Anne : « Chaque mois, c’est plus compliqué financièrement »

Confrontée à la précarité, Anne (en photo), son mari et leurs deux enfants vivent de peu. Elle nous raconte son quotidien et ses incertitudes.
Zélie : Quelles sont vos sources de revenus ?
Anne : Mon époux est en invalidité, il perçoit à ce titre une pension, et il est également petit paysan. Moi-même, je m’occupe de mes enfants, notamment mon fils aîné qui est en situation de handicap, et j’ai arrêté de travailler afin de pouvoir l’instruire dans la famille suite à ses difficultés scolaires, et pour assurer le suivi par des professionnels. J’ai à ce titre une aide de la PCH (Prestation de compensation du handicap).
Tout mis ensemble, ce n’est pas évident financièrement, surtout avec un crédit logement à rembourser, que nous avions contracté à l’époque où nous étions tous deux salariés et n’avions pas d’enfants. La situation a bien changé, nous essayons de tenir ce crédit.
Dans quelle région habitez-vous ?
Nous habitons dans les Alpes-Maritimes, à la campagne. Cela nous permet d’avoir un potager, des oliviers pour l’huile et des poules. Mais en contrepartie, une voiture est indispensable.
Dans cette situation à petit budget, qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous ?
Le plus difficile est lié à l’inflation, c’est chaque mois plus compliqué. Après avoir retiré les dépenses difficilement réductibles, il ne reste plus rien. C’est compliqué de ne pas pouvoir faire une sortie en famille payante, de devoir faire sans cesse attention en se posant la question : est-ce vraiment utile ? En avons-nous vraiment besoin ou peut-on s’en passer et faire autrement ? Il y a comme cela des livres que j’aimerais lire avec mon fils aîné, car de qualité et intéressants pour son instruction, mais que j’ai mis de côté depuis trois ans, car je ne les trouve pas en occasion. Ce n’est pas une dépense indispensable, elle passe donc après d’autres priorités.
Pour Noël par exemple, j’achète les cadeaux d’occasion durant l’année. Cette année, j’étais heureuse d’avoir encore de côté quelques cadeaux que je n’avais pas offerts l’an dernier aux enfants. Mon mari m’a offert une casserole dont j’avais besoin. Cela peut prêter à rire, mais j’en étais très heureuse.
Quelles sont vos causes d’incertitude ?
Ce qui nous pose le plus d’incertitudes est l’avenir face à l’inflation grandissante actuelle. Régulièrement, les coûts des besoins essentiels tels que l’eau, l’électricité, l’essence et la nourriture, augmentent. Notre budget est déjà compliqué, chaque augmentation ajoute une nouvelle difficulté qui n’entre pas dans nos possibilités et nous devons essayer de prendre ailleurs les quelques euros manquants.
Avant l’interview, vous nous avez parlé d’« extrême galère ». Pourriez-vous donner un exemple ?
Un moment d’extrême galère, cela a été lorsque j’ai eu un accident de moto en me rendant à mon travail. C’était à la mi-septembre il y a quelques années. J’avais repris un emploi pour subvenir à nos besoins, et scolarisé mon fils aîné qui est handicapé. Il essayait sans cesse de s’enfuir de l’école, mais financièrement j’étais obligée de travailler.
Je me suis retrouvée durant quelques temps en fauteuil roulant, suite à une fracture. Au mois de février suivant, je ne percevais toujours absolument rien de l’assurance maladie, mon dernier mois de salaire était celui du mois d’août, car je n’avais pu travailler qu’une semaine en septembre. Mon fils avait dû arrêter l’école pour des raisons de sécurité, nous avions épuisé toutes nos économies.
Moralement, cela devenait aussi difficile, et le handicap de mon fils n’était pas encore reconnu à l’époque.
Je me suis tout d’abord rendue aux restaurants du cœur, qui m’ont dépannée d’un sac de provisions. Mais nous n’y avions pas droit, à quelques euros près, car le salaire habituel, que je ne percevais pas, rentrait dans l’équation.
Je suis allée voir une assistante sociale pour chercher de l’aide ; il faut, dans ce cas, mettre sa fierté de côté. Elle a pu me débloquer l’accès à une épicerie solidaire pour 6 mois. Cela nous a bien aidés, mais n’était pas suffisant. Les aides sont généralement calculées sur les salaires de la deuxième année antérieure, nous n’avions droit à rien d’autre que l’épicerie. Mais c’était déjà ça.
Heureusement mes parents nous ont prêté un peu d’argent pour tenir, notamment pour continuer à payer les traites de la maison, et lorsque les indemnités de mon arrêt de travail sont venues compenser le salaire nul, nous avons pu souffler un peu de nouveau.
A la campagne, avec une maison un peu à l’écart et aucun transport en commun, pour se rendre à l’épicerie solidaire par exemple, c’est 30 minutes aller de route en voiture. Il faut donc prévoir un budget d’essence et d’entretien que nous n’aurions peut-être pas en ville dans un HLM. C’est un coût non négligeable également, mais un choix de vie.
Quelles sont vos astuces dans cette situation précaire ?
Voici mes rares astuces : acheter chez le primeur les paniers de fruits et légumes à consommer rapidement, les conserver en bocaux ou autre pour réduire le budget alimentation qui est conséquent, ou faire fonctionner en décalé les lave-linge et lave-vaisselle aux heures creuses. Planter un potager. Et acheter uniquement de l’occasion dans des boutiques de revente « pour les pauvres » style association ou ressourcerie, pour ce qui concerne les vêtements. L’occasion ou les dons pour les meubles également, en cas de besoin.
J’avais essayé les restaurants du cœur, mais ils ne proposent quasiment aucun produit frais et nous essayons de faire attention à notre alimentation. Dans un moment d’extrême galère, cela dépanne tout de même. Les épiceries solidaires sont aussi une bonne solution, mais il faut l’accord d’une assistante sociale pour y accéder. L’entraide ou échange de services est également d’une grande aide et réchauffe le cœur. Propos recueillis par Solange Pinilla
(Photo © Coll. particulière)
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