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Lutter contre les violences conjugales




La violence s’installe malheureusement parfois dans le couple : soit dans un conflit où les deux conjoints ne se respectent plus mutuellement, soit dans la domination et l’emprise de l’un sur le second. C’est essentiellement sur cette situation que Bérengère de Charentenay, conseillère conjugale et familiale au cabinet Raphaël, nous éclaire.



Quelles sont les différentes formes de violence qui peuvent survenir au sein d’un couple ?


Il y a les violences physiques, mais aussi des violences psychologiques, telles que des humiliations, de l’isolement. Les violences sexuelles en sont également une forme, et l’on voit que la question du consentement n’est pas toujours claire dans certains couples – nous le voyons en cabinet. La violence s’exprime également parfois de façon verbale, notamment par des insultes. Sans oublier les violences économiques – où un conjoint retire à l’autre son accès aux finances – et administratives – où il lui enlève sa carte d’identité par exemple.


Comment classifier cette violence en termes de degrés, entre ce qui demande d’être vigilant et de dire stop, et ce qui nécessite de se protéger urgemment et de partir ?


D’abord, il me semble important de distinguer deux situations. D’une part, le conflit violent de couple, qui dégénère, où les deux conjoints sont impliqués de manière égale. D’autre part, les violences conjugales à proprement parler, où l’on est en présence d’une relation asymétrique, dominant-dominé, avec déstabilisation et souvent emprise sur la victime ; celle-ci se sent dans un état de danger et de soumission.


Dans le conflit violent de couple, même si l’un peut avoir une « colère chaude » et l’autre une « colère froide », il est possible de désamorcer la situation, notamment grâce à un travail avec un conseiller conjugal. En revanche concernant la situation d’emprise, il est plus difficile d’en sortir ; cela peut révéler une pathologie et l’intervention d’un psychiatre est alors essentielle.


Pour répondre plus précisément à votre question, il faut savoir dire stop quand on ne se sent plus respecté, par exemple : « Quand tu me critiques devant les autres, je ne me sens pas respecté ».


Les victimes de violences conjugales sont majoritairement des femmes (88%, selon les chiffres de la police et de la gendarmerie pour 2019). Dans votre cabinet, observez-vous des différences dans les formes de violences entre les femmes et les hommes ?


Au sujet des chiffres, c’est en effet ce qui est observé dans les dépôts de plainte ; il est très rare qu’un homme fasse une déclaration quand il subit des violences conjugales. Quand j’ai reçu des victimes dans mon cabinet, c’étaient des femmes - et elles venaient seules.


Concernant les situations de conflit de couple que je vois dans mon cabinet – impliquant donc également les deux conjoints –, j’observe souvent deux formes de violences : l’un est plus explosif et démonstratif, l’autre davantage dans la fuite et le refus de parler ; cela s’exprime indifféremment chez les hommes ou les femmes – j’ai déjà vu notamment des femmes qui frappent leur mari.


De nombreuses victimes mettent plusieurs semaines, mois ou années avant de quitter leur conjoint violent. Comment expliquer cela ?


Cela est dû à la survenue de plusieurs cycles de violence progressifs. La première étape du cycle de la violence conjugale est celle de la tension qui monte, de la colère et de la menace. Puis c’est la crise, avec passage à l’acte et agression. Ensuite, c’est la phase de justification, où l’agresseur essaie de culpabiliser la victime, qui se sent alors responsable de la situation. Enfin, la « lune de miel », où l’agresseur demande pardon, dit qu’il va changer, qu’il va aller voir un conseiller conjugal ; la victime est à nouveau séduite, et comme elle a peur de se retrouver seule ou encore de rencontrer des problèmes économiques, elle renonce à partir. Mais au bout d’un moment c’est le retour du climat de tension, et les épisodes de violence reviennent de plus en plus vite et de plus en plus intensément.


Au fil de ces cycles, la victime peut ainsi partir et revenir de nombreuses fois, avant, souvent, de partir définitivement. Elle vit peu à peu une perte d’estime d’elle-même ; elle a honte, se sent isolée, sans énergie et brisée.


Que faire concrètement, lorsqu’un conjoint devient violent ? 


Il faut se protéger ! Même si, comme on vient de le voir, ce n’est pas si simple dans une situation d’emprise. Parmi les aides, il y a le numéro d’écoute national, le 39 19, pour les victimes et leur entourage. Dans tous les départements, il y a des assistantes sociales auxquelles on peut faire un dépôt confidentiel. Les Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDDF) des départements proposent également des permanences d’information juridique. Souvent, les femmes qui préparent leur départ font domicilier leur courrier chez une amie, et en y déposant leur carte d’identité par exemple.


On peut aussi porter plainte, même si dans les faits, on observe que les commissariats préfèrent une main courante (c’est-à-dire un signalement des faits), et les plaintes aboutissent rarement – il est notamment difficile de faire constater des violences psychologiques. L’assistante sociale peut orienter la victime vers un Centre d’hébergement d’urgence spécifique aux personnes victimes de violence conjugale ou lui permettre de bénéficier du dispositif Téléphone grave danger (TGD). La victime peut également saisir un juge aux affaires familiales qui peut délivrer une ordonnance de protection afin de tenir l’agresseur à l’écart.


En bref, il faut en parler à une conseillère conjugale et à une assistante sociale, pour connaître ses droits, préparer son départ et être accompagné jusqu’au bout. Il arrive que la victime se confie à un ami ou à une amie si elle n’a pas été isolée ; cela peut lui permettre d’être écoutée dans un climat bienveillant et de s’entendre dire « Tu es violentée, c’est vrai », alors même qu’elle est paralysée physiquement et psychiquement.


Quelles sont les conséquences de la violence conjugale sur les enfants ?


Il est vrai que certaines victimes ont peur des représailles sur les enfants, et de ce fait ne partent pas. Cependant c’est aussi la peur de voir leurs enfants subir de telles violences qui permet aux victimes de prendre la décision de partir ; d’autres s’en vont donc dans le but de protéger les enfants. Les enfants dont l’un des parents agresse son conjoint vivent dans la peur et l’insécurité ; ils présentent souvent des troubles du sommeil et de l’alimentation ; ils peuvent parfois être des victimes directes. Ils sont également dans un conflit de loyauté, soit par rapport à l’agresseur, soit en prenant la position du protecteur de la victime.


Après une séparation, le conjoint peut continuer à exercer des formes de violence. Comment se protéger ?


En effet, ceux qui sont père ou mère le restent après la séparation, et sont souvent amenés à se revoir. Le mieux est de mettre la loi comme tiers entre l’agresseur et la victime, en se rencontrant par exemple dans un lieu neutre encadré par la loi.


Une question sur une violence davantage taboue : la violence des adolescents envers leur père ou leur mère. Comment réagir dans ce cas ?


Là encore, on n’a pas à accepter la violence de l’autre ; il faut dire stop, reposer le cadre, dire l’inacceptable, et cela va parfois jusqu’à porter plainte. On peut faire appel à un tiers, à des aides éducatives. Le père ou la mère qui sont victimes sont là encore à accueillir avec délicatesse, car ils peuvent ressentir de la honte, de la culpabilité, et un sentiment d’échec. Propos recueillis par Solange Pinilla



Comment un conjoint en arrive-t-il à devenir violent ?


Une des explications possibles est que, pour le conjoint agresseur, « l’autre est un "objet" dont on ne peut se passer sous peine de devoir faire face à un terrible sentiment d’angoisse et de vide, expliquait dans Psychologies magazine Alain Legrand, psychologue et psychanalyste, spécialiste des violences conjugales et familiales. Lorsqu’il existe une faille narcissique, cette dépendance est conflictuelle, car l’autre nous rappelle, par sa simple présence, que nous dépendons de lui pour vivre. Dans les situations de crise sont alors réactivées des choses très sensibles de l’ordre de l’abandon et d’autres angoisses originaires, ce qui déchaîne la violence. » S. P.



« Départ »


« Je l’ai quitté sans conviction. J’étais trop fatiguée pour avoir les idées claires. J’étais très habituée à ce que je vivais. Et puis surtout qu’aurais-je fait ? Qu’aurais-je réussi à reconstruire ? Rien. Étais-je capable seulement de retravailler ? (...) La première raison a été que j’étais enceinte de huit mois. Et le souvenir de l’effroi que j’ai vécu à la naissance de ma première fille est revenu. (...)


« Il m’a mis une grande baffe. Il a dit : « t’as plus de lait connasse » et il m’a frappée. C’était la première fois ? Non, c’est arrivé à 3 mois, à 5 mois, et à 8 mois de grossesse. » (...)


Ensuite il y a eu deux scènes de violence, qui m’ont laissée en état de choc. (...)


Ensuite il y a eu des malveillances, irréversibles et cruelles. Les médisances constantes m’avaient isolée dans un étroit milieu rural. Et puis il y a eu tous ces mots de rejet, ces insultes prononcées contre ma fille. (...)


Je suis partie avec des doutes. J’ai paniqué. Je me suis retrouvée en bas du lit superposé d’un accueil d’urgence. Et le lendemain, c’était fini. C’était détruit. La page était tournée. Tout restait à refaire. (...)


Mais six mois après, déjà, ma vie prenait un tournant unique, C’était ma vie. Je m’aimais et j’aimais mes filles. J’ai relu mon histoire et me suis libérée des entraves passées et plus lointaines encore. (...)


Ma vie n’est pas un conte de fée mais elle a comme une jubilation. Je suis passée du mépris à la fierté, du déni à la vie. »


Emmanuelle Dupré, Tiré des sables



Article publié dans Zélie n°61 - Mars 2021



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