Sophie-Charlotte, vivre avec le veuvage précoce
Il y a trois ans, à 38 ans, Sophie-Charlotte a perdu son mari. Cette femme endeuillée souhaite faire de sa vulnérabilité l’occasion d’un partage avec d’autres veuves, pour que « ce qu’elle a vécu serve à d’autres ».
Parfois, l’histoire se répète. La mère de Sophie-Charlotte Chapman avait été veuve jeune, alors que sa fille n’avait que 17 ans. Une vingtaine d’années plus tard, un pareil drame touche la famille.
En 2003, Sophie-Charlotte rencontre, dans un pub, un Anglais prénommé Ben. Ils se marient deux ans plus tard. Entre temps, Ben a déclaré une épilepsie qui nécessite un lourd traitement. Le couple donne naissance à trois enfants.
Après des hauts et des bas au niveau professionnel, Ben, qui travaille dans le secteur du pétrole, vit des moments de stress à cause de problèmes induits par son travail. En 2019, il fait une petite attaque cardiaque, et finit l’année très fatigué. Alors qu’il se réjouit de voir 2020 arriver, il ressent une gêne à la poitrine et doit être opéré du cœur.
Le 7 février 2020, on lui pose un stent, c’est-à-dire un dispositif qui permet d’éviter à une artère de se reboucher. Du repos est préconisé, mais Ben, ayant envie de repartir, se rend en déplacement professionnel au Moyen-Orient. Le 14 février – jour de la Saint-Valentin, comme le remarque son épouse -, à la suite de plusieurs arrêts cardiaques, il meurt.
Deux semaines sont nécessaires pour rapatrier Ben, et il est incinéré trois semaines après son décès. Le 14 mars, la famille emmène ses cendres au Royaume-Uni pour une cérémonie. Trois jours plus tard, le confinement est annoncé et Sophie-Charlotte va passer deux mois strictement seule avec ses enfants...
Après le décès et aujourd’hui encore, la jeune veuve est traversée de nombreuses émotions. « Je ressens beaucoup de colère contre son entreprise américaine, nous confie-t-elle. Son patron N+1 ne m’a jamais présenté ses condoléances, et son N+2 uniquement en présence de la RH. Je suis en colère contre tous ceux qui ne sont pas venus me voir. Pendant le premier confinement, des personnes postaient des vidéos sur Facebook qui disaient qu’il était difficile d’être confinée avec son mari... J’ai trouvé cela peu à propos. Par ailleurs, j’ai vécu de longues périodes d’anesthésie cérébrale et d’amnésie. »
Pendant cette période de confinement, Sophie-Charlotte s’est sentie extrêmement seule et démunie, notamment face à ses enfants alors âgés de 7, 10 et 12 ans. « Mes enfants ne comprenaient plus le sens de la vie : Papa meurt, et tout part en vrille puisque je ne peux plus aller à l’école, à mes activités, ni voir mes grands-parents... Il y avaient des soirées entières de larmes, où ils me disaient qu’ils voulaient rejoindre leur papa. »
Ce qui est le plus difficile pour elle dans cette période de deuil, c’est le décalage avec les autres. « Pour eux, la vie continue, le décès de Ben est du passé. Alors que pour nous, on portera cela toute notre vie. J’aimerais qu’on me demande comment je vais, et régulièrement, pas uniquement le 14 février... »
Sa vulnérabilité, elle la vit également en tant que mère. « Je dois accepter que mes enfants me voient en pleurs, et même dans des états catastrophiques. Je dois demander de l’aide, mais ce n’est pas toujours possible de trouver, par exemple, un moyen de garde pour le plus jeune... En fait, je dois renoncer à l’idéal de parentalité que j’ai eu auparavant. »
Plus largement, Sophie-Charlotte est davantage amenée à accepter le caractère imprévisible de la vie : « Il y a déjà le travail à 100 % - et même à 200 % - en tant que mère solo. Et puis l’environnement auquel on doit faire face, avec ses aléas : grève, confinement... »
Sophie-Charlotte ne voulait pas revivre la dépression qu’elle avait traversée après le décès de son père dans sa jeunesse. Elle a mis à profit ce qu’elle avait appris de sa psychothérapie. « Ce qui m’aide, ce sont les activités manuelles, la cuisine, les animaux – j’ai adopté un deuxième chien -, ainsi que beaucoup de lectures sur le deuil et la spiritualité. »
Formatrice dans une école privée catholique à Rouen, Sophie-Charlotte est auteur de plusieurs livres à destination des entrepreneuses créatives aux éditions Eyrolles. « J’avais déjà des capacités en écriture et communication, et j’ai donc voulu les mettre au service des personnes veuves. »
Fin 2020, elle a créé le compte Instagram @vcommevie, « dédié aux femmes veuves et mamans d’orphelins ». Elle y livre son témoignage, mais aussi des outils : des idées d’activités créatives, ou encore un cahier de vacances pour appréhender son deuil. Avec une femme dont le mari est décédé - d’un suicide, après un burn-out -, elle anime aussi des échanges en visio nommés « Petites veuvries entre amies », « un espace de parole dédié aux femmes qui ont perdu leur grand amour ».
Ce compte est l’occasion d’échanger avec des inconnus - « dont on n’attend rien, contrairement aux proches », glisse-t-elle.
« Cette vulnérabilité, il s’agit pour moi de l’accepter, de la partager, de rencontrer d’autres personnes dans la même situation, affirme Sophie-Charlotte. Je me suis dit : "Il ne faut pas que Ben soit mort pour rien, il faut que ce que j’ai vécu serve à d’autres". J’ai aussi témoigné dans des podcasts, dans une volonté de partage et d’entraide. »
Le fait de rencontrer d’autres femmes dont le mari a vécu une mort, brutale ou non, a du sens : « On se sent moins seule. Cela ne permet pas de relativiser, mais de mettre son propre deuil en perspective. Par exemple, j’ai remarqué que nous avons toujours vu Ben en bonne santé, et non marqué par la maladie ». Sophie-Charlotte pense aussi à une journaliste qui a perdu ses trois enfants dans un incendie, en décembre dernier. « Ma peine ne me paraît pas grand-chose à côté, car j’ai la chance d’avoir encore mes enfants... »
Sur son compte, elle raconte les ombres et les lumières de son quotidien de veuve. « Je voudrais parfois les amener encore plus vers le côté positif. Des personnes m’ont écrit : "Votre compte m’a aidée dans mon veuvage", ou encore : "Quel livre puis-je offrir à une amie veuve ?" »
Sophie-Charlotte a écrit un guide pratique pour les personnes confrontées au deuil d’un proche - conjoint, enfant... -, avec des témoignages et des pistes qui pourraient aider à avancer, telles que l’écriture d’un journal de bord, ou du sport. Elle cherche actuellement un éditeur. Avis aux amateurs !
Un ouvrage a particulièrement touché la jeune veuve : Les lendemains de Mélissa Da Costa. « Il raconte l’histoire d’une femme qui sombre au plus profond de son deuil, et revient à la vie grâce à des activités créatives, en jardinant, en coulant des bougies... Si on ne parle pas, si on ne partage pas, on finit par somatiser. »
Enfin, elle souligne : « Cette vulnérabilité m’a ouvert sur d’autres vulnérabilités. J’ai aussi découvert que j’avais une surdité partielle. En revanche, cela m’a fermée à d’autres fragilités : j’ai beaucoup de mal à entendre qu’à cause du Covid, des enfants ont eu une vie sociale gâchée, quand les miens ont perdu leur père... L’épreuve peut créer une intolérance sur certains sujets, mais ouvre sur d’autres. Cela dépend aussi du degré d’acceptation de l’épreuve ». Une route ardue, qu’elle sait rendre féconde. Solange Pinilla
Au fil des jours
« Et s’émerveiller d’un rien, d’une fleur minuscule, quand on connait la fragilité de la vie… » (@vcommevie, Mars 2022)
« Ce matin, ça pique, j’ai le cœur qui se serre et la gorge nouée dès le réveil et on n’est que lundi… » (Février 2022)
« A chacun son Everest, le nôtre se résume à arriver à la fin de chaque journée entière... Même si chaque jour nous éloigne toujours un peu plus de ce dernier jour avec lui, mais nous n’avons pas d’autre choix que celui d’avancer. » (Décembre 2020)
> Découvrir d'autres témoignages autour de la vulnérabilité dans Zélie n°81 - Février 2023
(Photo (c) Coll. particulière)
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