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Dépression : le témoignage d'une mère




A la suite de plusieurs épreuves, Clotilde Margottin a vécu une dépression sévère pendant plus de deux ans. Elle raconte comment elle s’est relevée de ce qui est encore souvent perçu comme une « maladie de la honte ».



Tout souriait à Clotilde Margottin (en photo) dans sa vie d’adulte : femme sensible et dynamique, journaliste passionnée, amoureuse de son mari François-Xavier, enceinte de leur premier enfant... Dans Se relever, toujours (Artège), elle raconte comment elle a traversé une grave dépression.


A cette époque, un caillou se glisse dans la machine : son premier accouchement se passe mal. Les jours après la naissance, elle souffre de maux de tête constants, ne peut se lever, et s’évanouit le jour de la sortie de la maternité. On se rend compte qu’elle souffre d’une brèche : lors de la péridurale, l’anesthésiste – qui était au téléphone ! - a commis une erreur médicale en piquant trop profondément, laissant s’échapper du liquide céphalo-rachidien.


Après la pose d’un pansement de sang (blood patch), Clotilde reste alitée trois semaines. Les débuts de sa vie de mère sont donc hésitants et compliqués. Elle fait une dépression du post-partum pendant 6 mois, accompagnée par une psychologue. Cette première dépression dite légère crée un terrain favorable pour une dépression plus lourde, comme l’analysera son psychiatre. De cette « naissance traumatisante », la jeune femme garde des maux de dos pendant plusieurs années, jusqu’à une opération chirurgicale salvatrice bien plus tard.


Après une deuxième naissance qui se déroule facilement, le mari de Clotilde obtient un poste dont il rêvait à Genève, près de ses racines savoyardes. Clotilde est enthousiaste, mais ne prend pas pleinement en compte certaines conséquences. Elle doit abandonner son travail en région parisienne et habite à la campagne, sans crèche à proximité ; elle se sent loin de ses repères familiaux.


Juste avant leur déménagement en Haute-Savoie, le père de François-Xavier meurt à 58 ans d’une grave maladie. Son fils est écrasé par la tristesse : « Je suis un arbre à qui on a coupé les racines », confie-t-il. Peu après, alors que le couple donne naissance à un troisième enfant, une autre mauvaise nouvelle s’abat : cette fois, c’est le père de Clotilde, avec qui celle-ci entretient une relation très proche, qui est atteint par une grave maladie. « Je sens que je perds mes ressources, raconte-t-elle. Le plancher de mon enfance s’effondre sans que j’en aie conscience. Mais je ne parviens pas à basculer dans une réflexion adulte. Je reste bloquée sur mon enfance et ce papa qui m’aime, que j’aime, ce papa qui a travaillé toute sa vie et dont je profite enfin ! Je n’anticipe pas la suite... »


Malgré le plaisir de découvrir sa nouvelle région et de se faire des amis, les deux années suivantes sont marquées par l’instabilité et le surmenage pour Clotilde : voyages en voiture réguliers pour aller voir son père le week-end, une quatrième grossesse qui s’annonce... La tristesse s’installe. « Je connais le doute et la lassitude avec cette petite phrase qui s’invite régulièrement dans mon esprit : "A quoi bon ? Je me suis fait avoir... Si la vie c’est ça... Ce n’était pas ce que j’imaginais...". Je me sens préoccupée en permanence. Mon esprit est inquiet et le quotidien me pèse. »


Quelques mois après la naissance du quatrième enfant, le père de Clotilde meurt. « Le retour à la vie normale est une nouvelle épreuve... Pire encore. Vivre comme si de rien n’était, alors que je suis à mon tour un arbre sans racine. »


La dépression s’installe, entre épuisement, isolement et absence de ressourcement. Son mari ne comprend pas ce dont Clotilde souffre, mais il la soutient. Lors d’une semaine à deux sur une île de la Méditerranée, elle se rend compte qu’elle n’a pas réussi à se reposer, a fui le soleil et n’est pas arrivée à se concentrer sur un livre. Elle prend alors un traitement que lui a donné un psychiatre. C’est pire que tout : ce médicament non adéquat lui donne des idées suicidaires. Dans la maison de famille où elle séjourne, une fenêtre ouverte l’attire : « Sauter et en finir avec mes tourments. Je suis le problème à moi toute seule. Je sais que ma vie de famille est compliquée à cause de moi. »


Heureusement, son frère et sa sœur l’empoignent et vont discuter avec elle, sans jugement. Ils lui proposent d’aller en maison de repos. En essayant de communiquer avec son mari, usé par cette épreuve, Clotilde a peur de perdre « le seul lien qui lui donne envie de se battre ». Elle se dit à elle-même : « Si tu dois connaître l’hôpital psychiatrique pour sauver ton mariage, ça vaut peut-être le coup ».


La jeune femme repense aussi au courage de son père lors de sa propre maladie, et demande à entrer dans une clinique psychiatrique qu’on lui a conseillée, et qui lui semble adaptée : la clinique du château de Garches en région parisienne. Celle-ci sera son salut.


Pendant un mois, Clotilde se repose à la clinique et a des entretiens avec un psychiatre. Il prend le temps de l’écouter sur tout son parcours ; elle peut déposer son fardeau. Ensuite, elle suit la demande du médecin de s’installer dans un transat au soleil, même si au début, elle n’éprouve aucun plaisir à le faire. Elle vit au rythme de son corps épuisé. Son frère prêtre lui apporte la communion : « Ce besoin de m’unir au Christ est très important pendant le mois. C’est humiliant pour moi d’être ici, et me rapprocher du Fils de Dieu, lui-même humilié par les hommes, me donne de la force ».


Le psychiatre de la clinique lui annonce le diagnostic : une dépression depuis deux ans, qui l’a menée jusqu’à un stade sévère. Mais c’est lorsqu’il lui explique combien de temps elle aura besoin pour s’en remettre, qu’elle prend conscience de la gravité de son état. Elle sera probablement guérie dans trois à cinq années ! La fin de l’hospitalisation est très bénéfique : elle se rend notamment à un atelier de poterie, où elle vit l’instant présent. Elle participe à des séances de sport dans le parc qui l’aident à mieux tenir sur ses jambes et à contempler la nature.


Avant de quitter la clinique, une étape importante a lieu : son mari rencontre le psychiatre. Apprendre de la bouche d’un tiers le diagnostic de la dépression est décisif pour François-Xavier : il comprend la maladie et l’accepte. Ce n’est pas de la « paresse » qui touchait sa femme, c’est un vrai dysfonctionnement cérébral qui nécessite des médicaments. « Quand elle rentrera à la maison, explique le psychiatre à François-Xavier, ne lui proposez de faire des choses que si cela lui fait plaisir. Sinon, ne la sollicitez pas. Laissez-la progresser à son rythme. »


De retour chez elle, Clotilde est allongée les premiers temps. Le psychiatre a également donné des directives pour l’organisation du quotidien. Alors que la jeune femme voulait absolument récupérer ses enfants pour le déjeuner, il s’y est opposé. « J’insiste en disant que c’est mon rôle de mère qui est en jeu, comme si cet argument allait le faire flancher : c’est tout l’inverse justement ! Ici, il est question de ne pas faire passer la mère à tout prix ! La femme doit trouver sa place avec ses limites. »


Pendant cette période, les enfants de Clotilde ont également été facteurs de guérison, grâce à « leur amour inconditionnel sans jugement ni rancune, leur capacité à vivre au présent, leur simplicité à prendre la vie comme elle vient ». Alitée, elle prend aussi le temps de contempler sa progéniture : « Je passe des heures à regarder mes enfants, à comprendre leurs jeux, à les observer, à apprendre sur leurs caractères et le fonctionnement de la fratrie... Je suis au milieu d’eux, avec eux. (...) Je découvre la présence aimante : celle qui n’est pas dans le "faire" mais dans l’ "être". »


Son mari et elle font de cette épreuve une force, au jour le jour. Depuis le début de son hospitalisation, elle peut aussi compter sur le soutien de sa mère, de ses sœurs et de ses amies qui ont aidé à garder les enfants. Des babysitters et des aides ménagères sont également mobilisées.


Cette convalescence de deux ans se vit avec un suivi médical régulier, auquel Clotilde participe avec motivation, pour pouvoir parler un jour de cette maladie « au passé » : entretiens réguliers avec le psychiatre pour ajuster le traitement, séances chez une psychologue spécialisée en Thérapie comportementale et cognitive (TCC) pour un travail sur les causes profondes de la dépression, consultations chez une nutritionniste-diététicienne, mais aussi marche en plein air, cours de théâtre ou encore séances de sophrologie. Au niveau spirituel, Clotilde intensifie sa relation avec le Christ, prononçant des prières telles que : « Seigneur, viens combler d’amour là où je n’arrive pas à aimer ».


Après deux années vécues au ralenti, centrées sur elle, son couple et ses enfants, les prises de médicaments s’espacent, et Clotilde est déclarée guérie par le psychiatre ! Elle se sent plus solide, davantage consciente de ses limites ; elle reprend par la suite une vie professionnelle et aura aussi un cinquième enfant.


Une dizaine d’années a passée lorsque Clotilde Margottin écrit le livre Se relever, toujours. Elle accompagne aujourd’hui des personnes en burn-out. Elle cueille aussi les fruits inattendus de l’épreuve, tels que celui qu’elle évoque : « Notre vie est à nouveau d’un banal ordinaire, comme n’importe quelle famille. Et ce "banal" n’a pas d’autre mot que "bonheur" ». Solange Pinilla



Les signes d’une dépression


Clotilde rappelle les neuf symptômes d’une dépression : humeur dépressive continuelle (tristesse quotidienne) ; perte d’intérêt et de plaisir à l’égard d’activités quotidiennes ; troubles de l’appétit ; troubles du sommeil ; sentiment de dévalorisation et de culpabilité excessif ou inapproprié ; ralentissement psychomoteur ou agitation ; fatigue souvent dès le matin ; difficultés attentionnelles, de concentration et de mémorisation ; idées de mort ou de suicide.


« Lorsqu’une personne souffre d’au moins cinq symptômes, on dit qu’elle vit une dépression. Il faut repérer cinq symptômes, depuis au moins deux semaines, vécus tous les jours. Si l’on présente entre cinq et sept symptômes quotidiennement, la dépression est dite "légère ou modérée". Si l’on détecte huit symptômes ou plus, on parle de "dépression sévère" ».


Sur son site, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la dépression comme un « trouble mental courant », et explique : « Lorsque légère, la dépression peut être traitée sans médicaments. Cependant, lorsqu’elle est modérée ou grave, les patients peuvent avoir besoin de médicaments et d’une thérapie par le dialogue. » S. P.



Photo (c) D. R.

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