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Clare Crockett, ou la recherche de l’absolu


« Dans ma vie, cela a toujours été tout ou rien : devenir une actrice célèbre, ou rien. Noir ou blanc. On peut aussi dire que j’ai cherché l’amour en des lieux où je ne l’ai pas trouvé. J’ai eu des petits copains, j’ai eu beaucoup d’amies et d’amis, beaucoup de succès dans le monde du théâtre, j’ai joué dans un film, j’ai été présentatrice, etc. Mais je sentais que cela ne me remplissait pas. »


Celle qui se confie ainsi s’appelle Clare Crockett. Religieuse au tempérament de clown, elle a quitté cette terre en 2016, à l’âge 33 ans, laissant un exceptionnel témoignage de vie : « Le Seigneur m’a enseigné une chose : celui qui perd sa vie et qui s’oublie soi-même, celui qui meurt à lui-même, est heureux, et ça c’est la vérité. »

Née en 1982 en Irlande du Nord, Clare grandit dans une famille catholique peu fervente. Sa ville natale de Derry est marquée par le conflit nord-irlandais : l’ambiance de violence et de haine blesse le cœur de Clare. Cependant, elle fait toujours le pitre en classe, imitant sur commande tel professeur ou demandant aux autres de faire ses devoirs en échange de cigarettes... Son rêve est de devenir une actrice de renommée mondiale.


Elle écrit des pièces et fait beaucoup de théâtre. Grâce à son talent, elle parvient à rentrer dans le milieu de la télévision à 15 ans : on la découvre présentatrice de deux émissions sur la quatrième chaîne nationale puis sur une autre télévision importante. C’est aussi l’âge où elle cesse d’aller à la messe.

En l’an 2000, son amie Sharon l’invite à aller en Espagne, le voyage étant gratuit. Clare, alors âgée de 17 ans, imagine plages et boîtes de nuit... et se rend compte trop tard qu’il s’agit d’un pèlerinage en pleine Semaine Sainte ! Elle ne peut cependant pas se rétracter, son nom étant sur le billet. Là-bas, les activités spirituelles sont organisées par le « Foyer de la Mère », une communauté reconnue en 1994 par l’évêque de Cuenca, Mgr José Guerra Campos. Les premiers jours, Clare commence par prendre le soleil. Arrive le Vendredi saint. Pressée de participer à l’Office de la Passion, l’adolescente se met au fond de la chapelle pour attendre la fin de la liturgie, pensant au prochain repas.

Toutefois, au moment de la procession pour vénérer la Croix, elle suit le mouvement, les mains dans les poches. C’est alors un électrochoc spirituel. Lorsque vient son tour d’embrasser le Christ, Clare comprend que Dieu a vraiment donné sa vie pour elle et que la seule façon de Lui répondre est de s’offrir en retour. Quelques minutes plus tard, elle confie à un prêtre – le Père Rafael Alonso, fondateur de la communauté – son désir de devenir religieuse : les choses ne tardent pas chez Clare ! Cependant, comme elle garde l’envie d’être célèbre, la jeune fille unifie ses deux « vocations » en se disant qu’elle peut devenir une Sœur célèbre... Le Seigneur l’exaucera à sa manière.

Premier enseignement : le Seigneur a visiblement pris les choses en main de façon puissante mais, sans l’invitation de son amie Sharon, Clare n’aurait jamais participé à ce pèlerinage dans la communauté qu’elle intégrera quelques mois plus tard. Les initiatives de Dieu ne sont pas pour nous un encouragement à la paresse missionnaire !

Après ces jours intenses, Clare rentre en Irlande. Aussitôt, elle participe au tournage dans le film Sunday de McDougall, y recevant un petit rôle. Le milieu cinématographique n’est pas porteur et sa vie n’est guère reluisante : alcool, cigarette, drogue, relation peu ajustée... Elle expliquera : « Je pensais que je ne pouvais pas arrêter tout cela. Je sentais que je n’en avais pas la force… Evidemment que je n’en avais pas la force, car je n’avais pas demandé au Seigneur de m’aider. Je voulais tout faire par mes propres forces. »

Pourtant, comme sainte Faustine visitée par le Christ pendant un bal, Clare reçoit un deuxième appel divin en pleine discothèque, alors qu’elle a trop bu... Le Seigneur lui fait sentir sa présence. Clare perçoit la question de Dieu : « Pourquoi continues-tu à me blesser ? ». Peu après, dans la chambre d’un grand hôtel à Londres, lisant le programme du tournage du lendemain, elle ressent fortement le vide de son existence. Clare comprend alors que sa vie n’a de sens que si elle l’offre au Christ.

C’est chose faite en août 2001 : elle entre alors dans la communauté des « Servantes du Foyer de la Mère » où elle avait commencé son itinéraire spirituel. Ce ne sont pourtant pas les appels répétés de son manager qui manquent, pas plus que les réticences de son entourage. D’autant plus que quitter l’Irlande pour l’Espagne signifie encore plus laisser tout pour Dieu.

Ici se trouve une deuxième leçon : nous ne pourrons jamais nous convertir par nos seules forces. S’il faut insister sur l’importance de la volonté dans la lutte contre le péché, il convient de souligner tout autant la nécessité de l’aide de Dieu : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jean 15, 5).

Le grand sacrifice de sa vie est celui de son rêve d’actrice à Hollywood : « Au début, j’avais la tentation de regarder en arrière et de m’y complaire, mais je comprenais que j’avais trouvé un amour plus fort », commentera-t-elle. Les premiers moments de sa vie religieuse ne sont pas simples. Son cœur blessé par l’ambiance violente de Derry doit être soigné par le baume de la paix et de la charité. Le travail physique lui pèse. Elle aime aussi attirer l’attention, faisant des entrées solennelles dans la salle à manger en proclamant « Me voici ! ». Mais la grâce seconde sa forte volonté. Toute sa vie, son tempérament est de « foncer » dans la direction qu’elle a clairement vue. Ainsi, Clare se mettant à la recherche de la sainteté, les scories disparaissent-elles peu à peu de sa personnalité.

La jeune femme prononce ses premiers vœux en 2006, prenant le nom de Sœur Clare Maria de la Trinité et du Cœur de Marie. En 2010 vient l’heure des vœux définitifs, dix ans après son premier appel. Au fil des années, elle intègre successivement plusieurs maisons de la communauté en Espagne, en Floride et en équateur. Son apostolat bénéficie notamment aux jeunes pauvres ou issus de familles en difficulté. Selon les lieux, elle participe aussi à d’autres activités comme, lors de son séjour à Valence, l’accompagnement de malades en phase terminale.

Sœur Clare a un don particulier pour rejoindre l’âme des enfants et des adolescents. Une jeune de l’époque se souvient : « La première chose qui attira mon attention sur Sœur Clare, après son sens de l’humour et son sens de l’accueil, fut la manière qu’elle avait de parler du Seigneur ». Effectivement, faisant mille mimiques lorsqu’elle raconte une blague, elle a en revanche les yeux d’une amoureuse pleine de respect en prononçant « Our Lord » [Notre Seigneur]. Clare explique également qu’il faut commencer par être en état de grâce, sinon le reste ne sert à rien.

Une autre fille se demande, alors que Clare n’est que novice : « Quelle est cette Sœur hilarante avec un accent irlandais si fou ? « Holy coolness » [sainte détente], c’est ma première impression sur elle. Après l’avoir rencontrée, j’ai découvert qu’être saint et être cool étaient compatibles, et une merveilleuse façon de vivre. » L’humour apparaît aussi comme sa manière de retourner une situation difficile. Par exemple, à la fin d’un camp, alors que le responsable des lieux demande de recommencer le ménage, Clare contrariée montre l’exemple ; mais pour détendre l’atmosphère du groupe, elle commence tout de même par faire la clown avec le balai…

Sa haute vertu transparaît notamment dans le témoignage de l’une des supérieures : « Je ne sais toujours pas ce qu’elle aimait et n’aimait pas faire, jamais je n’aurais pu le deviner. Quand je lui demandais quelque chose, sa réponse était toujours : « Bien sûr ! » ». Où puise-t-elle sa grande générosité ? Elle l’écrit un an avant sa mort : « Je ne peux expliquer cette joie et ce désir plein d’enthousiasme que j’ai de souffrir pour le Seigneur. Tout me parait dérisoire : le manque de sommeil, le jeûne, la chaleur, le devoir de servir les autres... Tout ce qui peut coûter me remplit de joie, parce que cela me rend proche du Seigneur. »

Quelques mois plus tard, elle écrit : « Je suis heureuse, heureuse, heureuse ! Même s’il y a des jours ou beaucoup de choses me sont difficiles. Cela vaut la peine de donner sa vie à Dieu, qui est si grand. C’est ce que mon cœur a toujours désiré, et ce qu’aucun amour humain, ni projet, ni autre chose n’a pu remplir. Il y a une autre chose que le Seigneur me remémore souvent. Je suis religieuse depuis quatorze ans, et je demande la grâce d’être servante car je crois sincèrement que je n’y suis toujours pas arrivée. Le Seigneur me demande de l’aimer avec PLUS D’INTENSITÉ, et de le laisser faire dans la purification de mon âme. Priez pour moi pour que je ne lui refuse rien. »

C’est dans un tremblement de terre en Equateur qu’elle achève son pèlerinage sur la terre, le 16 avril 2016. Il s’agit d’une mort accidentelle, dans l’effondrement d’un escalier. Fait symbolique, Clare est retrouvée un morceau de sa guitare à la main – presque un résumé de sa façon de voir la vie !


Le Seigneur a peut-être permis une vie si courte parce que Clare n’a pas eu besoin de plus de temps pour rejoindre les sommets de la vie spirituelle. On peut aussi penser que sa mort a permis que le rayonnement de Clare se diffuse sans plus attendre. Ainsi, le film Tout ou rien racontant sa vie a été vu plus d’un million de fois sur Youtube. Il est disponible en DVD (Saje Distribution).

Sœur Kristen Gardner, cheville ouvrière de la vidéo, explique à quel point la vie donnée de Sœur Clare inspire un grand nombre de personnes. Un projet de livre a été aussi lancé. Comme Anne-Gabrielle Caron (1) dont le procès de béatification est désormais ouvert, ou le bienheureux Carlo Acutis surnommé « geek de Jésus », Clare Crockett est un grand témoin du XXIe siècle. Elle montre comment la lumière de Dieu peut transfigurer nos vies. Elle est une réponse très actuelle aux défis qui doivent aujourd’hui être relevés, notamment chez les jeunes.

Si tout le monde ne peut imiter Sœur Clare au chant, à la guitare ou par des talents d’acteur, sa soif d’absolu peut devenir nôtre. N’hésitons pas à recopier l’une de ses phrases pour la placer sur notre bureau. Une manière de bien commencer l’année 2020 ! Abbé Vincent Pinilla, Fraternité Saint Thomas Becket

(1) Cf. « La leçon d’espérance d’Anne-Gabrielle Caron », Zélie n°11 (juillet-août 2016)


Crédit photos : © Foyer de la Mère

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