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Mehdi Djaadi, l’infertilité entre rire et larmes

  • Zélie
  • 1 mai
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 16 heures




Connu pour son seul-en-scène Coming-out nommé aux Molières, le comédien Mehdi Djaadi revient avec un nouveau spectacle, Couleur framboise, où il aborde notamment le sujet intime de l’infertilité, épreuve à laquelle son épouse et lui ont été confrontés. Entretien.



Zélie : Avez-vous toujours voulu devenir père ?


Mehdi Djaadi : Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu le désir d’être père. J’ai été éduqué dans une famille où celle-ci est un socle. En plus de la paternité, il y avait aussi l’amour que je portais aux enfants. Comme un don, j’ai toujours eu une belle connexion avec eux, sûrement grâce à ma mère, qui était nourrice, et qui nous a transmis l’amour des petits. En me mariant, j’avais ce fort désir de devenir père.


Qu’est-ce qui vous a amené à créer ce seul-en-scène qui raconte une expérience d’infertilité ?


Dans mon précédent seul-en-scène, Coming-out, j’avais éprouvé un sentiment d’urgence à parler de sujets tabous, comme la liberté de conscience, les conversions, ou la place des religions dans la société et dans l’art. Dans ce deuxième spectacle, je voulais interroger des sujets de société.


Dans une interview pour le média en ligne Lou, j’ai raconté mon histoire autour de l’infertilité masculine, et le fait que mon épouse et moi voulions trouver une autre fécondité, en devenant famille d’accueil. J’ai alors reçu des centaines de messages, qui me remerciaient d’oser aborder ce sujet. Avec ce nouveau seul-en-scène, j’ai souhaité partir de mon histoire personnelle et ainsi continuer à creuser des sujets de société, tels que la bioéthique, l’écologie ou le religieux.


Quelles émotions avez-vous traversées dans votre couple, pendant ces cinq années de désir d’enfant ?


Nous sommes passés par toutes les émotions : l’attente, l’espoir, le désespoir, l’espérance. Cela nous a beaucoup unis ; cette épreuve a consolidé notre couple. Nous avons aussi vécu la tristesse, l’incompréhension, les larmes. Ces années ont été chargées en émotions fortes. Chacun de nous a été bien accompagné spirituellement. Nous avons eu la chance de toujours essayer de mettre des mots sur ce que chacun de nous vivait.


Cependant, il y a plein d’endroits où je n’ai pas pu rejoindre mon épouse ; et inversement. Quand nous avons senti que cela commençait à affecter notre couple et à abîmer notre relation à Dieu, nous avons décidé de partir marcher ensemble pendant deux mois vers Assise.


En quoi cette épreuve de l’infertilité a-t-elle influencé votre vision du masculin?


Cette épreuve m’a dit quelque chose de la vulnérabilité. Elle m’a permis d’accepter celle-ci. La vulnérabilité permet une humilité, qui nous place à un bon endroit par rapport à soi, aux autres et au divin. Beaucoup de saints m’ont accompagné, notamment saint Joseph. Cette figure m’a marqué dans son acceptation d’une autre forme de paternité et de virilité, de quelque chose qui le dépasse, à savoir une fécondité autre. La patience et le silence de saint Joseph m’ont beaucoup accompagné.


Vous avez utilisé en couple la naprotechnologie – aide médicale à la procréation naturelle –, et vous en parlez, par exemple à travers une sorte de comptine humoristique : « Pic +7, on stoppe les gommettes, on file sous la couette. » Comment avez-vous vécu cette méthode de restauration de la fertilité ?


Nous étions contents qu’il y ait ce genre de possibilité d’être accompagnés. Dans notre cas, nous avons trouvé que la naprotechnologie a été un beau chemin. Les accompagnatrices étaient très délicates et bienveillantes. Cela nous a permis de mieux connaître notre corps, et notamment celui de mon épouse. Ce que j’ai trouvé moins agréable, c’est tout ce travail d’observation des glaires, des prises de sang... J’ai trouvé cela très invasif. Ce n’est pas une solution miracle, mais chaque couple peut en tirer de beaux fruits.


Dans Couleur framboise, vous évoquez souvent la question de l’écologie, en lien avec la parentalité. Que voulez-vous montrer à travers ce regard critique sur une certaine écologie ?


En effet, l’écologie tient une très grande place dans le spectacle. J’interroge notamment le rapport parfois un peu bourgeois et déconnecté du réel de l’écologie. On dit qu’il faut « préserver le vivant, préserver les hérissons », mais on oublie l’homme et la femme. Or, il y a des chiffres alarmants sur l’infertilité, et nos modes de vie ont un impact sur celle-ci.


Pour ma part, j’ai été pétri par l’encyclique Laudato si’. On cantonne parfois l’écologie à des questions de tri, mais il y a quelque chose dans l’écologie qui est évangélique, qui mène à la sobriété.


Votre femme et vous avez vécu plusieurs fausses couches, et vous avez donné un prénom à chacun de ces enfants. Or, à un moment, vous jouez une spectatrice qui dit, un peu lasse : « A la troisième fausse couche, je m’en vais ! » Peut-on rire de tout, même d’événements aussi douloureux que celui-ci ?


Le seul-en-scène Couleur framboise prouve que rire de cela est possible, puisque ce que dit cette spectatrice fait rire la salle. Dans mes spectacles, je ne veux pas me moquer. Cependant, l’humour est un moyen pour faire passer des messages. En parlant avec humour de fausse couche – ou grossesse interrompue, comme on dit aujourd’hui –, je voulais ne pas ajouter du drama au drama, mais plutôt manier l’autodérision.


Depuis, j’ai reçu beaucoup de témoignages de femmes qui se sont retrouvées dans le spectacle. C’est aussi sa fonction cathartique : le théâtre met des mots, extériorise. Cela participe à sa beauté. Cela permet de sortir d’une sorte de torpeur autour de ces sujets. Et puis c’est un spectacle grand public qui s’adresse à tous, concernés ou non par les sujets traités.


Vous racontez deux mois de marche à deux, de Vézelay à Assise (photo ci-dessous). Qu’est-ce que cela a apporté à votre couple ?


D’abord, la possibilité de passer deux mois avec la personne qu’on aime. S’octroyer ce temps est précieux, tout comme se retrouver l’un avec l’autre dans la sobriété. On est loin de la vie parisienne où l’on est parfumé ; là on voit l’autre dans l’effort, la sueur, la difficulté. Cependant, on est aussi dans la beauté, l’émerveillement, la sensation de faire partie de la nature. Cela a changé notre rapport au monde. Avec la figure de saint François, nous avons suivi les routes - rarement goudronnées - qui mènent à Assise.




Dernière question : pour votre spectacle, comment arrivez-vous à apprendre par cœur 1 heure 20 de texte ?


Quand je vois des amis qui travaillent dans l’informatique ou le conseil, je suis à chaque fois étonné de ce qu’ils parviennent à faire, et je me dis qu’à leur place, je n’y arriverais jamais ! C’est un peu pareil pour le métier de comédien. C’est beaucoup de travail, des heures de répétition. Je travaille souvent dans l’urgence, j’ai besoin d’être sur le plateau. J’ai coécrit le texte de ce spectacle, donc cela est plus simple à mémoriser que lorsque je ne suis pas l’auteur. Quand j’y pense, les trente personnages différents de ce spectacle ont chacun une façon de parler et de bouger différente : c’est incroyable d’avoir cette possibilité de créer et d’incarner tous ces personnages ! Propos recueillis par Solange Pinilla


Un spectacle libérateur


Faire rire pendant 1h20 sur le thème de l’infertilité : c’est le pari pour le moins audacieux de Mehdi Djaadi. Et il est réussi : le comédien, qui incarne de nombreux personnages - lui-même, ou en tout cas son double ; les soignants : son épouse ; sa mère ; des personnages un peu archétypaux de la société ; et même une marmotte ! - dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, notamment ceux qui souffrent en silence de l’infertilité. Il parle des trois voix qui subsistent dans sa tête : le musulman, le chrétien - il s’est converti au catholicisme - et l’athée. Après plusieurs représentations en mars, le spectacle Couleur framboise reviendra en juillet 2025 au festival off d'Avignon, et en septembre à Paris et en région. S. P.




(Photo 1 © Stéphane Kerrad - Photo 2 © Coll. particulière)

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