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L’art de conter, ou la voix de l’imaginaire


Le conteur partage une histoire, sans autre support que ses connaissances et les images qui l’habitent. Sa voix exprime tout : les personnages, les situations, ou encore l’ambiance. Sonia Koskas (photo), conteuse professionnelle depuis presque 30 ans, auteur de livres de contes tels que « Les deux blanchisseuses et le prophète Élie » ou « Histoires du roi des devinettes », nous fait découvrir un métier, qui incarne l’essence orale du conte.

Zélie : Qu’est-ce qui vous a amenée à devenir conteuse ?

Sonia Koskas : J’ai toujours aimé lire des contes. Alors que j’étais institutrice dans les années 1990 et formatrice aux CEMEA (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active), j’ai participé à une formation au Bafa qui utilisait les contes. J’ai ainsi découvert que je connaissais déjà beaucoup de contes, et j’ai lancé au sein de cette association un groupe dédié aux contes. J’ai commencé à conter comme amatrice, puis en scène ouverte, dans des festivals...

En 1995, j’ai décidé de me professionnaliser, et j’ai continué à me former auprès de conteurs. Je viens raconter dans les médiathèques, les festivals, en balade contée, à domicile. Je conte aussi dans les musées. Le conte est une forme toute légère, où l’on est seul – ou à deux -, sans décor, et où l’on n’a besoin de rien d’autre que de sa voix !

Quels contes figurent dans votre répertoire ?

Je me suis spécialisée dans les contes de la Méditerranée : du Maroc au Liban, les contes juifs et les contes arabes. Étant juive tunisienne d’origine – je suis née en Tunisie mais j’ai vécu principalement en France -, je me considère comme témoin de cette culture que j’ai appris à connaître. Ce sont des contes pour les adultes, et pour les enfants à partir de 6 ans environ. Concernant les enfants de maternelle, mon répertoire comprend des contes d’origines diverses.

Pour le tout public, je peux raconter des provinces de France, ou encore du Japon... Il y a parfois une région que j’ai l’impression de connaître profondément, comme l’Inde : j’y ai fait un voyage et je m’y suis sentie chez moi. J’ai ensuite conté avec une compagnie de musique hindoustanie. Mais ce niveau de connaissance n’est pas aussi abouti pour moi que celle de la culture méditerranéenne.

Comment apprenez-vous un conte ?

Ce n’est pas un apprentissage par cœur, car le conteur ne fait pas un travail de récitant. Il s’agit d’extraire la trame du conte, de l’assimiler, de visualiser les images, et d’improviser oralement sur cette trame pour susciter des images dans la tête du public.

Le récit se met en bouche, en corps, en ressenti émotionnel. En tant que conteur, il faut du temps pour comprendre ce que le conte nous dit et imprime en nous. Dans l’atelier que je propose tout au long de l’année, nous ne travaillons que deux contes en un an. Au fil du temps et de mes documentations, ce film et ces images visuelles, sonores et affectives que je me suis faites à propos d’un conte, évoluent très légèrement à la manière d’un kaléidoscope.

Comment avez-vous trouvé la voix de conteuse qui vous est propre ?

La question s’est posée très tôt pour moi, car dans ma jeunesse, j’ai fait du chant et des études de musique. J’avais une voix qui se plaçait bien, mais avec trop d’aigus. En devenant conteuse, comme j’avais besoin d’avoir un outil plus ample, une voix professionnelle – de la même façon qu’un violoniste professionnel a un besoin d’un vrai instrument de luthier. J’ai fait des stages avec des comédiens du Roy Hart Theatre. J’y ai fait un travail sur le corps, ce qui est très éprouvant et peut provoquer des larmes. Au fil des ans, ma voix est devenue plus grave, notamment en raison de l’âge – j’ai 64 ans.

J’ai aussi appris à exprimer les émotions des contes, car le conteur donne à voir et à entendre lui-même tous les personnages et toutes les situations. Il les exprime avec sa voix à lui. Ainsi, je ne vais pas faire la grosse voix du loup et la petite voix de la petite fille, ce serait trop stéréotypé. Pour faire la voix du méchant, je vais plutôt utiliser la voix de la part méchante en moi, en quelque sorte. De même, pour faire une voix masculine, je vais poser une intention et imaginer celle-ci, mais cela passera par ma voix de femme. Par ailleurs, je ne fais pas plus de deux spectacles dans la journée, car comme n’importe quel muscle, la voix fatigue.

Vous êtes aussi formatrice à l’art de conter. Est-ce qu’il y a des conseils que vous donnez plus fréquemment ?

Lors des cours collectifs, je vois que certaines personnes ont spontanément la démarche du conte, comme l’on raconte une histoire qui nous est arrivée ; tandis que d’autres sont plus ampoulées et crispées. En fait, le langage du conte est le langage de la vie !

Concernant certains, je leur fais travailler la voix, afin qu’elle ait plus de portée. Je fais aussi améliorer l’articulation, notamment par les jeux de « virelangues », tels que la phrase « Si 6 scies scient 6 cyprès, 606 scies scient 606 cyprès ». Nous travaillons aussi la respiration : celle de notre corps, mais aussi celle de la phrase, comme dans une phrase musicale.

Avec la pandémie de coronavirus, la période est difficile pour les artistes... Comment cela se passe-t-il pour vous ?

Depuis le 14 mars, toutes les dates ont été annulées, et ce pour l’instant jusqu’en juillet. Des interventions prévues en septembre ont été reportées en janvier... Aller conter finit par me manquer vraiment ! Pendant le confinement, beaucoup de conteurs ont fait des live Facebook ou conté par visioconférence. Pour ma part, j’ai enregistré deux contes sur mon site, dont l’un à partir d’un petit conte assez connu. Celui-ci raconte que la peste arrive dans une ville ; on lui demande combien elle fera de victimes. « 500 », répond-elle. Or, 1000 personnes meurent. « Et les 500 autres ? », demande-t-on. La peste répond : « C’est la peur qui les a fait mourir ! »...

Avec mon groupe d’atelier, nous avons transformé ce temps en jeux d’écriture. J’ai aussi profité de ce confinement pour beaucoup travailler sur mon répertoire. Mais il est sûr que je ne pourrai pas reprendre avant septembre... Propos recueillis par Solange Pinilla

Les contes sont-ils destinés aux enfants ?

« Il est récent que l’on dédie les contes aux enfants, explique Sonia Koskas. En fait, l’essence du conte réside dans l’oralité. Un conte est fait pour être transmis oralement, sans laisser de trace écrite. Le conte s’adresse à l’humanité - quel que soit l’âge. C’est un récit métaphorique qui répond à nos questions, et soulage des angoisses. C’est le petit frère du mythe ! Le conte est une mise en scène, un théâtre, un récit métaphorique qui laisse l’auditeur libre de son interprétation, selon ses préoccupations ; le conte respecte votre jardin secret...

C’est au XVIIIe siècle, époque où l’on commence à voir les enfants comme de vraies personnes, des adultes en devenir, qu’une littérature enfantine et des contes pour enfants sont apparus. Mais on a toujours raconté des histoires et des contes aux plus petits, notamment pendant les veillées. Pour faire des économies de bois de cheminée en hiver, on se retrouvait chez l’un ou l’autre voisin, et l’on racontait des histoires... Quand les enfants s’endormaient, on commençait à raconter des contes pour adultes.

Maintenant, il me paraît aberrant de raconter La Belle au bois dormant à un enfant de 4 ans, car ce n’est pas un conte pour enfants. Mais chacun prend ce qu’il veut dans le conte... » Propos recueillis par S. P.

Lire le reste de Zélie n°53 - Juin 2020

Crédit photo © Rokia Péricard

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