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Quand une fille pardonne à son père



Dans un livre bouleversant, Priscille Roquebert raconte sa relation avec son père, touché par la dépression et l’alcoolisme. Malgré tant d’épreuves et de violences subies – et sans oublier celles-ci -, elle a réussi à pardonner et à se réconcilier avec lui.



Priscille est une petite fille brune pleine de vie, née en 1984. Elle est heureuse, même si son père, un homme plein de charme et d’humour, est aussi très autoritaire. Il se considère comme un chef de famille à qui tout le monde doit obéir au doigt et à l’œil, et il n’accepte pas qu’on crie ou qu’on pleure en sa présence. Son épouse est effacée derrière son autorité.


Quand Priscille Roquebert a 6 ans, ainsi qu’elle le raconte dans Du poison au Pardon (éditions du Sacré-Cœur), l’ambiance familiale change : son père est touché par une dépression sévère. Il fait des séjours en clinique. Cette dépression, qui est en fait une rechute, serait due notamment à son échec face aux attentes de ses parents : « Les deux grands-pères de Papa ont fait une grande école qui s’appelle « Polytechnique ». Papa voulait rendre fiers ses parents. Sa grand-mère lui avait dit avant de mourir qu’il ferait Polytechnique comme son grand-père. » Ce qu’il n’a pas réussi.


Le comportement de son père, déjà brutal dans son éducation, devient violent quand il se met à boire pour tenter d’endiguer sa dépression. Priscille a 10 ans et quatre sœurs, et elle commence à vivre dans la peur : elle voit son père régulièrement sous l’emprise de l’alcool, titubant, faisant des allers-retours pour chercher ses bouteilles et dormant beaucoup. Il commence à frapper son épouse. Priscille s’interpose régulièrement entre ses parents et tente de protéger sa mère.


C’est le début de fugues régulières de la mère et des filles, quand le père est trop alcoolisé. Elles vont quelques jours ou semaines chez leurs grands-parents ou chez des amis. Mais à chaque fois, les parents reprennent leur vie commune, car la mère – elle-même sous antidépresseurs – a décidé de sauver son couple « coûte que coûte », quitte à sacrifier la sécurité de ses filles. « Il y a toujours un temps d’accalmie, temps où mon père ne boit plus. Hélas petit à petit, l’alcool et la violence reprennent leur place dans notre vie. »


Habitée par la haine contre son père, la jeune fille tente de se construire malgré tout, et passe un BEP Carrières sanitaires et sociales. Son père habite maintenant en face de chez sa famille. Pour une année, Priscille part en Irlande comme jeune fille au pair.


En 2004, Priscille regarde le film La Passion du Christ de Mel Gibson ; elle découvre que Jésus a porté ses meurtrissures avant elle et son cœur est touché. En effet, bien qu’ayant été élevée dans une famille catholique où l’on allait à la messe tous les dimanches et on disait la prière du soir en famille (même son père alcoolisé était présent), elle avait une approche intellectuelle de la foi et ne comprenait pas que Dieu permette l’enfer dans lequel elle vivait. La jeune femme entame un chemin de conversion intérieure, où elle gagne un « frère », Jésus, et progressivement un « Père », Dieu le Père, même si ce mot lui est difficilement supportable.


Elle comprend que Dieu l’appelle à pardonner, sans excuser. Elle est toujours habitée par une profonde colère contre cet homme qui leur a fait tant de mal. « Comment concevoir que si je pardonne, cela ne veut pas dire que je n’ai plus le droit de souffrir ni de pleurer sur mon passé ? »


Un jour, dans son groupe de prière, elle voit arriver son père, non alcoolisé. Elle se décide : « Papa, je voulais juste te dire que je suis sur le chemin du pardon ». Il lui déclare : « Priscille, je t’ai toujours aimée ». Elle ne le croit pas, d’autant que ce qui l’a fait souffrir plus que tout, c’est l’absence d’un père aimant. Il a toujours été sec, exigeant et brutal. Elle ne sait pas ce que c’est que de se laisser aimer.


Au cours d’une année de formation avec la communauté de Béatitudes, elle rencontre son futur mari, Mathieu. Le chemin est parfois difficile : comment bâtir une relation quand on ne se croit pas digne d’être aimée ? L’écriture d’un cahier intitulé Victoires l’aide à avancer.


Son père est désormais abstinent. A 22 ans, Priscille se sent prête à pardonner à son père. « Non pas sous couvert de lui laisser une seconde chance qu’il n’ait pas intérêt à louper. Il n’y a pas de conditions, aucune menace. J’ai décidé d’avancer et d’apprendre, lui aussi, à l’aimer. » Elle va le voir et ils vivent un moment de réconciliation. « C’est moi qui choisis la liberté. Je peux vivre mon avenir sereinement, une page, celle de la haine, se tourne. »


Même si les relations avec son père, abstinent, mais par la suite diagnostiqué bipolaire, restent complexes jusqu’à la mort de celui-ci en 2016, Priscille a pu trouver sa place de femme. Et cela notamment en passant d’abord par celle de fille : fille de ses parents et fille de Dieu. Solange Pinilla




Photo © Agence Fargue


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