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Sortir de la dépression : la force de l’entourage



Cet article est extrait de Zélie n°94 - Avril 2024 sur "La force du groupe", à découvrir gratuitement.



Touchée à deux reprises par une dépression post-partum de plusieurs mois après la naissance de ses enfants, Isaure Armanet (en photo) raconte ces épisodes douloureux dans un livre bouleversant, Interdit de pleurer, paru chez Mame.


La première fois, elle a été hospitalisée dans le service psychiatrique d’un hôpital, puis dans une unité mère-bébé, La Pomme. Lors de sa deuxième dépression, elle a choisi de se faire à nouveau hospitaliser dans cette unité qui favorise le lien entre la mère et l’enfant. Isaure témoigne du rôle décisif qu’ont eu, dans sa guérison, sa famille, ses amis, ainsi que les équipes médicales. Entretien.



Zélie : En quoi votre famille et votre belle-famille vous ont-elles aidée à traverser l’épreuve de vos dépressions post-partum ?


Isaure Armanet : Nos familles m’ont soutenue par une aide matérielle, et par leur présence. Quand mon mari, Tanguy, est parti en mission, quelques semaines après la naissance de notre premier enfant, Eléanore, j’avais très peur d’être seule. Je faisais des crises d’angoisse. Un oncle et une tante du côté paternel sont venus m’aider. Puis cela a été le tour de ma mère – mes parents étant séparés. J’avais très peu d’énergie, et tout me semblait une montagne, même lancer une machine. Ma mère s’est occupée de la cuisine et de faire tourner la maison. C’était aussi une présence affective, elle me rassurait : « Cela va changer, tu arrives très bien à t’occuper de ta fille. »


Au moment où elle allait partir, Tanguy devait être encore en mission pendant plus d’un mois. Je suis donc partie chez ma mère, car elle ne voulait pas me laisser seule dans cet état. Chez elle, à Paris, j’ai encore été prise en charge dans mon quotidien, qu’il s’agisse des repas ou du quotidien avec ma fille. Ma mère a aussi été d’une aide décisive dans la fin du déni. C’est elle qui a prononcé le mot de « dépression », et c’est aussi son compagnon, médecin, qui m’a poussée à aller consulter un psychiatre.


Quand je suis allée aux urgences psychiatriques, et que j’ai été hospitalisée dans la foulée, ma mère a gardé ma fille 24 heures sur 24, et a fait en sorte que mon père, mes beaux-parents ou elle emmènent Eléanore me voir une fois par jour. J’ai eu des visites quotidiennes !


Pendant ma deuxième dépression qui a suivi la naissance de notre fils Pio, je m’étais installée en amont chez mes beaux-parents, car mon mari devait à nouveau partir en mission deux semaines après la naissance. Lorsque j’ai été hospitalisée cette fois-là, avec mon bébé, mes beaux-parents et mes beaux-frères et belles-sœurs se sont occupés de garder ma fille chez eux, et de l’amener me voir le mercredi et le week-end. Heureusement qu’ils étaient là !


Mes sœurs et mon frère se sont également mobilisés. Par exemple, lors de ma première dépression, une de mes sœurs qui était en région parisienne est venue me voir à de nombreuses reprises à l’hôpital puis en unité mère-bébé, et a même assisté à une réunion avec la pédopsychiatre du service.


Dans notre malheur, nous avons eu beaucoup de chance d’avoir ce soutien familial. Je pense aux autres mamans de l’unité mère-bébé. L’une d’elles, dont la famille habite les Comores, avait trois autres enfants, et son mari a dû arrêter de travailler pour s’occuper de ceux-ci, ce qui a provoqué des problèmes financiers.


Vos amis ont-ils été un soutien dans ces épreuves ?


Mon premier soutien a été familial. Ma famille m’a accueillie telle que j’étais. Lors de ma première dépression post-partum, au bout de 5 jours d’hospitalisation, je me suis autorisée à « me détendre » et à dire à mes amis où j’en étais... J’ai reçu de leur part un accueil agréable, très compatissant. Alors que je me sentais nulle, incapable, indigne d’exister, l’affection de ma famille et celle de mes amis ont contrecarré ces sentiments.


J’ai reçu de nombreuses visites d’amis. Cela m’a fait beaucoup de bien. Lors de ma première dépression, j’ai surtout subi les événements ; ce sont ma mère et mes sœurs qui se sont occupées de l’organisation des visites des amis. Pendant la seconde dépression, j’ai choisi d’être hospitalisée. J’ai donc pris les devants et j’ai prévenu mes amis. Un groupe de discussion WhatsApp a été créé pour mes amis parisiens. Les jours où il n’y avait pas de visite de ma fille aînée, je me suis organisée pour qu’il y ait toujours une personne qui me vienne me voir. De mes amis de Toulon, où nous habitions, j’ai reçu des fleurs, des bonbons, des cartes ; c’était magique. Cela m’a apporté de la consolation, et le sentiment d’être aimée. Même après avoir déjà fait une première dépression, je voyais que ce nouvel épisode dépressif ne changeait rien à l’affection qu’ils avaient pour moi.


Le fait d’avoir parlé autour de moi, de manière assez libre et avec humour, de ma première dépression post-partum a aidé des amis garçons, assez éloignés de ma situation, à mieux comprendre la seconde. C’est d’ailleurs l’un des premiers conseils que je donne aux femmes qui rencontrent des difficultés maternelles : « Parlez ! » Dire les choses en vérité, exprimer sa souffrance, font qu’il est rare que des portes se ferment.


Un autre groupe de personnes dont l’action a été très importante est celui des équipes médicales, notamment lorsque vous avez été hospitalisée dans l’unité mère-bébé...


Ces professionnels avaient les clefs pour m’expliquer scientifiquement ce que je vivais, notamment ce que sont les symptômes de la dépression post-partum, et le fait que cette pathologie a un début et une fin.


Lors de ma première hospitalisation à La Pomme, l’équipe - composée notamment d’auxiliaires de puériculture et de pédopsychiatres - était très englobante et valorisante. Ils avaient confiance en moi, dans ma capacité à bien créer du lien avec ma fille. Lors du dernier entretien, le médecin-chef du service m’a dit : « On a beaucoup aimé travailler avec vous ». Cela m’a fait du bien.


En fait, la famille et les amis m’ont aidée à reconstituer le puzzle de l’image de moi qui était en mille morceaux, et l’équipe médicale y a également beaucoup contribué.


Lors de ma deuxième hospitalisation à l’unité mère-bébé, j’avais davantage conscience de ce qui se passait, et je voyais plus les limites de l’hospitalisation, les décisions que je n’avais pas forcément envie de suivre... Cependant, je ne me suis pas sentie jugée une seule fois. J’y ai aussi recroisé deux soignantes que j’avais déjà vues lors de mon premier séjour à l’unité mère-bébé. J’ai demandé à l’une d’elles : « Est-ce que vous pouvez me promettre que je vais m’en sortir ? » Elle m’a répondu : « Je vous le promets. »


Quant au médecin-chef, même s’il y avait des choses qui m’agaçaient chez elle, elle a mis le doigt là où il fallait. Je suis partie du service un peu vite car c’était le début du premier confinement de 2020, mais elle m’a fait promettre de continuer ma psychothérapie. Heureusement que cela a été le cas, car cela m’a aidée pour que la troisième naissance se passe bien, cette fois.


Le fait qu’il y ait plusieurs soignants dans l’équipe est précieux, car on éprouve des affinités avec certains soignants davantage qu’avec d’autres, et il y en a aussi entre les soignants et les bébés.


Ces structures médicales et sociales pour préserver le lien mère-enfant existent en France, mais ce n’est pas le cas dans tous les pays... Pensez-vous que l’on doit à la société française, à notre pays, de bénéficier de ce savoir-faire et de cette solidarité ?


Absolument. D’ailleurs, au niveau financier, j’ai appris que ma première hospitalisation à la Pomme avait coûté plusieurs milliers d’euros, remboursés par la Sécurité sociale. Je n’ai rien payé directement de ma poche. Notre système de santé est une chance ; ce n’est pas le cas partout, aux États-Unis par exemple. Merci la France !


Après ma deuxième hospitalisation, j’ai continué le suivi dans une unité parents-bébé près de chez moi à Toulon ; on peut y venir une journée ou une matinée par semaine par exemple. Des métiers sont réunis en un seul lieu : sage-femme, assistante sociale, psychomotricienne... On peut prendre plusieurs rendez-vous en une journée. Là encore, le côté pluriel du groupe permet la richesse du soin, et une carte plus large pour toucher tous les profils.


Les autres patients des services où vous étiez ont-ils été un soutien pour vous, dans une relation d’entraide ?


C’est le cas, et je repense souvent à eux. C’est de l’ordre du compagnonnage. Lors de ma toute première hospitalisation, dans un service psychiatrique, nous jouions ensemble au poker, nous regardions des films. J’en garde un bon souvenir. On est vraiment dans la même « galère ». J’y aurais perdu, si je n’avais pas fait ce pas vers eux.


Avec les autres mamans des unités mère-bébé, les échanges ont été enrichissants, même au niveau social. Avec certaines, je n’avais presque aucun point commun. Pourtant, grâce à la solidarité dans l’épreuve, j’ai été émue par leur histoire de vie. Une femme des Comores, musulmane, m’a fait découvrir de belles choses sur la fidélité à la prière. Elle mettait cinq réveils sur son téléphone et allait prier discrètement. Pendant une période, avec ces femmes toutes différentes, on a fait groupe. Propos recueillis par S. P.


La dépression post-partum, un trouble sous-estimé


Apparaissant dans les semaines qui suivent l’accouchement, la dépression post-partum associe une tristesse intense et inexpliquée, une instabilité émotionnelle, des troubles du sommeil, des croyances négatives avec un sentiment de culpabilité, une perte d’intérêt pour le nourrisson, une dépréciation de ses compétences maternelles, voire des idées suicidaires, selon un article de l’Assurance maladie. La dépression post-partum concerne 16 % des femmes deux mois après leur accouchement, d’après les résultats de l’enquête nationale périnatale menée en 2021. Elle est à distinguer du baby-blues, qui disparaît totalement dans les deux semaines qui suivent la naissance.



Photo © Caroline Sans

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