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Charlotte et Philippe, parents confrontés à la maladie psychique



Alors que deux de leurs quatre enfants souffrent de schizophrénie, Charlotte et Philippe Franc racontent leur difficile chemin de parents dans un livre. Évoquant leurs épreuves mais aussi leurs joies, ils souhaitent mieux faire connaître les maladies psychiques, souvent entourées de silence et de honte.



Vous discutez avec une personne. Sans vous douter qu’elle éprouve des angoisses envahissantes. C’est le propre d’un handicap invisible : celui-ci ne se voit pas au premier regard. Et pourtant, il se peut que cette personne ne parvienne pas à gérer seule ses émotions et son stress et qu’elle ait un rapport altéré au réel, notamment en raison de dysfonctionnements neuronaux.


Loin du cliché du « fou furieux », les maladies psychiques – schizophrénies, troubles bipolaires ou encore borderline, troubles obsessionnels compulsifs, dépressions chroniques sévères – sont encore l’objet d’un tabou. Plus difficiles à cerner que le handicap mental, elles susciteraient moins la compassion.


Dans L’espérance est un chemin escarpé (Mame), Philippe et Charlotte Franc, qui ont aujourd’hui près de 80 ans, témoignent de leur itinéraire avec deux de leurs enfants, Brigitte et Benoît, atteints de formes de schizophrénie. Ecrivant sous un nom d’emprunt pour préserver la vie privée de leurs enfants, ils souhaitent notamment souligner les conséquences de ces maladies sur le quotidien des proches.


Philippe et Charlotte se marient en 1963. Leur fille Catherine naît l’année suivante, puis une deuxième fille, Brigitte. A l’âge de 5 mois, celle-ci est victime d’une syncope, suivie d’autres dans les années suivantes. « Puis vint l’école maternelle, raconte Charlotte. Brigitte présentait des difficultés de logique, d’apprentissage, de latéralisation... ». La petite fille suit alors des séances d’orthophonie et de psychomotricité ; elle intègre quelques années plus tard une école hors contrat, plus adaptée à ses besoins, provoquant un déménagement familial.


Le couple a également deux fils : Benoît et Éric. Quand le premier arrive en Seconde, son comportement évolue : ses résultats scolaires baissent, il a moins d’amis, et finalement, un matin, il reste au lit et refuse définitivement d’aller au lycée. Déboussolés par ces changements soudains, voyant leur fils arrêter sa scolarité et s’isoler de plus en plus, Charlotte et Philippe décident d’aller consulter un psychiatre. Celui-ci déclare que l’état de leur fils est grave, confirmant ainsi l’intuition de la mère. « Il s’agissait bel et bien d’une maladie, et non pas d’une crise d’adolescence », conclut celle-ci.


Dès le début du suivi de Benoît, le psychiatre invite les parents à préserver absolument leur vie de couple, menacée par les réactions décalées et violentes de leur fils. Philippe et Charlotte décident donc de partir en week-end ensemble une fois par mois, coûte que coûte, pour se détendre et surtout ne pas parler des problèmes. « Je crois que nous devons à ce médecin de nous avoir sauvé la vie à tous les trois », affirme Charlotte.


Commencent des années très difficiles pour la famille. Benoît accepte finalement d’être suivi en thérapie par un psychiatre, et de prendre un traitement médicamenteux, n’étant heureusement pas dans le déni de sa maladie. Il intègre un lycée hors contrat ­- qui met les finances familiales à sec -, puis commence des études, qui se soldent par un échec.


Il a tendance à se faire « exploiter » par des personnes malintentionnées, à ne pas se rendre à ses rendez-vous médicaux, à se mettre en danger ; désespéré, il tente de mettre fin à ses jours. Ses parents arrivent à entretenir des liens avec lui, mais ses sœurs et son frère se sentent menacés par son comportement imprévisible. Benoît fait de nombreux petits boulots mais reste rarement longtemps. Ses employeurs ont tendance à « oublier » son handicap et la pression est trop forte pour lui.


Aujourd’hui âgé de plus de 50 ans, Benoît a trouvé un travail à temps partiel auprès des personnes âgées, comme homme de ménage. « Il est bien stabilisé et peut avoir une vie quasi normale », racontent ses parents. Il a épousé Amina, qui est consciente de ses troubles psychiques et l’aime tel qu’il est ; ils ont deux enfants. Il confie parfois à sa mère :  « Tu sais, Maman, c’est dur de vivre avec une maladie psychique et d’avoir des médicaments à vie ».


Quant à Brigitte, elle a également vécu des hauts et des bas, se mettant elle aussi en danger, souffrant d’angoisses et d’obsessions ; il lui arrive d’appeler ses parents dix fois en une journée pour leur demander de l’argent de poche. Après un BEP, elle a réalisé de nombreuses tentatives professionnelles. Ses parents ont cherché pour elle des lieux de vie adaptés à ses besoins, qui se sont le plus souvent avérés insuffisants. Elle vit maintenant dans un Foyer d’accueil médicalisé, où elle se sent entourée et en sécurité.


Bouleversés et déroutés pendant ces années de lutte, Charlotte et Philippe ont trouvé une joie dans la décision de regarder les richesses intérieures de leurs enfants malades psychiques ; par exemple, la belle vie spirituelle de Brigitte. Ils ont mis leurs connaissances de la maladie psychique au service de l’Unafam, association qui aide les familles et amis de personnes malades ou handicapées psychiques, grâce à des permanences d’écoute notamment.


Charlotte évoque cette souffrance des proches de personnes malades psychiques, réalité cachée et très difficile à vivre : « Qu’il est douloureux de rentrer chez soi après le travail et de trouver le séjour sens dessus dessous, de respirer la fumée de cigarettes accumulée depuis le matin, d’être critiqué dès que l’on essaye de mettre des limites, de voir son proche au lit depuis que l’on est parti le matin, ayant grignoté tous les paquets de chips ou bu toutes les bouteilles de vin... ».


Philippe et Charlotte ont favorisé l’accueil de personnes malades psychiques dans leur Maison paroissiale. Ils ont rejoint le mouvement chrétien qui s’appelle aujourd’hui Relais Lumière Espérance, accueillant les familles de personnes malades psychiques. Philippe raconte : « La foi ne m’amenait pas au "grand" miracle, mais à l’un ou l’autre des petits miracles quotidiens qui rendent la vie de tous les jours supportable, et le regard sur nos proches malades différent, souvent apaisé ».


La maladie de leurs enfants a permis au couple de savoir prendre du recul, de faire face à l’imprévu, d’accueillir les autres sans jugement et de se réjouir des petites choses. « Alors, tous les gestes d’amour, de bienveillance que nous échangeons entre nous prennent une grande importance et suscitent une joie bien plus profonde que tous les loisirs les plus fabuleux. » La grâce se cache dans le quotidien... Solange Pinilla



Crédit photo : Rachel Vine/Pexels.com CC


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