Couple : « Mon conjoint n’est pas croyant »
Que le conjoint ait perdu la foi, qu’il ne l’ait jamais reçue, ou que l’on ait soi-même rencontré le Christ après son mariage, il arrive que dans un couple, l’un croit en Dieu et l’autre non. Comment entretenir sa propre foi, tout en préservant la relation de couple ?
« Nous nous sommes mariés en 2006, nous nous étions préparés avec un ami prêtre et en faisant une retraite de préparation au mariage, raconte Hélène. Notre foi commune était au cœur de nos préoccupations à ce moment-là ; nous parlions beaucoup de la façon dont nous voulions la vivre dans notre vie de couple et de future famille, nous avons ancré notre sacrement avec le Christ. »
Malheureusement, le mari d’Hélène traverse des épisodes de dépression et les difficultés s’accumulent. « Au fur et à mesure, sa foi s’est étiolée, poursuit Hélène. Il s’est mis à ne plus nous accompagner à la messe systématiquement, puis plus du tout - hormis Noël et Pâques. » Pendant les prières du soir, son mari reste muet.
Pratiquer sa foi seule dans le couple n’est pas sans difficultés. Certaines, découragées d’être seules à aller à la messe, ne s’y rendent plus.
« En plus de l’organisation du temps, il y a aussi un regard sur la vie et le monde qui peut être différent, explique Karine Triot, conseillère conjugale et familiale à Angers. Croire que la vie est éternelle peut permettre de surmonter plus facilement les épreuves. En tant que croyant, on croit également à la dignité intrinsèque de l’être humain créé à l’image de Dieu, et, par exemple, devant des résultats de tests inquiétants pour le bébé pendant la grossesse, on peut ne pas réagir de la même manière. »
L’éducation religieuse des enfants peut également être une source de tension. « Nos aînées, adolescentes, s’engagent de plus en plus dans leur foi - sacrement de confirmation, engagements Mej et scouts -, et c’est difficile de ne plus sentir de soutien de la part de mon mari, poursuit Hélène. Lors des conversations familiales, il montre même parfois une opposition face à cela. » Pour les enfants, la quête du sens de leur vie peut être rendue plus difficile par la divergence de foi de leurs parents.
La manière dont est vécue cette différence spirituelle dépend aussi de l’attitude de chacun, et notamment du degré de bienveillance du conjoint agnostique ou athée. « Un jour, un enfant a demandé a ses parents : "Qui est l’homme entre vous deux, sur cette photo de votre mariage ? Le chef des chrétiens ?" "Non, c’est le chef des crétins", a répondu en riant le père, non croyant », raconte Karine Triot. Il est important de dire sa gêne face aux moqueries.
Bien sûr, il existe aussi des conjoints respectueux de la religion, et même engagés aux côtés de leur épouse, comme c’est le cas d’Aurélie, mariée depuis 26 ans avec Thomas, qui a perdu la foi quand il était enfant à la suite du divorce de ses parents. « J’ai la chance que, pendant 8 ans, nous ayons servi ensemble dans une équipe de préparation au mariage, donc de vivre ces temps d’Église avec lui ».
Autre difficulté possible : « Le plus dur, c’est le regard des autres, l’incompréhension, le manque de délicatesse parfois parce qu’on ne rentre pas dans le moule d’une famille "classique" », soupire Amélie, dont le mari est athée.
Dans cette situation qui n’est pas sans défis, surtout quand la foi a la première place dans la vie, il existe des pistes pour que la foi d’un seul conjoint et la relation de couple coexistent le plus harmonieusement possible. A commencer par le dialogue régulier : « Le conjoint croyant peut expliquer à l’autre en quoi, par exemple, aller à la messe a du sens pour lui, conseille Karine Triot. On peut également exprimer ce que l’on voudrait que le conjoint non croyant laisse faire, et ce qu’on aimerait qu’il accompagne. En particulier, il est important de se mettre d’accord sur ce que l’on va dire aux enfants sur tel ou tel sujet, la manière dont l’autre va soutenir ou non ».
Pour que le conjoint croyant puisse nourrir sa foi, des lieux de soutien sont précieux. « Une femme dont le mari ne croyait pas allait chaque été faire une retraite d’une semaine et revenait heureuse, nourrie, rayonnante... au point de finalement donner envie à son mari de l’accompagner ! » évoque Karine Triot.
C’est aussi le témoignage d’Aurélie : « Dans notre vie de couple, Thomas m’incitait à vivre ma pratique religieuse avec d’autres, raconte-t-elle. Depuis 9 ans, je vais avec les enfants vivre une session d’été de 5 jours de retraite à Paray-le-Monial. Je l’ai vécu pour moi, les deux premières années, voulant respecter Thomas mais j’ai réalisé que cela creusait un fossé entre nous, tellement ce que j’y ai vécu est fort et ressourçant. Nous avons besoin de vivre en lien l’un et l’autre, aussi l’année suivante j’ai accepté d’y retourner et nous avons choisi de communiquer davantage : je lui donnais le programme, faisais part des choix de conférences. Certaines conférences sont tout à fait accessibles pour Thomas et je les partage avec un enregistrement avec lui à mon retour. Thomas est venu vivre un après-midi jusqu’à la veillée avec nous, quelle grande joie et moment de paix ! »
Karine Triot propose d’aller ensemble à des propositions sur des thèmes de couple, de famille ou de société, ou à un beau spectacle à dimension chrétienne. Cela peut être un moyen de se retrouver dans des moments communs, à partir desquels on peut dialoguer.
Dans cette situation, quelle place laisser au témoignage ? « Il faudrait assumer sa foi, qu’elle soit visible mais pas trop : par exemple, un coin prière dans un lieu où on le voit un minimum », suggère la conseillère conjugale et familiale. D’ailleurs, le fait d’avoir un conjoint non croyant est une opportunité pour questionner et approfondir sa propre foi et répondre aux interrogations de l’autre.
Comprendre là où celui-ci en est, le laisser avancer à son rythme en lui donnant des clefs est aussi un témoignage de charité, une manière d’avancer ensemble dans la recherche du sens de la vie.
Élisabeth et Félix Leseur ont vécu à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Élisabeth, amoureuse de son mari et croyante, a parfois dû supporter les remarques moqueuses de son mari à propos de la religion. A la mort de celle-ci, Félix découvre le journal intime de sa femme. Bouleversé, il se convertit, devient dominicain et commence même à constituer un dossier pour le procès de béatification de son épouse ! (lire aussi l’article « Élisabeth et Félix Leseur, l’amour comprend tout »). Ce cas, qui reste rare, montre néanmoins la force du témoignage.
Hélène, citée au début de cet article, garde l’espoir que son mari va rencontrer à nouveau le Christ. « D’ailleurs, il continue de se laisser toucher par la prière de notre petit dernier de 2 ans et demi qui, tous les soirs, fait sa prière avant de s’endormir, avec mon mari ou moi. Mon mari aurait pu refuser, choisir un autre rituel pour le coucher, mais il accepte aujourd’hui de choisir un chant avec lui et de l’aider à dire un merci pour sa journée. » L’espérance et l’amour ne sont-ils pas intimement liés ?
Solange Pinilla
Photo Cottonbro cc
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