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Réfléchir sur le complotisme

  • Zélie
  • 25 mai
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 5 juin




Dans son livre Complotisme et anticomplotisme, Pascal Ide analyse les limites des théories du complot, mais réfléchit aussi aux besoins auxquels ces dernières tentent de répondre.



La mort de Lady Diana ne serait pas un accident, l’attentat de Charlie Hebdo serait le fait du gouvernement, la Nasa n’aurait pas marché sur la Lune (photo)... Régulièrement des théories complotistes fleurissent, notamment sur Internet. Ce phénomène n’est pas nouveau, puisque dès le XIXe siècle, un certain Henri Roger Gougenot des Mousseaux soutenait un complot « judéo-maçonnique ».


Dans Complotisme et anticomplotisme (Artège), Pascal Ide, docteur en médecine, en philosophie et en théologie, invite à une vision nuancée. Il ne s’agit pas de dire qu’aucun complot n’a jamais existé. On connaît, pour n’en citer qu’un, le complot contre Jules César, qui provoqua son assassinat aux ides de mars 44 avant Jésus-Christ. Tandis que le complot est « la coopération intentionnelle de deux ou plusieurs personnes en vue de faire violence à d’autres », pour Pascal Ide, une théorie du complot est « une explication d’événements qui inclut un complot comme élément causal ».


Le problème de la pensée complotiste est qu’elle repose bien souvent sur des biais cognitifs, qui sont une « blessure de l’intelligence », selon Pascal Ide. Ceux-ci sont des erreurs spontanées souvent commises par l’intelligence, comme l’a énoncé le psychologue et économiste Kahneman, car la pensée fonctionne selon un double régime : l’un est rapide et intuitif, et peut se tromper, tandis que l’autre, lent et réfléchi, corrige ses erreurs (lire aussi « Repérer nos illusions mentales pour mieux décider » dans Zélie n°98, p. 15 et 16).


Parmi les biais cognitifs plus connus, le biais de confirmation, qui consiste à privilégier les informations confirmant notre propre opinion et à déconsidérer les informations les infirmant.


Dans le cas de la pensée complotiste, le chercheur Pierre-André Taguieff a dénombré cinq principes, que Pascal Ide regroupe en trois étiquettes : la pensée complotiste est déterministe, car elle sous-entend souvent que « Rien n’arrive par accident » et que « Tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées ». C’est également une pensée moniste, avec la vision de causes simples : « Tout est lié ou connecté, mais de façon occulte ».


Enfin, le conspirationnisme est ésotérique au sens où il voit des intentions cachées : « Rien n’est tel qu’il paraît être » et « Tout ce qui est officiellement tenu pour vrai doit faire l’objet d’une impitoyable critique ». Ainsi, l’auteur a rencontré quelqu’un qui lui disait qu’il ne croyait jamais ce que disait le gouvernement.


A noter également : la pensée complotiste refuse la réfutabilité. « Tout fait, qu’il soit conforme à la théorie ou apparemment contraire, peut, tôt ou tard, être réinterprété dans les catégories de cette même théorie », d’où une difficulté à dialoguer. Cette pensée ne prend pas suffisamment en compte la complexité du monde, le hasard qui existe, ou encore la bonté humaine qui ne peut être niée.


Pour autant, Pascal Ide refuse cette vision pessimiste de la pensée complotiste et cherche à interpréter celle-ci de manière plus équilibrée, en cherchant quels besoins vient combler cette vision. « L’angle mort provient non d’une absence de raison, mais d’un usage différent, cohérent, mais fautif, autrement dit de mauvaises réponses apportées à de bonnes questions. »


Ainsi, le complotisme peut venir d’un besoin de justice, car il dénonce beaucoup d’injustices, contre des « puissants » par exemple. Il peut aussi être le fruit d’un légitime besoin de vérité. Ou encore d’un besoin de comprendre notre monde si changeant - mais en donnant une grille explicative englobante du mal. C’est aussi un désir normal de comprendre le mal, auquel on souhaite tant donner du sens : la mort de Diana n’est-elle pas trop insensée, pour ne pas vouloir chercher une explication non accidentelle ? Le besoin de sécurité, le besoin d’ordre ou celui d’identité peuvent parfois aussi expliquer ce désir de chercher des causes simples, nécessaires et cachées.


Pour autant, mieux vaudrait refuser les faux syllogismes, mais aussi adopter un réalisme qui est un juste milieu entre les vices intellectuels de la paranoïa et de la naïveté. Une invitation pour chacun à la nuance, à l’humilité et la charité. Solange Pinilla


Quid de l’anticomplotisme ?


Un anticomplotisme trop entier ne serait pas adapté pour autant. D’une part, parce que certains complots peuvent quand même exister. D’autre part, parce que « les oppositions, comme celles de l’optimisme et du pessimisme, sont le plus souvent des réactions qui héritent des limites de la pensée critiquée », comme le souligne Pascal Ide.


Ainsi, pour prendre un exemple un peu extrême, une ministre de l’éducation nationale faisait preuve, en 2016, d’un aveuglement symétrique au théories du complot, parlant de lutter contre les « forces du complotisme » et de la « fascination extrêmement dangereuse » suscitée par un « ennemi intime » disposant d’« armes de désinformation massive ». Sortir de postures trop polarisées reste plus ajusté. S. P.




(Photo Wikimedia commons)

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