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Jeanne Garnier, pionnière des soins palliatifs

  • Zélie
  • 19 juin
  • 6 min de lecture

Cet article est extrait de Zélie n°105 - Juin 2025, à télécharger gratuitement.



Alors que la fin de vie est régulièrement au cœur de l’actualité, faisons un saut de deux siècles en arrière. Nous sommes au début du XIXe siècle, à Lyon, ville en pleine croissance économique grâce à la fabrication de la soie. Cependant, de nombreuses personnes vivent aussi dans une grande pauvreté. à cette époque, des âmes saintes fleurissent à Lyon ou alentour, béatifiées depuis : Pauline Jaricot, Frédéric Ozanam, Antoine Chevrier ou encore saint Jean-Marie Vianney.

Le 15 juin 1811, une petite Jeanne Chabot est baptisée dans l’église Saint-Bonaventure, au sein d’une famille ancrée dans la foi catholique. Son père, Mathieu Chabot, est négociant en sel. Très vite, elle montre un caractère fort, tenant tête à ses parents. A l’âge de 10 ans, ses parents l’envoient en pension au couvent de la Visitation à Lyon.


Son caractère reste enjoué, et un peu frondeur. Un jour, alors qu’elle a 14 ans, elle casse sans le vouloir sa cruche de toilette. Mère Agnès, qui dirige le couvent et est connue pour sa sévérité, lui demande de la rembourser. Jeanne décide alors de mendier dans le préau. « Un sou pour rembourser... la cruche ! », demande-t-elle. Parlait-elle de l’objet ou de la supérieure ? Celle-ci la punit pour un mois. Jeanne compose alors une chanson humoristique évoquant « Mère Agnès, mère ânesse » et l’idée de mettre le feu au couvent... La supérieure demande aux parents de l’adolescente de la ramener chez eux, définitivement.


De retour chez ses parents, elle aide son père au magasin et à l’entrepôt, continue son éducation en vue de devenir une bonne épouse et mère, comme c’était le cas à cette époque dans le milieu bourgeois. Elle aime chanter et rire, et tombe amoureuse d’un jeune homme de son âge, Jean-Étienne Garnier. Entre temps, malgré une vie mondaine assidue, elle rencontre un prêtre qui la guide dans sa vie chrétienne. Cela l’aide à approfondir sa foi.


Jeanne et Jean-Étienne se marient. Elle participe au commerce de ferronnerie et quincaillerie de son époux. Ils sont heureux ensemble. En avril 1833, Jeanne donne naissance à un petit Pierre-Claude. Malheureusement, celui-ci décède quelques jours après sa naissance. Deux ans plus tard, naît une petite Marie-Suzanne.


Hélas, quelques semaines plus tard, Jean-Étienne tombe malade et meurt. Comble de la souffrance, alors que Jeanne se rend chez la nourrice de sa fille peu après, elle apprend que son bébé est décédé quelques jours auparavant.


A 24 ans, Jeanne enterre son mari et sa fille. La mort devient sa compagne. Quand elle traverse un pont sur la Saône pour se rendre régulièrement sur la tombe de ses proches, elle court pour ne pas se jeter dans l’eau. Pendant deux ans, temps officiel du deuil, elle pleure, va au cimetière, prie et écrit des poèmes pour épancher son cœur. Son père aimerait qu’elle se remarie, mais elle veut rester fidèle à son époux défunt.


Soucieuse de se rapprocher encore plus de Dieu, elle vend ses bijoux et donne l’argent pour les pauvres de sa paroisse. à l’invitation d’un prêtre, elle fait une retraite qui porte sur les sept dernières paroles du Christ en croix. Touchée par la soif du Christ pour les âmes, elle veut vivre pour Dieu seul, et se demande de quelle façon le faire.


La seconde période de sa vie commence alors. Elle rejoint d’autres veuves qui visitent des pauvres de la paroisse. On lui parle de « la chancreuse », une femme atteinte d’une maladie vénérienne qui vit dans une ancienne écurie. Malgré l’odeur putride, Jeanne lui parle, la soigne, obtient pour elle un lit à l’hôtel-Dieu, alors que cette femme nommée Manon est en fin de vie. Elle l’accompagne jusque dans ses derniers instants et la malade meurt réconciliée avec Dieu.


C’est ainsi que Jeanne, après de nombreux temps de discernement, propose aux autres veuves de la paroisse de fonder une œuvre pour accueillir et accompagner des femmes incurables, quelles que soient leur religion, apparence ou nationalité. Ce sera l’œuvre du Calvaire.


Jeanne cherche des fonds avec ardeur, et également le soutien de l’évêque, Mgr de Bonald, attentif à la misère du peuple lyonnais. Sa bénédiction conforte Jeanne dans son projet. Avec deux amies veuves, elles trouvent une maison avec jardin rue Vide-Bourse. Trois malades y sont installées en mai 1843. Panser, regarder, compatir sont des attitudes-clés pour soigner les indigentes, dont le nombre augmente. Le jardin abonde d’arbres fruitiers. Cependant, il n’y a pas de puits, et il faut se faire livrer l’eau.


Lors de la première assemblée générale, le cardinal de Bonald est présent, mais aussi Pauline Jaricot, qui souhaite être donatrice. Au printemps 1845, Dames du Calvaire – ainsi se nomment-elles - et malades déménagent dans la maison des bains romains – car construite sur une réserve d’eau potable par les Romains -, plus grande et surtout, cette fois, avec de l’eau à profusion. D’autres veuves arrivent, l’œuvre se développe, et avec elle, d’incessants questionnements et des querelles au sein de la communauté, notamment sur le temps consacré à la prière.


Jeanne continue d’agir avec patience et dévouement, même face à des maladies qui défigurent les femmes. Elle écrit, dans ses notes intimes que l’on a retrouvées : « Que Dieu est bon de regarder comme fait à lui ce que nous faisons pour ces pauvres créatures. Quand on les voit en lui, impossible que toutes les répugnances de la nature ne tombent pas pour faire face à la reconnaissance d’une part et faire naître la tendresse et l’amour pour ceux-là même qui n’inspirent que dégoût. » Jeanne crée également « la petite œuvre », qui consiste en l’aide à domicile de la veuve pauvre par la veuve aisée.


Puis les Dames du Calvaire et les malades découvrent une nouvelle maison, le clos de la Sarra, qui est en réalité un petit château et son domaine. Le prix : 150 000 francs. Jeanne se confie à saint Joseph et achète la maison. Finalement, une donatrice les aide.


A l’automne 1843, Jeanne, qui n’a pas assez pris soin de sa santé, faiblit de plus en plus. Elle transmet aux Dames du Calvaire son testament spirituel : « Tout ce que je vous recommande, c’est la charité. Aimez-vous les unes les autres. » A 42 ans, Jeanne Garnier remet son âme à Dieu.


Son œuvre se poursuit et s’étend. L’hospice de Lyon, sur la colline de Fourvière, est achevé par les veuves, qui ont succédé à Jeanne Garnier. Aujourd’hui, il s’appelle hôpital gérontologique moderne dit de Fourvière.


En 1870, une veuve parisienne, Aurélie Jousset, lit la vie de la fondatrice du Calvaire et décide de créer une autre maison d’accueil des Dames du Calvaire. C’est chose faite en 1875 dans le 15e arrondissement de Paris, rue de Lourmel. En 1987, à cause du manque de membres des Dames du Calvaire, la communauté religieuse des Xavières prend le relais.


Perpétuant l’intuition de Jeanne Garnier à accompagner la vie jusqu’au bout, elles mettent au cœur de leur mission les soins palliatifs : formation, accueil, éthique et lutte contre la douleur. La Maison médicale Jeanne Garnier est le plus grand centre de soins palliatifs en France, et accueille aujourd’hui environ 1200 patients par an.


Tiphaine, lectrice de Zélie, raconte : « J’ai accompagné mon père à la Maison médicale Jeanne Garnier à Paris. Une expérience douce, paisible pour le malade comme pour la famille. Dire au revoir à Dieu et à ceux qu’on aime, dans ces conditions, est tellement plus "facile". Je me souviendrai toujours de l’accueil que nous avons eu, en arrivant en ambulance. Cette paix qui régnait était incroyable ! »


De nombreux autres lieux de soins dédiés aux personnes incurables ont été fondés aux XIXe et XXe siècles en s’inspirant directement de l’œuvre de Jeanne Garnier, tels que le centre long séjour Sainte-Élisabeth à Saint-Étienne ou le Calvary Hospital à New York (6000 patients accueillis chaque année).


Au XXe siècle, l’Anglaise Cicely Saunders, infirmière et médecin, joue un rôle important dans le développement des soins palliatifs, s’inspirant de Jeanne Garnier pour fonder Saint Christopher’s Hospice à Londres, le nom « hospice » étant emprunté au lieu fondé à Lyon par Jeanne Garnier.


En 2019, le procès de béatification de Jeanne Garnier a été ouvert, avec d’abord la phase diocésaine, à Lyon. En novembre 2023, cette étape a pris fin. L’enquête romaine est en cours, et si elle se concluait par l’héroïcité des vertus de Jeanne Garnier, celle-ci pourrait devenir vénérable. En attendant, nous pouvons demander son intercession, notamment pour les personnes en fin de vie, afin que leurs derniers jours soit aussi doux que possible, et tournés vers le Seigneur. Solange Pinilla


Une BD pour découvrir Jeanne Garnier


Dans Jeanne Garnier. La vie jusqu’au bout (éditions du Triomphe), Guy de Buttet, postulateur de la cause de béatification de Jeanne Garnier, raconte la vie de cette femme au caractère intense et persévérant. Dessiné par Yann Le Goaec, cet album à partir de 12 ans montre notamment l’effervescence de cette époque à Lyon, les émotions diverses traversées par Jeanne et la vie spirituelle qui est le fondement de son œuvre. S. P.




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