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L'accouchement à la maison : une sage-femme raconte


A Noël, nous fêtons une naissance pas comme les autres... Particulière aussi est la venue au monde de 3000 enfants dont les parents choisissent, chaque année en France, de prévoir la naissance chez eux, accompagnés par une sage-femme. Cette démarche rare, conseillée uniquement en l’absence de pathologie, vient notamment du désir d’une naissance plus libre et intime. Entretien avec Claire Rayappa, sage-femme, qui accompagne des accouchements à domicile (AAD) depuis deux ans et demi.

Zélie : Qu’est-ce qui vous a amenée à accompagner des accouchements à la maison ?

Claire Rayappa : Diplômée en 2011, j’ai travaillé cinq ans et demi à l’hôpital Mère-enfant de l’Est parisien ; et pendant la même période dans une salle d’accouchement à l’hôpital de Nanterre. J’ai commencé à travailler en libéral en 2017 près de Grenoble ; lorsque j’ai vu pour la première fois un accouchement à la maison, j’ai su comme une évidence que j’allais accompagner ce type de naissance. J’ai ensuite déménagé dans l’Ain en septembre 2018 et je continue les AAD, avec un suivi dès le début de la grossesse et après la naissance.

Depuis les années 1950, la généralisation de l’accouchement à l’hôpital en France a coïncidé avec la baisse de la mortalité infantile. Y a-t-il un lien de cause à effet ?

Non. La baisse de la mortalité infantile dans les pays occidentalisés est due aux progrès de la médecine – dont je me sers moi-même pour l’accouchement à domicile -, à une meilleure hygiène – comme le lavement des mains avant d’accompagner un accouchement – ou encore à la généralisation des antibiotiques.

Dans quelles conditions l’accouchement à domicile est-il contre-indiqué, selon vous ?

Je n’accompagne pas les naissances où le bébé est en siège (la tête en haut au lieu d’être en bas, ndlr), ni celles de jumeaux, ni celles avant 37 semaines d’aménorrhée ni après 42 semaines d’aménorrhée – c’est-à-dire ni prématurées ni après le terme -, ni enfin quand les femmes ont eu une césarienne précédemment. Dans ces situations, je leur conseille d’accoucher à l’hôpital. De plus, je n’accompagne que des femmes qui habitent à moins de 30 minutes d’une maternité. Si une complication survient lors de l’accouchement, je les y accompagne et je fais les transmissions sur place ; en cas de réelle urgence, j’appelle le SAMU. Par exemple, une fois, j’ai eu le cas d’une femme qui a fait une hémorragie ; je l’ai stabilisée en lui donnant des médicaments qui permettent de contracter l’utérus et j’ai fait venir le SAMU.

Que disent les études scientifiques sur les risques de l’accouchement à domicile (AAD) ?

Les études sur les AAD dans des pays occidentalisés montrent que pour l’accouchement physiologique (sans péridurale, ndlr) d’une femme suivie par une sage-femme, une naissance à la maison ne comporte pas davantage de risque qu’à l’hôpital. Une récente méta-analyse canadienne (Eileen K. Hutton, 2019) portant sur 500 000 naissances à domicile dans plusieurs pays occidentalisés, publiée dans The Lancet, n’a pas trouvé de différence de mortalité maternelle ou néonatale entre des femmes ayant prévu d’accoucher à domicile ou à l’hôpital.

Certaines études sont moins favorables à l’accouchement à la maison, mais elles comportent des biais ; par exemple, la sélection mêle des cas où la naissance a été programmée à la maison, et ceux où elle y est survenue de manière imprévue. Par ailleurs, on a souvent en tête le risque d’hémorragie ; or, il n’y a pas plus de risque d’hémorragie quand on a accouché à la maison ; il est vrai que les femmes dans ce cas perdent davantage de sang, mais il n’y a pas plus de décès.

Quel est le profil des femmes qui demandent à accoucher chez elles ?

Les profils sont très variés : certaines ont un niveau de vie élevé, mais j’ai aussi accompagné une patiente qui vivait dans une roulotte. Certaines accouchent chez elles parce qu’elles ont eu une très mauvaise expérience à l’hôpital ; d’autres parce qu’elles ont connu cette possibilité grâce à leur environnement. Parmi leurs motivations, on retrouve un désir d’intimité et d’un cocon familier qui est rarement possible à l’hôpital ; ces femmes se sentent davantage en sécurité chez elles ; elles ne veulent pas que quelqu’un qu’elles ne connaissaient pas il y a 5 minutes les observe ou intervienne sans qu’elles ne le demandent. Elles veulent avoir la liberté de bouger, de boire, de manger, de prendre une douche... Elles souhaitent aussi davantage impliquer le papa.

Selon vous, quels sont les bénéfices de l’accouchement à domicile ?

Je constate que les femmes qui l’ont vécu ont ensuite une grande fierté et une très grande confiance en elles ! Le père se sent partie prenante ; personne ne lui demande de sortir, par exemple. La semaine dernière, j’ai accompagné un couple dont le père était au début peu convaincu par l’AAD. Après, il m’a dit : « Mon seul regret est de n’avoir pas vécu cela pour mon deuxième enfant » - c’était le troisième. Il débordait de reconnaissance, un sentiment que je n’avais jamais vu à ce point en maternité.

Quel est votre rôle pendant l’AAD ?

Je m’assure que le travail avance bien ; j’écoute le cœur du bébé. J’accompagne la mère en parlant, en chantant, en la massant, en faisant des sons ; je souffle avec elle et je l’encourage, mais le plus souvent je ne fais rien, je suis là pour protéger ce moment rare et précieux. Je peux proposer une piscine d’accouchement pour favoriser la détente. Si ce n’est pas la mère ou le père qui attrape le bébé, je l’accueille et le leur présente. J’ai le matériel pour effectuer une suture périnéale ou une prise de sang si cela est nécessaire. Après la naissance, je viens quotidiennement pendant 3 ou 4 jours voir la maman et le bébé, accompagner l’allaitement notamment ; puis je viens une à deux fois par semaine.

Concernant l’hygiène, je me lave bien sûr les mains en arrivant chez le couple, je mets un doigtier stérile si je dois examiner le col de l’utérus et un masque si besoin. Une étude réalisée en 2018 portant sur 35 bébés a montré qu’il y avait un réel bénéfice à accoucher à la maison concernant le microbiote du nouveau-né : celui-ci présente une diversité plus importante de bactéries bénéfiques et moins de bactéries identifiées comme nocives par rapport aux nourrissons nés à l’hôpital.

Après la naissance à la maison, la mère ne risque-t-elle pas de reprendre presque tout de suite un rythme parfois intense, notamment s’il y a des frères et sœurs ?

Mieux vaut, comme pour toute naissance, anticiper en demandant à quelqu’un de venir aider, sans oublier le papa qui peut prendre son congé paternité à ce moment-là. La mère est bien sûr invitée à se reposer. En réalité, je vois que les femmes qui ont accouché chez elles sont très heureuses d’être en famille dès le jour de la naissance. Les autres enfants ne vivent pas une séparation de 3 jours d’avec leur mère, ce qui est le cas lors d’un accouchement à l’hôpital.

Il y aurait seulement 3000 accouchements à domicile par an en France. Pourquoi aussi peu ?

Beaucoup de couples ne savent pas que l’AAD est possible. Le milieu médical français n’est pas favorable car il subsiste beaucoup de croyances et de peurs. De plus, il y a seulement 87 sages-femmes en France qui proposent l’AAD, bien que la demande des femmes soit en augmentation.

Cela est dû au fait que le montant de l’assurance pour une sage-femme pratiquant les AAD a été fixé à 23 000 euros annuels, ce qu’aucune de mes consœurs ne peut payer. Les obstétriciens payent cette assurance, mais cela est plus justifié car ils sont mieux rémunérés et confrontés à davantage de situations à risque. Nous manquons de chiffres français sur l’AAD. Les premières statistiques sont sorties cette années grâce à l’Apaad (Association professionnelle d’accouchement accompagné à domicile) et portent sur 1350 naissances à la maison en 2018. C’est le début, mais nous devons continuer.

Selon vous, l’AAD permet-il plus de liberté pour la femme et une naissance plus naturelle et instinctive ?

Complètement ! Et je vois même une corrélation entre les méthodes d’observation du cycle et l’accouchement à domicile (Claire Rayappa est aussi monitrice Cyclamen, ndlr) : le fondement est que la femme est capable de faire ; on la guide juste un peu. L’accouchement est un processus naturel de la vie, comme les premières règles par exemple. La femme récupère ainsi sa place.

Qu’est-ce que l’accouchement à domicile vous a appris par rapport à celui en hôpital ?

J’ai appris que d’un côté, l’accouchement est quelque chose de physiologique pour lequel le corps de la femme « sait » faire. Et en même temps, c’est un mystère qui nous dépasse complètement ! A chaque naissance, je suis émerveillée, je saisis ma chance d’être là quand ce bébé arrive. Cette émotion est difficile à décrire. A l’hôpital, je trouve qu’il y a tellement d’artifices autour de la naissance qu’on perd quelque chose ; à la maison, on conserve la plénitude de cet événement. Propos recueillis par Solange Pinilla

Témoignage : Louise, ayant accouché à la maison de son deuxième enfant

« L’AAD a toujours été pour moi une évidence. Infirmière de formation, j’ai souvent été confrontée à des situations où la médicalisation va trop loin et où l’on en oublie le principal : l’humain. Avec l’AAD, en plus d’une suivi classique, on tisse avec la sage-femme des liens forts qui restent souvent après.

Le jour J, on ressent une véritable force qui vient de l’intérieur, qu’on ne maîtrise pas. On se laisse guider par ce que font notre corps de femme et le bébé - avec lequel on ressent une grande communion, ce que je n’ai pas perçu pour mon premier, né sous péridurale. L’enfant naît dans une ambiance calme, apaisée, en confiance, dans l’intimité du couple ou de la famille. Les aînés peuvent être présents, mais chez nous, notre aîné dormait paisiblement et a découvert son frère avec émerveillement le matin. La sage-femme reste pendant deux heures après la naissance ; le bébé est seulement pesé, les autres soins seront faits les jours suivants.

Les suites de couches sont plus simples et moins douloureuses ; le bébé prend tout de suite ses marques et se cale sur le rythme de la famille qui n’est pas cassé. Pour notre troisième enfant, que nous attendons, c’est une évidence : sauf problème de dernière minute, ce sera un AAD. » Propos recueillis par S. P.

Crédit photo : Jason Lander/Flickr.com CC BY 2.0

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