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« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau »




Dieu ne nous épargne pas la fatigue, comme la Bible nous le montre. Mais il soutient nos forces quand nous le lui demandons. 


Novembre, « Miz Du, Miz an anaon », « mois noir, mois des âmes », disons-nous en breton. Si cela a, en Bretagne, des relents de légendes de la mort, il n’en demeure pas moins que le mois de novembre est, pour l’Église catholique, le mois d’intercession pour les âmes du purgatoire. Nous sommes invités à prier pour ceux qui nous ont quittés, mais ont encore à passer par une purification avant d’entrer au Ciel pour l’éternité. La fête de la Toussaint remonte, en Occident, au VIIIe siècle, elle précède un office des morts établi par les moines de Cluny au IXe siècle, devenu aujourd’hui commémoration des fidèles défunts.


Quel rapport avec la fatigue, me direz-vous ? En novembre, le changement de saison est avéré. Nous sommes au milieu de l’automne, les jours ont déjà bien raccourci, la baisse du nombre d’heures d’ensoleillement provoque, chez nous, une hausse du taux de mélatonine, hormone du sommeil, et donc une baisse de vitalité, une perte d’énergie. La nature décline, certains animaux hibernent, nombre de végétaux meurent.


A voir le nombre d’expressions françaises, plus ou moins familières, que nous utilisons pour exprimer notre fatigue, nous pourrions imaginer qu’il s’agit d’un mal bien français : je suis crevé, éreinté, vanné, épuisé, sur les rotules... Certes ! Mais quelles sont les raisons de cette fatigue qui nous touche tous ? Est-ce réellement physique ou cela cache-t-il un problème existentiel bien plus profond ? La fatigue peut, en effet, être physique, psychique, spirituelle, morale. Nous nous arrêterons aujourd’hui sur la fatigue physique pour revenir sur l’acédie dans un prochain numéro de Zélie.


La fatigue, aussi naturelle soit-elle, nous pose problème dans un monde où la performativité est, aujourd’hui, de mise. Elle peut sembler synonyme d’incapacité. Cependant, nous savons parfois distinguer de « bonnes fatigues », lorsque celles-ci sont liées à des exercices physiques, de préférence au grand air, ou lorsqu’elles sont le résultat d’un travail qui porte des fruits. C’est le cas pour saint Paul lorsqu’il dit : « Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ. C’est pour cela que je m’épuise à combattre, avec la force du Christ dont la puissance agit en moi » (Col 1, 28-29).


Dans la Bible, nous constatons également que tous peuvent être sujets à la fatigue, les « bons », les « mauvais », les disciples (Mc 6, 30-31), Jésus (Jn 4,6). Même Dieu « se reposa » le septième jour (Gn 2,2). Nous trouvons notamment nombre d’exemples de fatigue provoquée par une mauvaise activité, par un éloignement de la sagesse, par la fabrication d’idoles, telle le forgeron dont parle Isaïe (Is  4,12) : « Misérables, ceux qui tiennent pour rien la sagesse et sa discipline de vie : vide est leur espérance, vaines leurs fatigues, inutiles leurs œuvres » (Sg 3,11).


La fatigue est liée à notre condition humaine limitée, mais nous avons une part de responsabilité quant à ses causes, et bien logiquement, les plus naturelles, surtout lorsqu’elles sont liées à l’âge, nous semblent souvent les plus insupportables.


Aussi étrange que cela puisse paraître, Dieu, dans l’Ancien Testament, peut se lasser de venir nous soutenir lorsque nous nous détournons continuellement de lui : « Toi, tu m’as délaissé – oracle du Seigneur. Tu t’en vas en me tournant le dos. Alors, j’ai étendu la main contre toi pour te détruire, je suis las de t’épargner ! » (Jr 15,6), nous dit-il.


En revanche, lorsque nous nous appuyons sur lui, jamais il ne nous abandonne : « Tu ne le sais donc pas, tu ne l’as pas entendu ? Le Seigneur est le Dieu éternel, il crée jusqu’aux extrémités de la terre, il ne se fatigue pas, ne se lasse pas. Son intelligence est insondable. Il rend des forces à l’homme fatigué, il augmente la vigueur de celui qui est faible. Les garçons se fatiguent, se lassent, et les jeunes gens ne cessent de trébucher, mais ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur trouvent des forces nouvelles ; ils déploient comme des ailes d’aigles, ils courent sans se lasser, ils marchent sans se fatiguer » (Is 40, 28-31).


La force de l’homme ne se situe pas dans une infaillibilité inaccessible, mais dans sa capacité à reconnaître sa faiblesse et à se tourner vers son créateur. « C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12,10).


L’un des textes bibliques les plus emblématiques concernant la fatigue nous raconte une bataille des Hébreux contre les Amalécites : « Les Amalécites survinrent et attaquèrent Israël à Rephidim. Moïse dit alors à Josué : "Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites. Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main." Josué fit ce que Moïse avait dit : il mena le combat contre les Amalécites. Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline.


Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort. Quand il la laissait retomber, Amalec était le plus fort. Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ; on prit une pierre, on la plaça derrière lui, et il s’assit dessus. Aaron et Hour lui soutenaient les mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre. Ainsi les mains de Moïse restèrent fermes jusqu’au coucher du soleil. Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée. Alors le Seigneur dit à Moïse : "Écris cela dans le Livre pour en faire mémoire et déclare à Josué que j’effacerai complètement le souvenir d’Amalec de dessous les cieux !" Moïse bâtit un autel et l’appela : "Le-Seigneur-est-mon-étendard" » (Ex 17, 8-15).


Dieu ne nous épargne pas les combats, il nous ordonne même parfois de combattre. C’est en effet dans la fatigue que nous apprenons le courage, la maîtrise de soi, la persévérance, mais également l’abandon à Dieu et la confiance dans les hommes.


Ce n’est pas la première fois que ces deux peuples en décousent. Moïse est donc monté sur la montagne avec Aaron et Hour. Le bâton qu’il prend avec lui, lui a déjà permis, sur l’ordre de Dieu, de réaliser de grands prodiges : la transformation des eaux du Nil en sang (Ex 7, 14-25), la séparation des eaux pour le passage de la mer des Roseaux (Ex 14,16), le jaillissement d’eau du rocher de l’Horeb (Ex 17, 1-16)... Les Hébreux sont dorénavant nourris et désaltérés ; Dieu ne combat plus pour eux, comme lors de la sortie d’Égypte, mais avec eux.


Prier, combattre, non seul contre tous, mais avec l’aide de Dieu et des hommes... Dieu n’a pas choisi Josué, le combattant, pour montrer sa puissance, ni même Aaron et Hour. Tous trois sont plus jeunes et plus vigoureux que Moïse, mais la fatigue de celui-ci n’est pas un obstacle à la victoire. Elle est l’occasion de démontrer que nous avons besoin, dans nos limites humaines, des uns et des autres. C’est par la diversité des dons qu’avec la puissance de Dieu, le combat se gagne.


Je conclurai donc en paraphrasant une phrase souvent attribuée à Ignace de Loyola : dans la fatigue, « prie comme si tout dépendait de Dieu, agis comme si tout dépendait des hommes ». Gaëlle de Frias, théologienne


Titre de l'article : Mt 11, 28



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