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Zélie Martin, une sainte dans le monde


(c) Astrid Clérel pour Zélie

Pour la première fois, en 2015, un couple a été canonisé par l’Église. Pourquoi dissocier les époux Martin et ne parler ici que de Zélie ? Si c’est par le mariage que Louis et Zélie on trouvé leur chemin de sanctification, chacun d’eux a eu son histoire et ses qualités propres.


Zélie Martin, femme énergique, dentellière assidue, épouse comblée, mère de neuf enfants dont quatre au Ciel, morte en 1877 d’un cancer du sein à l’âge de 45 ans, était une femme ordinaire dans le contexte social et historique où elle a vécu. Elle a pourtant vécu de manière extraordinaire cette vie ordinaire, en mettant Dieu à la première place, la foi chevillée au corps et pleine d’abandon à la Providence divine - ce dont s’inspira une certaine Thérèse.

« De taille un peu en dessous de la moyenne, le visage très joli et d’une expression toute pure, les cheveux bruns sobrement noués, le nez long et de ligne harmonieuse, les yeux noirs pétillants de décision, où passait par moments une ombre de mélancolie, la jeune fille avait de quoi plaire » : on ne peut que trouver délicieuse cette description de Zélie par le Père Piat, premier biographe des époux Martin qui s’est fondé sur le témoignage de leur fille Céline. Et en lisant les biographies des Martin, on est frappé par le caractère ordinaire de leurs existences, leurs préoccupations familiales et sociales souvent proches des nôtres.

Zélie Guérin - Azélie de son vrai prénom -, née en 1831 à Saint-Denis-sur-Sarthon (Orne) du mariage d’Isidore Guérin et de Louise-Jeanne Macé, est d’abord une petite fille comme bien d’autres, c’est-à-dire pas très heureuse : « Mon enfance, ma jeunesse ont été tristes comme un linceul » (1) confiera-t-elle à son frère. Sa mère préfère sa grande sœur, Marie-Louise dite Élise, et son petit frère Isidore. Zélie devient élève chez les sœurs de l’Adoration perpétuelle des religieuses de Picpus à Alençon où ses parents ont déménagé alors qu’elle avait treize ans. Elle porte secours et nourriture aux plus pauvres. Zélie est vite attirée par la vie religieuse apostolique, elle demande à rentrer chez les Filles de la Charité ; la réponse de la supérieure est claire : c’est non. Zélie, quoique déçue, accepte cette décision et choisit la voie du mariage.

Elle s’inscrit à l’École dentellière, qui fait le renom de la ville d’Alençon depuis le XVIIIe siècle. C’est là qu’elle fait la connaissance de Fanie Martin, mère de Louis. En avril 1858, alors que Zélie a 26 ans, elle rencontre un bel homme sur le Pont Saint-Léonard à Alençon, tandis qu’une voix intérieure murmure à l’oreille de son cœur : « C’est celui-là que j’ai préparé pour toi. » Hélène Mongin fait remarquer dans sa biographie Louis et Zélie Martin. Les saints de l’ordinaire (Éditions de l’Emmanuel) : « Certains jeunes en période de discernement pourront envier une telle clarté… Mais n’oublions pas que Zélie, tout comme Louis d’ailleurs, a cherché, fait tout ce qu’elle pouvait, traversé des déserts pour trouver sa vocation ; et surtout, elle avait le cœur assez disponible pour entendre ainsi la voix de l’Esprit. »

Ils se marient le 12 juillet, dans l’intimité. Le jour même, ils vont visiter la sœur de Zélie qui est entrée à la Visitation au Mans. Zélie confiera qu’elle a beaucoup pleuré ce jour-là : d’abord par nostalgie du cloître, mais aussi parce que Louis l’informe des réalités de la vie conjugale – à l’époque, nombre de jeunes femmes apprenaient l’existence de la sexualité lors de leur nuit de noces -, et que Louis lui propose de garder la continence dans l’état du mariage. Il pense en effet qu’un mariage vécu dans la virginité, à l’image de Marie et Joseph, peut être une belle voie de sainteté, à défaut de vie consacrée. Zélie accepte, convaincue, et par là même renonce à la maternité : comme certains l’ont remarqué, cela fait beaucoup d’émotions en un seul jour !

Au bout de dix mois de mariage, cependant, un confesseur les pousse à vivre intégralement leur vocation d’époux et de parents. Quatre enfants arrivent d’abord : Marie en 1860, Pauline en 1861, Léonie en 1863 et Hélène en 1864. Zélie est une mère heureuse : « Moi, j’aime les enfants à la folie, j’étais née pour en avoir. » (CF 83) Des jours plus sombres arrivent ; en 1866, leur petit Joseph-Louis meurt d’entérite à l’âge de cinq mois. Puis le bébé suivant, Joseph-Jean-Baptiste, décède en 1868, suivi dix jours plus tard du père de Zélie, qui vivait avec eux depuis peu. En 1870, leur petite Hélène âgée de cinq ans meurt à son tour, deuil le plus douloureux : « Je vous assure que je ne tiens guère à la vie. Depuis que j’ai perdu cette enfant, j’éprouve un ardent désir de la revoir » confie Zélie (CF 54).

La série noire n’est pas terminée puisque l’été suivant, une petite Mélanie-Thérèse naît ; confiée à une mauvaise nourrice qui la sous-alimente – Zélie ne pouvait plus allaiter ses enfants, sans doute à cause de son cancer naissant -, elle meurt quelques semaines plus tard. « Au XIXe siècle, la mortalité infantile des nourrissons privés d’allaitement maternel était de plus de 40 %, peut-on lire dans Louis et Zélie. La sainteté à portée de main du Père Olivier Ruffray (éditions de l’Emmanuel). Les biberons, parfois en métal, n’étaient pas stérilisés ; le lait de vache, trop riche, coupé avec de l’eau insalubre, n’était pas pasteurisé. Louis et Zélie s’efforcent de trouver des mères nourricières de confiance pour leurs enfants. Les nourrices n’étaient pas contrôlées avant 1874. »

Fin 1870, c’est la guerre et 25 000 Prussiens arrivent à Alençon ; la famille Martin doit accueillir des soldats. Zélie vit ces épreuves avec beaucoup de courage et de résignation, c’est-à-dire d’abandon à la Providence : « Dieu n’en donne jamais au-dessus des forces. (…) J’étais cependant accablée de travail et de soucis de toute espèce, mais j’avais cette ferme confiance d’être soutenue d’en haut. » (CF 98) Dernière enfant du couple, la petite Thérèse, aujourd’hui connue dans le monde entier, naît en 1873.

Zélie n’a rien d’un être éthéré et vit les émotions de toute mère de famille. « Dotée d’une vive intelligence, franche et spontanée dans la communication, Zélie gère sa vie avec réalisme et bon sens. Courageuse, dynamique, souvent enthousiaste dans l’accomplissement de ses activités quotidiennes, elle déborde de tact, de délicatesse et d’affection pour son entourage » raconte Jean Clapier dans Louis et Zélie Martin. Une sainteté pour tous les temps (Presses de la Renaissance). C’est d’abord à son mari que va tout son amour : « Je sens encore redoubler mon affection par la privation que j’éprouve de ta présence ; il me serait impossible de vivre éloignée de toi » (CF 108) écrit-elle lors d’une absence de son mari, après quinze ans de mariage. En 1870, Louis va d’ailleurs abandonner son métier d’horloger pour se consacrer à l’entreprise de sa femme.

Par ailleurs, Zélie use de son pragmatisme dans son rôle d’éducatrice, disant à propos de Pauline : « Il faut te dire que je ne l’ai pas gâtée et que, toute petite qu’elle était, je ne lui passais rien, sans cependant la martyriser, mais il fallait qu’elle cède. » (CF 44) La plus difficile à élever est Léonie, au caractère indomptable. De plus, Louis doit parfois s’absenter pour le commerce de dentelle de sa femme : « Je suis seule depuis trois jours avec cette petite marmaille ; la bonne est dans sa famille, j’ai avec cela un rhume terrible qui me donne la fièvre. C’est à peine si je puis me tenir debout... » (CF 25)

Si Zélie mène une vie de foi intense, elle n’est pas pour autant une mystique inondée de consolations spirituelles : « Il y avait un sermon, mais je ne sais pas sur quoi l’on a prêché, tant j’étais absorbée dans mes pensées. » (CF 128) Par ses soucis de travail, sa fatigue, sa vie familiale et sociale, Zélie vit résolument dans le monde. Elle n’a pour autant pas l’esprit du monde, celui de l’orgueil et de la tiédeur. Son objectif est simple : « Je veux devenir une sainte. » (CF 110) Et ses moyens de sanctification, connus de tous ; d’abord, l’eucharistie quotidienne, et la communion fréquente, ce qui à l’époque était peu courant. Zélie s’y rend même dans les dernières semaines de sa vie, rongée par le cancer et n’ayant plus de force. Membre du tiers-ordre franciscain, un monastère de clarisses étant proche de chez eux, Zélie suit les jeûnes, observe le repos dominical en dépit de sa parfois lourde charge de travail, fait ondoyer ses enfants juste après leur naissance.

Son abandon à la volonté de Dieu augmente : alors qu’au début elle suppliait Dieu d’avoir un fils prêtre, elle accepte finalement de ne pas en avoir…. Elle sera récompensée avec ses cinq filles religieuses ! - même si elle mourra trop tôt pour les voir entrer au couvent. Enfin Zélie exerce une grande charité autour d’elle : les premiers mois de mariage, elle et son mari accueillent quelque temps le fils d’un père de dix enfants ; elle délivre une petite fille maltraitée par deux fausses religieuses ; elle héberge souvent des pauvres et leur donne de l’argent, apprenant à ses filles à les aimer.

En 1876, Zélie Martin ressent de fortes douleurs au sein, et apprend qu’elle va sans doute bientôt mourir. Comble de charité, c’est elle qui console sa famille effondrée par la nouvelle. Elle va à Lourdes dans l’espoir de guérir, en vain. Elle meurt dans la nuit du 27 au 28 août 1877, entre son mari et son frère. Ses derniers mots écrits furent : « Si la Sainte Vierge ne me guérit pas, c’est que mon temps est fait et que le bon Dieu veut que je me repose ailleurs que sur la terre... »Solange Pinilla

(1) Louis et Zélie Martin, Correspondance familiale, 1863- 1885, éd. du Cerf, lettre 15. Nous citerons ce livre sous le sigle de CF, suivi du numéro de la lettre.

Article paru dans Zélie n°2 (octobre 2015)

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