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Dans le clair-obscur des séries


Par Marie-Élisabeth Panel, diplômée en philosophie.

Dans notre société en mal d’absolu, on observe le développement de nombreuses addictions. Ce phénomène pourrait être interprété comme le besoin de se sentir accompagné, même si c’est par un objet. On ne sait quoi faire, on se sent seul et soudain, l’objet vient nous occuper. Ici, il ne s’agit pas de drogue ou d’alcool mais d’une addiction qui touche sans doute beaucoup d’entre nous, et sûrement plus de personnes qu’on ne le croit : les séries.

Qui parmi nous n’a jamais passé sa soirée ou son week-end à enchaîner les épisodes d’une série en se disant « Allez, je ne peux en rester là, un de plus ! » ? Pourquoi aimons-nous autant regarder une série ? Dans quelle mesure les séries finissent-elles souvent par nous dévorer ? Décryptage.

Le principe d’une série consiste à créer un univers et à proposer au téléspectateur d’y adhérer ; c’est une invitation au voyage. Elle suggère un univers différent du nôtre, qui fait rêver ou qui fascine. Elle déploie une esthétique recherchée qui viendra séduire même les plus hostiles.

L’amateur du monde de la justice se plongera dans les aventures pleines d’humour d’une mannequin réincarnée en avocate dans Drop dead diva. Combien de personnes se sont mises aux séries attirées par l’univers de l’aristocratie anglaise du début du XXe siècle de Downton Abbey ?

L’univers est l’accroche, les personnages sont l’ancre... Nous venons attirés par le décor, nous restons au fil des épisodes car nous nous attachons à ces héros, ces antihéros, ces gens qui ne nous ressemblent pas forcément mais qui mènent ce que nous avons à mener aussi : le combat de la vie dans ce qu’il a de beau et de difficile. Nous suivons leurs aventures, leurs dilemmes, leurs échecs et leurs succès ; ils obtiennent de nous soutien, compréhension...

Car la série a le temps de révéler les personnages dans leur complexité, ce que fait rarement un film. Cette complexité, c’est celle qui nous constitue aussi, une nature faite de blanc, de noir et surtout de gris. Dès lors, comment ne pas éprouver une certaine affection pour un personnage, même lorsqu’il agit mal ? C’est le principe sur lequel se fonde une série comme Once upon a time, où l’on creuse d’un peu plus près les contes de fées pour voir ce qui se cache derrière la légende et où les méchants sont parfois touchants...

Il y a donc une certaine catharsis dans le fait de regarder une série. Elle exprime nos propres passions, fastes ou néfastes. Avec une série qui nous suit jour après jour, voire année après année, nous ne sommes plus vraiment seuls. Nous vivons avec un imaginaire riche de personnes qui prennent presque davantage de vie à chaque épisode qui passe. Nous meublons aussi notre solitude, en nous sentant accompagnés par tous ces personnages.

Arrivé à ce point, on peut se dire qu’il ne s’agit finalement pas d’une si mauvaise addiction . Pourtant, se plonger dans une série a ses dangers, plus ou moins importants. Le premier, c’est la paresse du confort. En choisissant une série qui durera longtemps, nous jouons la carte de la sécurité en n’étant pas dérangés dans notre train-train de téléspectateur. Il y a de la paresse à se contenter d’un univers précis : nous nous limitons à ce qui nous est connu.

En cela, le film de type long-métrage est plus intéressant que la série : il nous bouscule, nous interpelle, nous pousse à avoir un avis et souvent, nous invite à prendre un risque. Qu’y aura-t-il vraiment derrière ce titre alléchant ? Le film est une découverte gastronomique, heureuse ou non. La série... un bon petit plat sans risque, et parfois un peu fade.

Le deuxième danger entrevu, c’est que la série nous rend passifs, bien plus qu’un film ou un livre. Le livre nous rend actifs par la capacité d’imagination qu’il requiert à sa lecture. Le film nous rend passifs pendant 90 minutes un soir de temps en temps. La série, elle, nous condamne parfois à regarder passivement au minimum 40 minutes par jour de télévision.

Certains étudiants regardent un épisode, révisent pendant une heure, reprennent un nouvel épisode, révisent de nouveau une heure... Et ils sont nombreux à agir ainsi, ou à enchaîner les épisodes, en mettant de côté le devoir d’état que représentent les tâches du quotidien ou même le temps passé en famille. La série dévore notre capacité à être présent à ce(ux) qui nous entoure(nt). Toutefois, le danger principal des séries dans lequel la plupart d’entre nous tombons réellement, c’est le compromis avec nos valeurs. Accrochés à la série, nous acceptons, épisode après épisode, des choses qui nous auraient dérangés dans un film, et nous les acceptons parce que nous nous sommes attachés aux personnages. Nous nous laissons amadouer, et ce faisant nous acceptons des compromis.

En tant que chrétien, cela pose tout de même des difficultés. Quelle unité de vie intérieure rechercher quand nous regardons une série ? Ne serions-nous pas influencés par ces séries qui nous proposent des modèles de vie rarement conformes à ce que nous souhaitons pour nos enfants ou nous-mêmes ? Pouvons-nous tout plébisciter ?

La série Friends, par exemple, eut beaucoup de succès et dura de longues années. Dans cette série, chaque personnage a embrassé au moins une fois chacun des autres personnages, si ce n’est plus. Certes, nous rions, nous les affectionnons ; et nous mettons doucement de côté nos valeurs de fidélité et d’engagement. On pourrait continuer longtemps la liste...

Le tableau ressemble donc à un Vermeer, avec ses ombres et ses lumières. Ne condamnons pas les séries télévisées en bloc, mais essayons de les regarder intelligemment. Nous pouvons les choisir avec soin, en prenant le temps de nous en détacher aussi. Nous pouvons nous plonger avec délice dans ces univers pour se détendre, mais en sachant leur donner leur juste place, afin de garder entière notre liberté intérieure, de rester ancré dans la réalité et se centrer sur l’Essentiel. •


Crédit photo : la remarquable série britannique Poldark de Debbie Horsfield, diffusée entre 2015 et 2019. © Facebook.com/OfficialPoldark

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