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Une salle de classe à la maison


Le temps est nuageux en cette matinée de printemps lorsque nous pénétrons dans la grande maison de Frédérique et Amaury Gaultier, à Dinan (Côtes d’Armor). Tugdual, 7 ans (photo), vient de terminer son travail au coin du feu avec sa maman. Son frère Vianney, qui a 9 ans, est actuellement en échange linguistique en Espagne pour quatre semaines. Nous montons dans leur salle de classe, lumineuse et colorée.

C’est la deuxième année que Frédérique pratique l’IEF (instruction en famille), avec ses deux plus jeunes garçons. Les trois aînés vont au collège. à l’origine de cette décision, les besoins de son fils Vianney, alors en CE1 : « Je voyais qu’il avait besoin de temps pour se détendre et jouer, raconte Frédérique. Il était tellement fatigué par l’école qu’il ne pouvait faire d’activités extrascolaires. Le rapport entre le nombre d’heures passées à l’école et le résultat dans les apprentissages n’était pas exceptionnel... Nous avons donc décidé de tenter un an d’école à la maison. Puis nous avons rencontré d’autres familles « non-sco ». Plus je découvre l’IEF plus je l’aime ! »

Le papa étant avocat et rentrant tard le soir, c’est Frédérique, orthoptiste, puis mère au foyer depuis la naissance de leur premier enfant, qui s’occupe de l’enseignement de Tugdual et Vianney. La journée commence à 8 h 30. D’abord le français avec le cours par correspondance Ker Lann, qui propose un fichier par semaine et s’occupe de la correction des devoirs ; puis les mathématiques grâce à la méthode Singapour. Les enfants ont un cours d’anglais avec un professeur particulier et d’autres enfants « non-sco ».

L’après-midi comporte des apprentissages informels, sans support ni programme précis, plutôt par thématique. Par exemple, les enfants et leur mère sont allés voir l’exposition « Lunes et comètes » à Dinard, puis ont fabriqué une maquette du système solaire, avant de se rendre au Planétarium de Rennes... Ils font également des sorties, selon les propositions des parents d’un forum web IEF local : il y a quelques jours, ils ont effectué une visite guidée de Dinan. Ce que sa mère appelle les « découvertes du monde », c’est ce que Tugudual nous confie préférer !

Les deux garçons continuent à rencontrer d’autres enfants : ceux d’autres familles non-sco, ceux de leurs activités sportives – gymnastique pour Tugudual et rink-hockey pour Vianney –, mais aussi les élèves de leur ancienne école. En effet, Frédérique est restée dans le conseil d’administration de cet établissement, et les deux enfants sont correspondants avec une classe Ulis, qui compte 13 enfants en situation de handicap ou de maladie. Ils ont donc déjà invité ces élèves chez eux pour un atelier cuisine ou encore de chants tziganes.

« Depuis que Vianney et Tugdual sont en IEF – alors qu’ils n’étaient déjà pas en difficulté à l’école –, ils ont davantage de confiance en eux, de créativité et d’imagination, constate Frédérique. En effet, ils ont du temps et ne rencontrent que des adultes prêts à répondre à leur questions. Leur curiosité intellectuelle a décuplé ! Par exemple, lors d’un voyage en train, apprenant qu’ils étaient instruits à la maison, on les a invités dans la cabine du conducteur. Même chose chez le dentiste qui leur a spontanément montré ses outils et une maquette. »

Frédérique a remarqué que Vianney et Tugdual sont plus spontanés et naturels qu’auparavant ; ils disent librement ce qu’ils pensent. « En IEF, on n’apprend pas silencieusement ; alors qu’à l’école, on doit apprendre à se taire... » déclare Frédérique.

Le fait que les apprentissages soient moins cloisonnés permet de faire des connections de façon plus naturelle entre deux univers, comme Frédérique l’a remarqué lors d’une visite historique. Ses enfants apprennent surtout par plaisir – sauf la conjugaison peut-être ! Ainsi, ils ont montré à la maîtresse de la classe Ulis qu’ils avaient dessiné des hiéroglyphes ; celle-ci se demandait à quel protocole d’apprentissage cela correspondait, alors qu’ils avaient fait cela uniquement pour le plaisir d’apprendre.

Le rythme de vie est donc plus serein pour la famille. « Lors du passage à l’heure d’été, nous étions très fatigués donc nous n’avons pas fait classe mais plutôt un bricolage et une sieste ! raconte la maman. Quand le temps est beau, ils vont dehors : quand il fait froid, près du feu... Lorsqu’ils allaient à l’école, ils étaient fatigués par leur journée, donc le moment des devoirs était particulièrement difficile. Là, ils travaillent quand ils sont vraiment disponibles. Ils ont le temps de lire, de jouer, de voir des choses qu’ils ne découvriraient pas autrement. »

Quelles sont les qualités nécessaires pour enseigner à ses propres enfants ? Pour Frédérique, tous les parents ne sont pas destinés à se lancer dans l’IEF, car il faut aimer le faire – c’est assez « énergivore » – et passer beaucoup de temps avec ses enfants. Il est important d’être sûr de sa légitimité : « Au début, les enfants me testaient, raconte-t-elle. Puis nous avons choisi le cadre et les objectifs qui nous correspondent. Je leur ai dit : « Si on fait le choix de l’école à la maison, voici mes conditions. » En classe, il faut avoir un comportement d’élève et finir l’exercice par exemple. »

Autre conseil : ne pas rester seul et se mettre en lien avec d’autres familles IEF pour mener des projets communs et échanger sur les pratiques. Enfin, mieux vaut être aussi à l’écoute de ses propres besoins : Frédérique peut décider de passer une après-midi seule à lire ou une journée pour voir ses amies.

La semaine dernière, la famille a fait l’objet de l’inspection académique annuelle, qui s’est bien passée. « L’inspecteur était constructif et non dans le jugement. Ils nous a donné des pistes d’amélioration. Il a aussi testé les enfants pour évaluer leur niveau ; j’ai apprécié d’avoir un regard extérieur. » Si l’instruction était jugée insuffisante, l’inspecteur pourrait revenir et, si ce n’était toujours pas le cas, demander une re-scolarisation.

L’entourage de la famille a plutôt bien réagi à la déscolarisation des deux garçons : « C’est le cas parce que je ne suis pas dogmatique et que j’ai d’autres enfants à l’école, confie Frédérique. Mes parents sont professeurs et étaient un peu inquiets au début. Puis ils ont vu l’épanouissement des enfants, et le fait qu’ils ont toujours des copains. Mes beaux-parents, eux, continuent à me demander quand ils vont retourner à l’école... » De fait, Frédérique souhaite s’adapter aux besoins de ses enfants et est prête à les scolariser à nouveau s’ils le souhaitent, ou à continuer l’IEF quand ils seront en âge d’aller au collège. L’idée est d’être flexible et de ne pas s’enfermer dans un schéma.

Opter pour l’IEF, c’est faire un pas de côté, qui donne envie d’en faire d’autres. Effectuer un choix différent a ainsi amené Frédérique à une prise de conscience écologique, en privilégiant les petits producteurs. Elle a réalisé ceci : nous ne sommes pas obligés de faire quelque chose qui ne nous correspond pas ! Ou comment tracer un chemin de liberté. Solange Pinilla

Article paru dans Zélie n°30 (Mai 2018)

Crédit photo (c) Solange Pinilla

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