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Chercher Dieu malgré l'aridité spirituelle


Nous sommes faits pour Dieu et Lui seul peut étancher pleinement la soif de notre âme. « Tu nous as faits pour Toi et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne repose pas en Toi » chante saint Augustin en ouvrant ses Confessions. Le Seigneur nous a donné une intelligence faite pour la vérité et il est la Vérité en personne. Il a placé en nous un cœur qui n’est comblé qu’en aimant et il est l’Amour.

Lorsque nous nous enthousiasmons légitimement pour une réalité créée – tel paysage, telle musique, telle fresque, telle personne... – c’est parce que notre âme y perçoit consciemment ou non un reflet de Dieu. La « Lumière » incréée est diffractée dans les « couleurs » de la création. Si l’une de celles-ci nous émerveille, ayons le regard contemplatif qui nous permet de voir la Source d’où elle découle !

La question se pose alors : comment expliquer que le désir sensible de Dieu ne soit pas plus fort en nous ? Et particulièrement : comment se fait-il que la prière – qui nous permet de rencontrer le Seigneur dans un dialogue aimant – ne soit souvent pas chose aisée ?

Une première explication qui n’est pas à négliger, même si elle n’est sans doute pas première chez les lectrices de Zélie, est celle du péché. En se détournant du Seigneur par des fautes importantes, en abusant des grâces divines, il est possible de perdre le goût des choses de Dieu. Cela vaut spécialement pour les péchés contre la pureté, si fréquents aujourd’hui et dont la répétition entraîne facilement un désintéressement à l’égard de la vie spirituelle.

Une seconde réponse consiste à rappeler que le mystère de Dieu nous dépasse. Certes, d’une part, le monde n’est pas assez vaste pour satisfaire la soif de notre cœur mais, de l’autre, Dieu est pur esprit : il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’il soit accessible exactement à la façon des personnes humaines... Nous qui voulons tout voir, toucher et sentir, pouvons peiner à appréhender le monde divin.

Ainsi apparaît plus clairement la physionomie de notre relation avec Dieu. La sensibilité doit être éduquée. Elle doit accepter de ne pas prendre la première place. Dans l’évangile, le Christ ne demande pas à ses auditeurs de sentir, mais de consentir, de prendre des décisions et non d’abord d’être ému ! Le jeune homme riche, saint Matthieu à son comptoir, Notre-Dame à l’Annonciation... sont appelés à faire des choix.

Cela ne signifie pas que l’émotion soit absente. Le repentir de Saint Pierre s’accompagne de larmes (1), tout comme celui de la femme dont parle saint Luc au chapitre 7 de son évangile. Comment ne pas percevoir également la joie vibrante de Marie qui s’exprime dans le Magnificat ? Effectivement, la charité a un retentissement psychologique : Jésus lui-même pleure devant la tombe de son ami Lazare et exulte de joie en admirant la sagesse de son Père (2).

Il reste que l’essentiel de la vie spirituelle réside en une amitié. Comme dans toute amitié, sont nécessaires la volonté de servir l’autre, le désir d’être avec l’ami, l’adhésion à un projet commun... L’amitié s’incarne dans des actions et non seulement en un sympathique ressenti qui ne nous engagerait pas.

Certes, Dieu peut parler à notre âme en y infusant par exemple paix et joie, nous faisant comprendre par là que nous sommes sur le bon chemin, nous récompensant de notre bonne volonté ou partageant sa joie d’être avec nous. Toutefois, ces consolations ne sont pas nécessairement permanentes. Dans la pédagogie divine, il semble même que soit intégré une sorte de « sevrage », ou du moins certaines privations afin que nous recherchions le Dieu des consolations et non avant tout les consolations de Dieu... Il en est de la vie spirituelle comme de la vie conjugale : l’amour est un chemin qui suppose une maturation. Beaucoup d’époux pourront témoigner que leur amour pétillant à ses débuts s’est approfondi pour ressembler à un fleuve au cours plus calme mais plus puissant.

La vertu de fidélité devient alors encore plus manifeste. Elle permet à l’amour d’échapper aux fluctuations des émotions, lui faisant vivre un « saut qualitatif ». Pour comprendre la nature de cet amour mature, utilisons une comparaison tirée du monde automobile : de même que certaines voitures sont à traction avant et d’autres à traction arrière, nous pourrions dire que notre cœur dispose d’un moteur avant – celui du désir sensible qui nous élance avec facilité – et d’un moteur arrière – celui du devoir qui nous pousse à agir malgré la fatigue ou le manque de « motivation ».

Des parents ne se demandent pas chaque jour s’ils vont prendre le temps de nourrir leur enfant. Cependant, il est intéressant de voir que le cœur, une fois qu’est lancée une action qu’il appréhendait, peut connaître une joie sensible : certains partent visiter tel malade en traînant les pieds et en reviennent heureux.

De cette manière, le sens du devoir peut être précieux : nous ne devons pas craindre de le promouvoir. A contrario, son abandon fragilise l’amour en ébranlant la vertu de fidélité. Au plan pastoral, cet abandon semble d’ailleurs avoir eu un rôle dans la chute de la pratique dominicale à partir de 1965 (3).

Il est ainsi possible de tirer quelques conclusions pratiques concernant notre prière. Nous avons compris que la joie sensible n’est pas la première chose à rechercher lorsque nous nous mettons en présence de Dieu. Il s’agit plutôt d’être là, fidèlement, avec notre bonne volonté, quoi que nous ressentions. Une prière sans consolation peut même avoir plus de valeur qu’une autre faite avec facilité, car il est beau de donner sans attendre de recevoir.

Si nous connaissons une certaine aridité, il est toujours possible d’approfondir les méthodes classiques d’oraison afin de bénéficier de l’expérience des générations passées (4). Nous pouvons également prendre comme support de méditation un texte qui nous touche plus qu’un autre : telle phrase de l’écriture, telle lettre d’une sainte, l’évangile du jour, un livre spirituel que nous affectionnons...

Et comme nous aimons ce qui est concret, cherchons Dieu à travers sa création, avec ce regard contemplatif que nous évoquions plus haut : si le Seigneur a pu créer de telles beautés, combien Lui-même doit être bon et beau ! C’est Lui que nous rencontrons dans la prière. Mieux : souvenons-nous que Dieu s’est incarné et que notre contemplation peut s’appuyer sans risque sur la vie humaine de Jésus, traduction accessible et fiable du mystère divin. Que tout cela nous aide à unir notre volonté à celle de Dieu, but ultime de l’oraison !

Un prêtre ou une personne expérimentée saurait nous donner d’autres conseils. C’est l’occasion de redire que personne ne peut être chrétien tout seul. Cela vaut plus encore dans l’épreuve. Ne cherchons pas l’ascension spirituelle sans être encordé.

Abbé Vincent Pinilla, Fraternité Saint Thomas Becket

(1) Cf. Luc 22, 61-62. (2) Cf. Jean 11, 35 et Luc 10, 21. (3) Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien, Le Seuil, 2018, p. 274. (4) Quelques pistes avaient été données dans Zélie n°12, septembre 2016.

Article paru dans Zélie n°34 - Octobre 2018



Crédit photo : Berndthaller/Pxhere.com CC BY 2.0

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