce n’est pas souvent l’image véhiculé par son entourage.
Oui, on peut déjà lui expliquer les différentes étapes de la maturité pour vivre un jour sa sexualité. Celles-ci commencent par l’amitié bienveillante car dans les yeux de mes amis, je me rends compte que je pourrai être un cadeau pour quelqu’un. Il faut s’aimer soi, avant de pouvoir aimer l’autre. Ensuite, on peut tomber amoureux, cela ne suffira pas pour aimer. C’est une belle période d’idéalisation où on ressent beaucoup de désir. Puis viendra enfin l’Amour, je choisirai et m’engagerai ; en italien, on dit : « Ti voglio bene », cela signifie : « Je te veux du bien, je veux ton bonheur et je me donne à toi dans le bonheur comme dans l’épreuve ! »
L’enfant comprend alors combien aimer avec tout son être demande un apprentissage, comprend dans son cœur l’importance de ne pas brûler ses étapes. Il est bon de s’y préparer en apprenant à donner.
Quel conseil donner à l’enfant à propos de paroles crues qu’il va entendre, et peut-être dire ?
On va entendre de notre enfant des paroles qui nous choquent. Leur langage pour parler d’amour est devenu technique. Or, ces mots crus ne viennent pas de lui, mais de paroles qu’il a entendues, via ses copains ou les réseaux sociaux. Cela ne reflète pas son cœur. Je suis allée dans des prisons de jeunes mineurs (13-17 ans) ; j’ai pu voir la beauté de leur cœur, des larmes coulaient de leurs yeux, pourtant leur langage était on ne peut plus cru.
Les questions actuelles - « Est-ce qu’on doit vivre des préliminaires ? », « Est-ce qu’on est obligé de... ? » ou « Est-ce qu’il faut... ? » - sont contraires à une démarche de liberté intérieure. Si l’enfant nous surprend par ses mots, ses injonctions, devenons compatissants et écoutons sans juger : il a besoin d’aide ! Allons voir ce qui se cache derrière, dans son cœur !
Si l’enfant a entendu des propos choquants, on peut aussi lui suggérer : « Est-ce que cela te dit qu’on prenne un petit temps pour que tu me dises ce que tu as entendu et pourquoi tu es gêné, et comment mettre des mots plus doux ? » Cela va lui permettre de s’exprimer. L’idée n’est pas de lui dire ce qu’il doit penser, mais lui apprendre à penser en amont, pour savoir le faire quand il sera loin de nous : « Dans cette situation, tu ferais quoi ? »
De quelle façon faire de la prévention au sujet de la pornographie ?
En parler en amont est primordial. On peut peut-être lui expliquer les conséquences : fausse image de la sexualité, manque de liberté, perte du désir... Étonnamment, les garçons adolescents semblent plus conscients des méfaits de la pornographie que les filles, qui en regardent aussi, mais ne le disent pas.
Je disais à un enfant de CM2 : « Au collège, tu vas arriver dans la cour des grands. On va peut-être mettre devant tes yeux un écran, avec de mauvaises images. Il vaut mieux que tu fermes vite tes yeux. En effet, une image vaut mille mots. On peut être en état de sidération, où l’on est tellement choqué qu’on ne peut plus bouger ; or, cela abîme notre cerveau. Si jamais tu as besoin d’en parler, tu pourras faire un signe convenu avec tes parents, pour dire que tu as besoin d’une aide extérieure, et ils pourront t’aider à trouver une personne à qui en parler – une psychologue par exemple. »
On peut aussi parler à notre enfant des pulsions : ce sont toujours à la base des pulsions de vie. Elles sont belles quand elles sont dirigées vers le bien. Quand elles sont dirigées vers le mal, par exemple dans la pornographie, on peut décider de s’en éloigner, sinon, comme Mowgli, on pourrait être hypnotisé ! La première fois, que notre enfant tombe sur de telles images, il est rarement responsable. Le lui dire, lui permet d’enlever un peu de sa culpabilité !
Il est possible de nettoyer sa mémoire, comme je le propose dans mon cabinet. à une fille de 6 ans qui avait vu deux images pornographiques, je lui ai proposé de les dessiner sur un papier, sans que je les regarde. Ensuite, nous avons piétiné cette feuille, mise en confettis, brûlée... Comme la nature a horreur du vide, pour éviter que l’image ne revienne, nous avons décidé de la remplacer par une belle image : elle a choisi une colombe . Après cette séance, tout est rentré dans l’ordre : sommeil, repas, légèreté.
Quels supports, livres ou autres recommandez-vous pour l’éducation affective, relationnelle et sexuelle à cet âge ?
Il y a de nombreux ouvrages, mais je préfère conseiller les ateliers mère-fille Cycloshow et les ateliers père-fils Mission XY, pour se préparer à parler de ce beau sujet. Quoi de plus riche que de quitter les écrans et d’échanger en vérité dans le réel avec son enfant ?
Comment ou quand susciter la discussion sur ces sujets ?
Je pense qu’il vaut mieux quitter une posture de sachant (« Je vais t’instruire, il faut que tu m’écoutes »), pour commencer par écouter profondément son enfant, non pas par curiosité, mais pour le respecter, le rejoindre dans sa maturité. On peut aussi dire : « Je ne connais pas ta génération, mais j’ai besoin que tu m’aides à la comprendre pour mieux parler de ce sujet autour de moi. »
De même, au lieu d’éviter une publicité gênante à un feu rouge, on peut lui demander : « Est-ce que cette publicité te dérange ? Comment faire pour qu’elle devienne supportable pour toi, pour moi ? » En créant une relation de confiance, on va mieux comprendre sa maturité et on cherchera ensemble. Les préadolescents d’aujourd’hui, sollicités par les réseaux sociaux, sont une nouvelle génération. Tout est à réinventer.
Demandons à Dieu de nous donner son regard pour aimer notre enfant loin de ses comportements, pour que la beauté de sa personne reste toujours visible et essentielle à nos yeux. Faisons confiance à ce qu’il va devenir. Les neurosciences, en mettant en évidence la plasticité du cerveau, montrent qu’il ne faut jamais désespérer, que tout est réparable. N’ayons pas peur, soyons remplis d espérance ! Propos recueillis par Solange Pinilla
À lire aussi
(Photo Pexels)
Comments