Missionnaires sexagénaires en cité
Alors que pour beaucoup la retraite rime avec délassement, Pierre et Isabelle Chazerans ont opté pour 5 ans de mission en cité. Expérience décapante qu’ils relatent dans un livre.
Ils ont failli appeler leur récit Deux bourges en cité ! Rien ne prédisposait en effet ces parents de 7 enfants, issus de milieux aisés et catholiques pratiquants, à s’aventurer dans le monde a priori peu avenant des « quartiers chauds ». Rien sinon l’appétence de Pierre pour le Maghreb où il a passé les dix premières années de sa vie et emmené sa dulcinée en voyage de noces.
Dès 2003, l’idée d’aller poser ses valises dans ces lieux sensibles lui traverse l’esprit... D’abord très réticente, Isabelle, enseignante en lettres classiques, laisse cheminer en elle cette folle proposition dix années durant. Et surprend son époux en acquiesçant à son désir de démissionner de son poste de DRH, à 61 ans, pour partir en mission.
Après quelques tâtonnements, le couple rejoint l’association catholique d’éducation populaire Le Rocher : en quittant leur maison aixoise pour les Mureaux (Yvelines) en septembre 2014, ils sont loin d’imaginer qu’ils ne la reverront que 5 ans plus tard. Car très vite, en dépit des obstacles rencontrés, ils s’attachent à ce monde bigarré, majoritairement musulman, où la solidarité familiale et communautaire joue à plein : « Un monde sans filtres, sans masques, d’une très grande richesse humaine ». Après 36 mois en Île-de-France, ils rempilent pour une année à Rillieux-la-Pape, en banlieue lyonnaise et une autre à Nîmes.
Dieu sait que la tentation de baisser les bras ne les a pas épargnés. « Je me suis souvent demandée si notre présence avait un sens », admet Isabelle. Épaulé par des volontaires dont la jeunesse et l’ardeur les portent, le duo de « cheveux blancs » ne se laisse pas arrêter par le trafic de drogue impuni, le laxisme de la justice, l’ampleur du chômage, l’assistanat, le communautarisme, la misogynie, la radicalisation de jeunes tentés par le salafisme... Et encore les cafards ou les puces de lit !
Porte-à porte, animation de rue, aide au travail scolaire, cafés de mamans, repas partagés, scoutisme, visites culturelles au château de Versailles ou sur les traces de Jeanne d’Arc... Le couple veut croire qu’il est possible de faire germer l’espérance en cité, de favoriser le dialogue inter-religieux, de tisser des liens d’amitié avec ces hommes et femmes si différents d’eux. Plusieurs anecdotes relatées dans leur livre Oser la rencontre (éditions Emmanuel) prouvent que leur pari a porté de beaux fruits, même s’il faut bien souvent « accepter d’être des serviteurs inutiles ».
Rôdé par 20 ans d’expérience, Le Rocher sait combien la mission des volontaires est complexe. Aussi propose-t-il un arsenal spirituel de choc pour tenir le coup, en puisant à la Source : messe, adoration et louange quotidiennes.
Et le couple dans tout ça ? « Au début, confie Isabelle, c’était comme une nouvelle lune de miel. Nous n’avions jamais tant été ensemble. Puis, notre relation a été éprouvée par cette promiscuité et la densité du rythme quotidien. Mais au final, nous nous sommes découverts l’un l’autre comme jamais après 40 ans de mariage. »
Depuis sa sortie, le livre rencontre un vif succès... « S’il pouvait susciter des vocations à la pelle, ce serait formidable ! » Raphaëlle Coquebert
Photo © Louise Hazelard
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