top of page

Birthe et Jérôme Lejeune, serviteurs de la vie


Des milliers de lettres témoignent du lien profond qui unissait le généticien Jérôme Lejeune, principal découvreur de la trisomie 21, et son épouse Birthe. Celle-ci a été rappelée à Dieu en mai 2020.

Nous sommes en 1950, à la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris. Birthe, une jeune Danoise aux yeux noirs, venue à Paris pour apprendre le français, se tourne vers son voisin : « N’auriez-vous pas un stylo, monsieur ? » Celui-ci, étudiant en médecine aux yeux bleus, lui répond : « Bien sûr, mademoiselle. » C’est le coup de foudre.

Birthe Bringsted et Jérôme Lejeune, car tels sont leurs noms, viennent pourtant de deux mondes différents. Birthe, fille unique d’une famille modeste, est née en 1928 à Otterup au Danemark ; elle est luthérienne. Jérôme, né à Montrouge près de Paris en 1926, vient d’une famille catholique et bourgeoise. D’ailleurs, au bout de quelques mois, la relation entre les deux amoureux cesse : ils sont si différents...

Puis ils se revoient en janvier 1952 et « comprennent qu’ils ne peuvent plus vivre l’un sans l’autre », comme le raconte Aude Dugast, dans son livre Jérôme Lejeune, la liberté du savant (Artège), dont nous nous inspirons pour cet article. Birthe et Jérôme se marient au Danemark peu après, en comité restreint, Birthe s’étant convertie au catholicisme entre temps.

Ils s’installent à Paris rue Galande, près de Notre-Dame, au départ dans des pièces vétustes et peu confortables, puis au fil du temps, ils aménageront d’autres parties afin d’accueillir leurs cinq enfants : Anouk, Damien, Karin, Clara et Thomas. Leur mode de vie sera simple et leur maison accueillante.

Si Birthe choisit de se consacrer entièrement à l’éducation de leurs enfants, elle n’en demeure pas moins une coéquipière et un soutien actif de l’œuvre de Jérôme. En effet, ce jeune médecin devient chercheur au CNRS avec le professeur Raymond Turpin, et soigne dans son service des enfants mongoliens, comme on les appelait à l’époque. Son objectif est de les guérir. Il écrit à Birthe : « Ce sera un but passionnant qui nous demandera de grands sacrifices, ma Chérie, mais si tu es d’accord pour accepter une vie assez précaire mais vie juste et saine, basée sur cet cet espoir-là, je suis sûr que nous y arriverons (Je dis « nous » car c’est seulement si toi aussi tu marches, si tu m’aides, que j’arriverai à quelque chose) » (lettre à Birthe du 25 avril 1952).

En 1958, Jérôme dénombre chez ses patients un chromosome en trop – un troisième chromosome s’ajoutant à la plus petite paire – et découvre ainsi avec son équipe la cause génétique de cette maladie, qu’on appellera désormais la trisomie 21.

Cette découverte, ainsi que ses autres travaux, lui valent une reconnaissance mondiale ; Jérôme est désormais invité dans le monde entier pour des congrès et conférences : États-Unis, URSS, Allemagne, Italie... Il reçoit de nombreux prix, des nominations, des offres de postes à l’étranger et son nom circule même pour le Nobel. Il partage son temps entre les consultations avec ses « petits patients », la recherche médicale et l’enseignement – il devient même un temps doyen de la Faculté de médecine des Cordeliers à Paris. En 1983, il sera élu à l’Académie des Sciences morales et politiques (photo).

Pendant toutes ces années et jusqu’à sa mort, Jérôme, quand il est en déplacement, ou séparé de sa femme partie en vacances au Danemark avec les enfants tout l’été, lui écrit quasi quotidiennement pour lui raconter sa journée et prendre de ses nouvelles, commençant par « Ma petite Chérie » et signant « Ton Jérôme qui t’aime », elle-même écrivant « Mon Jérôme chéri ». Ils échangent ainsi plus de 2000 lettres – soit 40 années d’histoire, que Birthe gardera précieusement dans une valise –, et le reste du temps, discutent beaucoup ensemble. Jérôme revient chez lui le midi pour déjeuner et est à la maison pour le dîner familial ; il lui arrive de refuser des sollicitations pour privilégier son épouse et ses enfants.

Dans une lettre de 1961, il écrit à Birthe depuis Rome où il participe à un congrès de génétique et où il s’est recueilli à la basilique Saint-Pierre : « Je suis honteux de voir de si belles choses tout seul quand je pense au plaisir que tu aurais à être là et au bonheur que serait pour moi de t’avoir à mes côtés. C’est si bon de pouvoir tout partager avec toi. ». Leurs personnalités sont très complémentaires, Birthe étant dynamique et pragmatique, Jérôme brillant et plus distrait.

A cette époque a lieu le débat sur la légalisation de l’avortement – qui sera autorisé en 1975 –, et Jérôme craint beaucoup que sa découverte, dans un contexte d’eugénisme renaissant, ne provoque l’élimination des enfants trisomiques in utero. Il va donc prendre position publiquement, dans des conférences et dans les médias, contre la suppression de ces malades sous prétexte de supprimer leur maladie. Birthe accompagne désormais Jérôme à ses conférences et déplacements, leurs enfants ayant grandi.

Même si Jérôme sera l’objet de menaces de militants et d’une mise à l’écart par une partie de son milieu professionnel, il demeure ferme dans son combat contre l’élimination des enfants trisomiques. Le couple a également conscience de la nécessité d’une aide pour les femmes confrontées à une grossesse non désirée, et les deux époux sont à l’origine de la Maison de Tom Pouce, une maison d’accueil pour les mères et futures mères en difficulté.

C’est également ensemble qu’ils se rendent de nombreuses fois à Rome, Jérôme étant devenu expert pour le compte du Saint-Siège ; ils deviennent même amis du pape Jean-Paul II – celui-ci se rendra personnellement sur la tombe de Jérôme en 1997 ! En 1994, Jérôme devient le premier président de l’Académie pontificale pour la vie. Il meurt cette même année d’un cancer du poumon, à l’âge de 67 ans. Le Noël précédent, il était entouré de ses enfants : quatre se sont mariés, donnant naissance, à ce moment-là, à 17 petits-enfants, et l’un de leurs fils est devenu diacre permanent.

Birthe, jusqu’à son décès récent, le 6 mai 2020, à l’âge de 92 ans, a continué l’œuvre commune en créant avec son gendre Jean-Marie Le Méné la Fondation Jérôme-Lejeune, dont elle a été longtemps vice-présidente, et qui est dédiée au soin, à la recherche et à la défense de la dignité des personnes handicapées mentales. En 2017, Birthe a été nommée membre d’honneur de l’Académie pontificale pour la vie. Quant à son époux, sa cause de béatification a été ouverte en 2007. Elise Tablé

Crédit photo © Collection privée de Birthe Lejeune

Derniers articles
bottom of page