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Victoire : « J’ai accouché sous X, et cela fait partie de mon histoire »

  • Zélie
  • 5 nov.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 11 heures

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Sous la pression parentale, Victoire - alors âgée de 19 ans - a confié à l’adoption son enfant tout juste né. Aujourd’hui mariée et mère d’autres enfants, elle raconte le défi que constitue une existence avec le douloureux souvenir d’un accouchement sous X.


Néanmoins, pour cette femme de 38 ans aux cheveux bruns et aux yeux verts, l’amour est plus fort que l’épreuve. (La lecture de cette interview peut vous émouvoir, attendez d’être prête pour le faire.)



Zélie : Il y a 19 ans, vous avez vécu un accouchement sous X, c’est-à-dire de manière anonyme. Pouvez-vous nous raconter les circonstances de cet événement ?


Victoire : C’est l’histoire d’une jeune fille qui est livrée à elle-même. Mes parents ne se préoccupaient pas beaucoup de moi, même s’ils voyaient que quelque chose n’allait pas. Je suis tombée amoureuse d’un garçon, qui voyait bien que je cherchais l’amour.


Quand je lui ai dit que j’étais enceinte, il m’a répondu : « Tu avortes. » J’étais très malheureuse. L’avortement m’a à peine traversé l’esprit, car ce bébé, je l’aimais déjà ; pour moi, il était le fruit d’une relation d’amour. J’ai eu peur de la réaction de mes parents, même si je leur avais déjà présenté ce garçon. Lorsque j’ai annoncé la grossesse à ma mère, elle l’a très mal accueilli. Elle a réfléchi, puis a affirmé : « La seule solution, c’est l’accouchement sous X. Quelqu’un va te parler d’une maison qui accueille des femmes enceintes. » C’était très factuel, très cadré.


J’étais coincée entre mon amour pour mes parents et la peur d’être abandonnée, et d’autre part ce bébé que j’aimais. J’avais 19 ans, j’étais déjà majeure, mais je ressentais de la confusion et une pression extérieure. Je voulais faire plaisir à mes parents et j’étais incapable de leur dire non.


Comment s’est passée la grossesse ?


A la maison maternelle Magnificat, j’étais avec d’autres mamans, de milieux différents, et qui allaient garder leur bébé... Nous faisions des activités, nous étions reçues dans des familles. J’y ai rencontré une femme qui est devenue une amie ; nous sommes restées très proches. J’en garde de bons souvenirs. La foi m’a aidée à tenir le coup.


De quelle façon s’est déroulée la naissance ?


C’était très violent : tout de suite, le bébé a été emporté dans les bras d’une sage-femme. Là, cet accouchement sous X est devenu concret. Dans ma chambre, je ressentais de la tristesse, du vide, de la confusion. J’avais envie de partir très loin. J’entendais les bébés des autres... Je suis allée voir mon enfant, que j’ai baptisé. Il s’appelle Thibaut. Je lui ai parlé. C’était un très beau bébé, très calme. Il avait des cheveux très noirs, un visage très fin.


Pendant tout l’accouchement et le séjour à la maternité, j’étais accompagnée par la directrice de la maison maternelle Magnificat. Elle seule me parlait, me rassurait. Je sentais que le personnel de la maternité était un peu tendu et troublé par ma situation. Je leur ai même laissé un mot pour le rassurer.


A qui avez-vous parlé de cet événement ?


Avec mes parents, nous n’en parlions pas. « C’est ton histoire, c’est ton secret », me disaient-ils. Il a fallu mentir, affirmer que j’étais partie quelques mois pour un travail – pour finir ma grossesse et accoucher, en réalité. J’ai retrouvé tout de suite ma silhouette habituelle. Cependant, j’avais les hormones de la grossesse qui chutaient. Le soir, je pleurais dans mon lit. J’ai vu des psychologues. Mais c’était compliqué de faire une thérapie profonde, car ma mère s’en mêlait.


J’avais des idées noires, tout en me disant : « Je ne peux arrêter ma vie, puisque j’ai donné la vie. » Je me réveillais toutes les nuits entre 2 et 4 heures du matin ; j’en ai parlé à une acupunctrice, qui m’a expliqué que j’étais en état de stress post-traumatique.


Avec le recul, je pense que mes parents voulaient donner une image la plus parfaite possible de leur famille ; ils avaient honte d’avoir une fille enceinte hors mariage – avec une aînée mariée qui, à l’époque, ne parvenait pas à avoir un enfant. Ils m’ont sacrifiée pour l’image qu’ils voulaient montrer ; et aussi, je pense, parce qu’ils sentaient que j’avais la force d’endurer cela.


Qu’est-ce qui vous a aidée à survivre à ce traumatisme ?


Ne pas nier ce que je ressentais m’a permis de tenir. J’ai accouché de cet enfant un 2 octobre. Tous les ans, j’y pense. C’est une partie de moi. J’ai appris qu’une femme garde dans son sang quelques cellules de son bébé jusqu’à une durée de 27 ans ! Même s’il est devenu l’enfant d’un couple, je resterai sa mère biologique. Mes parents, eux, ne veulent pas entendre que j’ai pu souffrir. Cependant, je leur ai dit que je leur ai pardonné de m’avoir obligée à accoucher sous X.


Aujourd’hui, 19 ans après cet événement, je pense que je vais mieux vivre cet anniversaire, car entre-temps, j’ai témoigné, de manière anonyme – comme dans cette interview. J’en ai parlé aussi à des personnes qui n’étaient pas au courant, telles que ma marraine. Je ne pouvais plus vivre dans le mensonge. Je suis fière de ce que j’ai fait, à savoir offrir une « partie de moi » à un couple qui a attendu avant de pouvoir adopter un enfant.


A l’époque où j’ai rencontré mon mari, il a remarqué, un 2 octobre, que j’avais l’air triste. Je lui ai tout raconté. Il a dit : « On dirait un deuil. » Quand nous avons eu nos enfants, j’ai revécu mon premier accouchement. De juin à octobre, je repense à ce que j’ai vécu dans la maison maternelle, à la même période de l’année. Avec mon mari, nous fêtons ensemble l’anniversaire du 2 octobre. J’ai aussi parlé de cet enfant à notre aîné de 16 ans, et à notre petit dernier de quelques mois.


Avez-vous encore des contacts avec le père de cet enfant né sous X ?


Pendant la grossesse, je l’avais appelé et je lui avais dit : « J’ai gardé le bébé, je vais accoucher sous X. Une partie de toi vivra quelque part. » Il a dit « OK », et il a raccroché. Je n’ai jamais cherché à le recontacter. Ce qui comptait, c’est ce bébé. Pour moi, c’est quelqu’un qui m’a trahie et abandonnée.


Que savez-vous de cet enfant, qui a 19 ans maintenant ?


J’ai levé le secret de mon identité : si mon fils Thibaut né sous X souhaite consulter son dossier, il pourra avoir mes coordonnées. Tous les ans, je lui écris des lettres ou des poèmes, que je mets dans son dossier. Il pourra y trouver des échographies, des détails sur moi, mon milieu, mes goûts, et sur le géniteur. J’ai tout fait pour lui faire comprendre que je n’ai jamais voulu l’abandonner, et que je l’ai plutôt confié à d’autres personnes.


Je ne sais pas s’il a consulté le dossier, s’il le consultera un jour, dans un an, dans dix ans, jamais ? Parfois, c’est quand les enfants nés sous X apprennent, à 30 ans, qu’ils vont devenir parents qu’ils font des recherches sur leurs origines. Je suis en contact avec un collectif de personnes nées sous X ou ayant accouché sous X. Ces personnes nées sous X m’ont dit que c’était magnifique d’avoir un dossier rempli, et qu’elles auraient aimé accéder à des échographies dans celui-ci.


Je saisis ma chance d’avoir une belle vie, une bonne santé, un mari, des enfants – j’en ai eu quatre après ce premier bébé. Quand on a un passé difficile, on porte une cicatrice à vie, mais on est prêt à tout supporter, parce qu’on se dit qu’il y a toujours plus grave...


Une partie de moi est meurtrie ; une partie de mon cœur reste un peu déchirée. C’est quelque chose qui ne s’effacera jamais ; mais il y a du bonheur à côté. Je ne regarde pas tout le temps en arrière – parfois en souriant, parfois en pleurant un peu -, mais je ne veux pas être dans le déni. Cela fait partie de mon histoire.


Je pense à la Sainte Vierge, qui a donné son fils au monde. Je sais ce que c’est de porter un enfant, de souffrir, et de le donner ; d’être dans l’ombre. Ce n’est pas moi qui ai vu cet enfant marcher, et il y aura toujours cette douleur, quand je vois mes enfants grandir, et que j’imagine qu’il a grandi de même. Des femmes ayant adopté m’ont remerciée d’avoir donné la vie ; j’ai été touchée par cette reconnaissance.


Pourquoi souhaitez-vous témoigner aujourd’hui ?


Ce n’est pas pour crier haut et fort ma souffrance ou susciter la compassion, mais pour faire connaître ce sujet encore tabou. Il y a d’autres femmes qui ont vécu un accouchement sous X, et il est urgent d’en parler. Sans ces mères de l’ombre, ces enfants adoptés n’auraient pas existé.


Quel rôle a joué la foi dans votre histoire d’accouchement sous X ?


La foi m’a tenue debout, m’a aidée à être dans l’espérance, à ne pas m’enfoncer trop profondément dans la dépression. La foi est très importante pour moi : par exemple, dans l’évangile de dimanche dernier qui incitait à visiter les estropiés, mon mari et moi sommes allés voir le prêtre pour lui demander conseil, et nous avons rendu visite à une dame sous curatelle, qui ne se nourrissait plus que de galettes de blé noir ; nous lui avons apporté de bons plats.


Plus je prie, plus je vois des signes de Dieu. Je sais que je ne suis pas seule. Jamais la Sainte Vierge ne m’a abandonnée.


Si je mourrais demain, j’aurais dit pardon à mes parents, je me serais mise à leur place. J’ai cheminé pendant 19 ans – avec un accompagnement psychologique, spirituel et un pardon donné -, je suis arrivée à un certain équilibre.


Je fais du bénévolat pour donner ce que j’ai reçu, pour transmettre, et ne pas rester concentrée uniquement sur mes épreuves. Aujourd’hui, je suis en paix. Propos recueillis par Solange Pinilla




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