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Vivre la maternité spirituelle


Ni substitut à la maternité charnelle, ni concept désincarné, la fécondité spirituelle permet à toute femme de transmettre la vie et l’amour. Mille manières existent pour vivre ce chemin.

Une institutrice console un enfant en pleurs dans la classe. Une jeune femme écrit une carte à sa filleule de baptême. Dans un bureau, une religieuse écoute un homme lors d’un entretien d’accompagnement spirituel. Une artiste met la dernière touche de peinture à un tableau inspirant. Une femme âgée prépare des colis de Noël pour des prisonniers. Qu’elles aient ou non porté des enfants, ces femmes vivent une maternité spirituelle.

La maternité n’est pas le fait de fabriquer un être humain ex nihilo : certes, une femme donne son ovule et offre son utérus à l’enfant comme chambre pour neuf mois. Mais les deux parents ne maîtrisent pas la vie au moment où elle jaillit ; ils ne font que transmettre un don qu’ils ont eux-mêmes reçu. De la même façon, la fécondité spirituelle est le fait de transmettre la vie de l’âme et de l’esprit, ou encore l’Amour, qui est l’autre nom de Dieu. C’est être co-créatrice.

Jésus donne un aperçu de cette réalité par une de ces réponses qui ont surpris ses contemporains, et qui nous surprennent encore, nous qui pensons trop souvent que la maternité - ou paternité - physique est un but en soi : « Une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! » Alors Jésus lui déclara : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (1) Vivre de la Parole de Dieu est donc une réalité plus universelle que celle de porter et de nourrir un enfant.

Bien sûr, la maternité charnelle est irremplaçable. Elle offre à un nouvel être humain la vie du corps et de l’esprit, procure des joies – et des difficultés – uniques, et le fait de ne pas y goûter demeure le plus souvent une souffrance. De fait, on ne peut invoquer la maternité spirituelle comme un « lot de consolation » pour celles qui n’ont pas d’enfant. Elle est simplement d’un autre ordre.

Sainte Edith Stein, juive convertie au catholicisme et devenue au Carmel sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, en parle avec ardeur dans La femme : « Éveiller des enfants pour le Ciel, c’est la maternité authentique - une maternité spirituelle qui est indépendante de la maternité physique -, la maternité la plus belle, la plus sublime et la plus riche de joies, même si c’est au prix de soucis, de sacrifices et de peines non moindres que la maternité physique. Faire jaillir l’étincelle divine dans un cœur d’enfant, voir croître et s’épanouir en lui la vie divine ou encore contribuer à allumer une nouvelle fois la vie de la grâce dans l’âme éteinte, dégénérée ou enténébrée d’un adulte auquel Dieu est devenu étranger, et pouvoir assister ensuite au merveilleux processus de transformation qui s’opère dans cette âme et y coopérer en tant qu’instrument, c’est témoigner et éduquer pour le Ciel, et cela procure une joie qui n’est pas de ce monde. Une telle maternité spirituelle peut combler la vie d’un être humain. »

Les femmes consacrées, qui ont répondu à l’appel spécifique de Dieu et vivent dans le célibat pour le Royaume, témoignent de la joie de la fécondité spirituelle. Si elles ont renoncé à la maternité charnelle, c’est parce qu’elles sont épouses du Christ de la manière la plus immédiate. Ce n’est pas pour rien que de nombreuses religieuses se font appeler « ma Mère ».

La mère supérieure se fait appeler « mère » par ses « filles ». Pensons à Mère Teresa, qui portait tous les pauvres rencontrés comme autant d’enfants confiés par Dieu. Quant à sainte Catherine de Sienne, ses disciples l’appelaient dolce mamma : douce maman.

Même pour les femmes qui ne sont pas consacrées, la fécondité spirituelle concerne toute fille de Dieu, participant « à la triple fonction de Jésus-Christ : sacerdotale, prophétique et royale » (2). Baptisée et confirmée dans l’Esprit de Dieu, elle est appelée à donner cet Esprit d’amour autour d’elle et à enfanter dans la vie spirituelle de nombreux enfants, petits ou grands !

Un témoignage particulièrement parlant de cette maternité est celui de la marraine qui porte son filleul sur les fonds baptismaux. Le Catéchisme de l’église catholique le souligne : « Pour que la grâce baptismale puisse se déployer, (...) c’est là aussi le rôle du parrain ou de la marraine, qui doivent être des croyants solides, capables et prêts à aider le nouveau baptisé, enfant ou adulte, sur son chemin dans la vie chrétienne. Leur tâche est une véritable fonction ecclésiale. » (3)

La maternité spirituelle peut se vivre également par la transmission explicite de la foi : préparation au baptême, à la première communion, à la confirmation, au mariage, catéchisme, mouvements de jeunes... D’autres seront appelées à faire de l’accompagnement spirituel ou à organiser des événements chrétiens.

Bien évidemment, la prière est un moyen privilégié pour avoir une fécondité spirituelle, tout comme la communion, la confession et la pénitence. Une lettre de 2007 de la Congrégation pour le clergé « dans le but de promouvoir l´adoration eucharistique pour la sanctification des prêtres et la maternité spirituelle » cite de nombreux témoignages de femmes qui ont donné des prêtres à l’Église grâce leur fécondité spirituelle, comme Eliza Vaughan, femme anglaise du XIXe siècle qui pria Dieu de lui accorder des vocations dans sa famille. « Devenue mère de six prêtres et quatre religieuses, elle fut largement exaucée. »

Anna Stang, chrétienne persécutée par le régime communiste au XXe siècle, offrit ses souffrances pour les prêtres, souvent arrêtés par le gouvernement. « Avec l’âge, elle a elle-même acquis un esprit sacerdotal » précise la Congrégation, qui cite les paroles d’Anna Stang, isolée dans sa ville du Kazakhstan, sans prêtre : « Mandatée par ce prêtre [d’une autre ville située à 1000 km], j’ai baptisé 30 ans durant les enfants et les adultes de ma ville, j’ai préparé les couples au sacrement du mariage et j’ai célébré les funérailles, jusqu’au moment où il ne m’était plus possible d’assurer ce service pour des raisons de santé. »

Destinée aux femmes qui ont porté des enfants, la Prière des mères a été créée en 1995 par l’Anglaise Veronica Williams. Aujourd’hui, des milliers de groupes de Prière des mères se retrouvent chaque semaine pour prier pour leurs enfants, en suivant les textes d’un livret.

Le regard de Malt et Dorge - "Semis"

Nous sommes tous des semeurs du Royaume de Dieu. Telle attitude, telle parole, telle prière… Quel fruit cela portera-t-il ? Voilà bien quelque chose qui nous dépasse ! Dessin et piste de méditation : Marguerite Le Bouteiller – www.margueritelebouteiller.com

Plus largement encore, la maternité spirituelle se vit au-delà de la foi la plus explicite ; elle s’exprime également dans toute transmission de vie, d’amour, d’attention, d’écoute ou encore de soin. Certaines femmes la vivent par leur profession. Pendant une session à Paray-le-Monial en juillet 2018, Mélanie Barrois, responsable pastorale dans un lycée et psychopraticienne, témoignait lors d’un intéressant enseignement nommé « La fécondité est un chemin, un apprentissage du désir » : « Je suis mariée, je n’ai pas d’enfant. Le désir est un lieu de créativité : là où il y a un manque, c’est là où nous nous mettons en mouvement. Je travaille dans l’éducation, et dans la libération des enfants intérieurs des gens. Cela va jusque là ! »

Les métiers artistiques et créatifs sont aussi particulièrement propices à l’enfantement spirituel. On dit bien : « accoucher d’une œuvre », ou d’un livre. Pour d’autres encore, il s’agira de vivre des œuvres caritatives, dans leur ville ou à l’autre bout du monde.

Loin d’être désincarnée, la fécondité spirituelle se vit de manière très concrète, tant dans l’action que dans la manière d’être : écouter, parler, regarder, sourire, toucher, réconforter, écrire... Parfois, cela ressemble même aux gestes de la maternité physique : « Je pense à une chère amie qui, rentrant de trois ans de mission humanitaire en Asie, aux prises avec un retour douloureux, consacrait tous ses mercredis soirs à aller bercer les nourrissons malades de l’hôpitel Necker, raconte Claire de Saint Lager dans La voie de l’amoureuse. La tendresse de ses gestes à leur égard me montrait le vrai visage d’une mère, bien qu’aucun de ces enfants n’ait été les siens. »

De fait, ce type de gestes bienfaisants est irremplaçable, comme le racontait sur France Inter Véronique Abadi, responsable du service de pédiatrie générale à l’hôpital Necker à Paris : « Le nourrisson passe d’une situation d’inconfort à une situation de confort. Il passe de « Je suis seul, il fait froid, personne ne me touche » à « On me cajole, il y a du mouvement, il y a de l’odeur, il y a une voix, il y a un rythme ». Tous ces éléments qui sont extrêmement physiques et sensoriels vont aboutir à une sédation de la douleur, à un réconfort. »

Au niveau psychique, la maternité non charnelle joue un rôle, car elle permet de ne plus être uniquement l’enfant de ses parents et d’avoir à son tour une fécondité. C’est ce que la psychanalyste Catherine Bergeret-Amselek évoquait dans une émission de KTO sur les couples confrontés à l’infertilité : « C’est un grand travail de devenir parent sans avoir d’enfant. C’est-à-dire faire cette bascule où l’on cesse d’être l’enfant de ses parents pour faire des bébés symboliques : transmettre, aider les autres, faire un passage... »

Comment discerner concrètement à quelle maternité spirituelle nous sommes appelées ? Dans La voie de l’amoureuse, Claire de Saint Lager propose de redécouvrir les désirs profonds que Dieu a semés en nous. Le désir d’aimer et d’être aimée « se conjugue en une variation de notes et de couleurs ». Le temps est souvent nécessaire pour purifier ses désirs, s’interroger sur ses véritables intentions et sur sa confiance en Dieu.

Cela implique de sortir de ses peurs, de s’émerveiller devant ses talents et d’accepter ses imperfections. Mieux vaut également ne jamais se prendre pour la source ― de même dans la maternité charnelle ―, mais seulement une passeuse. Ce qui implique de ne pas toujours voir les fruits de cette fécondité. La maternité spirituelle est donc un chemin perpétuel, qui peut comporter ses douleurs de l’enfantement.

On ne peut devenir mère physiquement sans la participation d’un autre : pour être mère spirituellement, il faut également répondre à l’appel de l’époux par excellence, le Christ, qui se donne à son église. La prière et les sacrements sont l’occasion de goûter cette union d’amour.

Celle qui nous inspirera le plus pour vivre cette fécondité, c’est bien sûr Marie, Mère de Dieu ― et non seulement mère de Jésus vrai homme ―, notre Mère du Ciel et Mère de tous les hommes. En mars 2018, le pape François a souhaité inscrire la mémoire de la « bienheureuse Vierge Marie Mère de l’Église », chaque année le lundi après la Pentecôte. Il a pris cette décision « en considérant l’importance du mystère de la maternité spirituelle de Marie qui, dans l’attente de l’Esprit Saint à la Pentecôte, n’a jamais cessé de prendre soin maternellement de l’Église pèlerine dans le temps ».

Et on pense à Jésus sur la Croix : « Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » » (4) Jésus nous a donné sa Mère, devenue Mère de l’église. Comme elle, nous portons le Christ aux autres.

Et la paternité spirituelle ? Elle est manifeste chez les prêtres, mais aussi chez d’autres hommes consacrés ou laïcs, qui transmettent autour d’eux la vie de l’âme et de l’esprit. Pour la distinguer de la maternité spirituelle, on peut être éclairé par le fait que la maternité accueille la vie à l’intérieur de soi, alors que la paternité donne la vie à l’extérieur de soi. Les deux sont complémentaires, et s’incarnent dans la singularité de chaque personne. Solange Pinilla

(1) Luc 11, 27-28. (2) Saint Jean-Paul II, Christifideles laici, paragraphe 14. (3) Paragraphe 1255. (4) Jean 19, 26-27.

Crédit photo Andre Furtado/Pexels.com CC

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