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Elsa, marin-pêcheur de coquilles Saint-Jacques

  • Zélie
  • 2 sept.
  • 5 min de lecture


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Deux fois par semaine, Elsa Riou et son mari, Fanch, partent en baie de Saint-Brieuc pêcher une tonne de coquilles Saint-Jacques. L’occasion de nouer une relation particulière avec la mer.



Ce jour-là va changer sa vie. Elsa, étudiante toulousaine, est avec des amis. Ceux-ci ont invité un ami, prénommé Fanch, ce qui signifie « François » en breton. Il est en vacances, son métier est celui de marin au long cours. Il pose des câbles dans les fonds marins. Entre Elsa et Fanch, c’est le coup de foudre. A 22 ans, elle quitte le Sud-Ouest et part vivre avec son mari en Bretagne. « Je suis tombée amoureuse de sa région », raconte Elsa.


Les jeunes mariés s’installent dans un village des Côtes-d’Armor, Loguivy-de-la-Mer, près de Paimpol. « Fanch passait deux mois en mer, en alternance avec deux mois de vacances, se rappelle Elsa. Cela a duré dix ans. C’était difficile pour la vie de famille, aussi mon mari est devenu pêcheur dans la région. En effet, il vient d’une famille de pêcheurs depuis plusieurs générations ! »


De son côté, Elsa est agent immobilier. En 2020, au moment de la crise du Covid, et après la naissance de leur quatrième enfant, elle décide de démissionner. « Mon mari avait des horaires intenses. Mon rythme était devenu trop dur. Je me suis alors demandé ce que j’allais faire désormais. Comme je souhaitais passer davantage de temps avec Fanch, j’ai alors décidé de m’inscrire à l’école maritime de Paimpol, pour devenir matelot sur son bateau ! »


Elsa suit cette formation de 3 mois, dédiée aux adultes. Au même moment, elle devient enceinte d’une petite Joséphine. « Une fois celle-ci née, j’ai embrassé ma nouvelle carrière. »


Deux fois par semaine, Elsa et Fanch s’embarquent sur la Petite Elsa - « Ce nom est une belle preuve d’amour de mon mari », s’émerveille-t-elle. Elle nous explique aussi : « La pêche à la coquille Saint-Jacques est très contrôlée. Elle est autorisée pendant seulement huit mois par an, afin de préserver le gisement de coquilles Saint-Jacques. Nous avons le droit de pêcher pendant une heure, deux fois par semaine. Des drones surveillent la zone. Enfin, nous ne devons pas dépasser une tonne par sortie en mer. »


Le reste du temps, Elsa se consacre aux tâches administratives et comptables de l’entreprise. Fanch, de son côté, continue de pêcher : homard bleu de Bretagne, lieu jaune, bar ou encore daurade... « Tous sont des poissons d’exception, pêchés à la ligne un par un ! »


Aujourd’hui est un jour de pêche. Nos deux coquilliers viennent de prendre la mer. Il est 6 heures, c’est la mère d’Elsa qui emmènera les enfants à l’école. Après deux heures de navigation, Fanch et Elsa sont en baie de Saint-Brieuc, et mettent les dragues – engins à armature métallique - à l’eau. Celles-ci raclent le fond de la mer. à quatre reprises, les pêcheurs relèvent les dragues et sélectionnent les coquilles Saint-Jacques qui font la taille souhaitée. Ils remettent les autres à l’eau, ainsi que les poissons. « Trier une tonne de coquilles est long et ennuyeux, confie Elsa. Pendant ce temps, j’écoute notamment des podcasts ! »


Le trajet du retour dure quatre heures. Le bateau est sur pilote automatique, les coquilles finissent d’être triées et mises en sacs. Elsa et Fanch débarquent les sacs.


Les coquilles sont pesées et apportées à une criée située à 30 km, à Saint-Quay-Portrieux. Elles seront vendues aux enchères à des grossistes spécialisés nommés "mareyeurs", et se retrouveront sur les étals des poissonniers français. Après la journée en mer, la fatigue est écrasante : « Le soir, nous n’avons pas besoin de berceuse ! », s’amuse Elsa.


La quadra a noué une relation forte avec la mer. « J’ai grandi au bord de la Garonne... Maintenant, j’ai de l’eau de mer dans les veines ! C’est un élément impressionnant. Parfois, elle me fait peur. Quand la mer est mauvaise, qu’elle est bleu velours et se ride, je vois cela comme une contraction d’accouchement qui arrive : il vaut mieux se laisser porter ! Ainsi, on sait qu’après le calme, vient la tempête ; et qu’ensuite, cela passe. Je compare volontiers la mer à la mère ! Elle nourrit notre grande famille. Grâce à elle, mon mari est aussi un pêcheur heureux et passionné. »


La mer reste parfois menaçante. « De plus, mon mari et moi sommes tous les deux embarqués sur le même bateau, souligne Elsa. Un jour où le temps ne se calmait vraiment pas, j’ai demandé à mon mari de faire demi-tour. La pêche à la coquille est aussi la plus accidentogène, car quand on drague, on peut couler. »


La matelote reprend : « Même bien équipé, on n’est pas grand-chose dans l’océan. Cette expérience de pêche m’a appris l’humilité, c’est-à-dire rester à sa place. Sur le bateau, j’écoute beaucoup de louange, et notamment le chant "Regardez l’humilité de Dieu" ! Prier en pleine mer, cela prend tout son sens. Quand je pars sur le bateau, j’emporte mes soucis et ma charge mentale de maman. Quand je rentre, je suis une autre personne ; je me sens grandie et très fière, surtout quand je nous revois en pleine tempête. »


Pendant l’heure de pêche, Elsa prie le Seigneur : « Reste avec nous, j’ai trop besoin de Toi. » Elle le remercie quand le bateau est escorté par des dauphins, ou quand elle voit un lever de soleil magnifique.


Pour Fanch et Elsa, cette pêche à deux est aussi un moment de partage : « Pendant les deux heures de route de l’aller, nous sommes dans une petite bulle, vécue en couple. »


Articuler activité de pêche et maternité n’est pas de tout repos. « Cet hiver, les enfants ont été beaucoup malades, enchaînant les grippes et les gastros. Une nuit, je n’ai dormi que 20 minutes en tout... Malgré cela, je suis partie pêcher avec mon mari à 4 heures du matin. Après le retour, autour d’un jus de fruit avec mon mari, j’ai pleuré d’épuisement. Finalement, cela a été un beau moment de communion et de partage. »


Une autre fois, leur benjamine avait une bronchiolite. « J’avais la secrétaire de l’hôpital au téléphone. Je lui disais : "Je ne vous entends pas, je suis sur un bateau de pêche." Elle ne me croyait pas ! »


Désormais, Elsa ne peut se passer de l’odeur iodée des embruns. « La mer me fascine : elle est vivante, surprenante, elle a plusieurs facettes. Quand nous partons dans un lieu sans mer, cela me manque ! Nous avons aussi un petit bateau annexe et allons régulièrement sur l’île de Bréhat avec nos enfants : c’est sur cette île que nous nous sommes mariés, que nous avons baptisé nos bébés, ou plus récemment, fêté les 18 ans de notre aînée ! »


Le jour où elle a rencontré Fanch un beau jour à Toulouse, Elsa ne pouvait pas imaginer qu’elle deviendrait une vraie fille de la mer, en communion avec ses tempêtes, sa rudesse, et ses moments suspendus entre eau et ciel. Solange Pinilla




Photo (c) Collection particulière

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