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Relations : sortir de la toxicité ordinaire


Dans un livre passionnant, Le triangle maléfique (Editions Emmanuel), le Père Pascal Ide part du triangle dramatique de Karpman pour définir trois attitudes – Sauveteur, Victimaire, Bourreau – que nous expérimentons trop souvent. Ce triangle nous détourne de la logique du don. En sortir est heureusement possible.

« Marguerite, 32 ans, célibataire, triste de l’être, cherche désespérément à se marier. Chaque fois que quelqu’un le lui faisait remarquer, elle était de plus en plus abattue. Très Victimaire à l’égard de son état de single, elle l’était aussi dans son travail. Un jour, elle se dit : « Il y en a marre d’être malheureuse. Que je sois mariée ou non, je décide d’être heureuse. » Or, le jour où elle a lâché son célibat et surtout décidé de sortir de sa posture plaintive, en quelques mois, elle s’est mariée. »

Par cette histoire citée dans son livre Le triangle maléfique, Pascal Ide décrit l’une des façons de sortir de l’attitude Victimaire, dont l’une des caractéristiques est de se penser à 0 % responsable de son malheur, de se lamenter et de tout attendre des autres.

Au départ, c’est sur le triangle dramatique défini par le psychiatre américain Karpman que Pascal Ide se fonde : Bourreau, Victime et Sauveur. « Le Bourreau est le personnage qui commet la violence, la Victime celui qui la subit et le Sauveur celui qui l’en délivre » explique Pascal Ide. Il ne s’agit bien sûr que de personnages, de facettes des personnes. Cependant, un dédoublement des trois pôles est nécessaire car « il existe des contraintes légitimes, d’authentiques victimes et des sauveurs respectueux ».

La toxicité survient quand les personnages ne respectent pas la liberté de l’autre, et leur nom change alors : le Bourreau fait le mal et ne donne pas (contrairement au Régulateur), le Victimaire subit le mal et exige de recevoir de l’aide, le Sauveteur soigne le mal et impose son aide.

C’est pour cette raison que Pascal Ide renomme ce triangle le « triangle maléfique » (TM), car il s’agit de trois types de relations vis-à-vis du mal ; elles sont toutes des détournement du don.

Par ailleurs, ces rôles sont complémentaires. Une attitude appelle l’autre, en un cercle vicieux : un Victimaire va provoquer une attitude de Sauveteur. Un scène du film Oui, mais... d’Yves Lavandier montre une mère alcoolique qui, un soir, incite sa fille à sortir, tout en buvant elle-même ostensiblement de l’alcool. C’est ce qu’on appelle une « double injonction contradictoire » : la mère dit une chose mais son langage corporel dit le contraire et appelle au secours. La fille reste avec sa mère, bien que celle-ci ne lui ait rien demandé ; la fille offre une aide démesurée, puisqu’elle consacre toute sa soirée à sa mère en la bordant dans son lit : elle a une attitude de Sauveteuse.

Mais bientôt, elle switche - c’est le terme en usage pour désigner un changement de rôle dans le triangle maléfique - en Bourreau, quand son père revient et qu’elle lui dit agressivement, alors qu’il lui demande pourquoi elle n’est pas sortie : « Devine ! Tu pourrais pas t’occuper un peu d’elle ? » Il y a souvent une circulation des rôles dans le TM.

Si les personnes rentrent dans les relations toxiques du TM, c’est parce qu’elles y trouvent des bénéfices secondaires : par exemple, être confirmé dans des croyances fondamentales sur soi, sur les autres ou sur la vie : « Il ne faut jamais faire confiance », « Je n’ai jamais rien fait de bon dans ma vie ». Ou encore, rejouer dans le présent un traumatisme ou un manque passé et inconscient. « Les bénéfices secondaires sont tellement avantageux que le joueur est constamment à la recherche d’un autre joueur qui entrera dans le triangle, explique Pascal Ide. Et s’il n’accroche personne, il changera d’environnement pour trouver le joueur correspondant à son jeu favori. »

Pour reconnaître les trois rôles, il faut regarder d’abord l’être humain en lui-même, dans ses dimensions cognitive, affective et active, et d’autre part considérer les transactions entre les trois personnages du TM.

Qu’est-ce que le pôle Victimaire ? Le Victimaire se dit inconsciemment : « En me plaignant auprès de l’autre, je serai aimé. » Sa plainte est épuisante, continue et égocentrée. Il est triste et amer, de manière démesurée. Il est tourné vers le problème et repousse toutes les solutions - contrairement à la vraie Victime. Il oblige l’autre à lui donner, parfois jusqu’à lui dire en quelque sorte : « Tu es 100 % responsable de mon bonheur. » Tôt ou tard, il switche en Bourreau et accuse : « Quand je pense à la carrière que j’aurais eue si je ne t’avais pas épousé ». Ou « On voit bien que tu n’es pas à ma place. »

Pour identifier un Sauveteur, il est important de connaître le désir de celui-ci : « En aidant l’autre, je serai aimé ». Il use d’une empathie démesurée, guettant et devinant en permanence les besoins d’autrui. Il exige en fait un retour et met l’autre en dette, contrairement au vrai Sauveur qui vit dans le don libre et joyeux. Chevalier blanc, le Sauveteur n’attend pas la demande d’aide ou de conseil, et donne à l’autre sans s’enquérir de son avis. Il ne respecte pas la liberté de la victime, et lui-même ne sait pas dire « non » à une demande de service.

Il peut faire entrer quelqu’un dans le TM en l’incitant à devenir Victimaire ou Bourreau. Pascal Ide cite l’exemple de Julie, mère de France qui a un handicap léger ; Julie a tendance à surprotéger sa fille et l’empêche de développer ses propres ressources ; celle-ci reste en état de fusion avec sa mère et surjoue les pleurs. Dans cette situation, le handicap joue en fait le rôle du Bourreau, la mère celui de la Sauveteuse qui fait de sa fille une Victimaire.

Enfin, le personnage du Bourreau pense : « En m’imposant à l’autre, j’obtiendrai ce que je veux. » Il a tendance à manipuler. Il use souvent d’une colère démesurée et injuste et cause une victime, contrairement au Régulateur – par exemple, un policier qui arrête un criminel. Il ne respecte pas la liberté de l’autre car il est dans la captation et perçoit peu l’altérité. « « Tu pourrais arrêter de regarder sur ton téléphone quand je te parle » dit la femme, agacée, tout en saisissant le bras du mari qui tient le smartphone. » On observe d’ailleurs que cette attitude de Bourreau répond à l’attitude de Bourreau du mari qui n’écoutait pas sa femme. Le Bourreau se transforme souvent en Victimaire, comme le capitaine Haddock, qui tombe régulièrement sous l’emprise de l’alcool et devient Bourreau, avant de se repentir et de dire : « Je suis un misérable ».

Il nous arrive de vivre nous-mêmes l’un des trois rôles, ou plusieurs, de façon occasionnelle ou habituelle. Quelles que soient ses blessures psychiques, l’être humain dispose d’une conscience morale et d’une responsabilité propre. Pour sortir du triangle maléfique, il doit d’abord prendre conscience de ses entrées dans le TM, de ses bénéfices secondaires et des effets toxiques sur lui-même et son entourage.

Décider de changer est nécessaire au Victimaire pour passer de la plainte à la demande, au Sauveteur de l’imposition de l’aide à la demande d’aide, au Bourreau de la captation à la réception et au don. écrire cet objectif et le visualiser aide à l’incarner. Si l’on est « joueur professionnel » du TM, une aide psychothérapeutique peut être nécessaire. Enfin, cultiver les vertus permet de corriger les personnes : la responsabilité et la gratitude pour le Victimaire, l’humilité et l’authentique générosité pour le Sauveteur, la douceur et la patience pour le Bourreau.

Restaurer son estime de soi est aussi capital pour ne pas utiliser l’autre à ses propres fins. Pour se protéger de personnages de type Victimaire, Sauveteur ou Bourreau, un outil permet également de se respecter soi-même et de respecter l’autre en même temps : les 3 P (voir ci-dessous). Un autre bon moyen pour mettre des limites à une attitude toxique est la technique du « disque rayé » : on répète son souhait, de manière calme et courtoise, jusqu’à ce que la personne entende enfin et accepte. Il semblerait que quatre occurrences en moyenne soient nécessaires.

Sortir des relations toxiques, qu’elles soient initiées par nous-mêmes ou par les autres, passe par un travail quotidien. « Vous passerez du Triangle toxique à des relations toniques, de la rancœur qui rétrécit le cœur au don qui l’élargit » promet Pascal Ide. Solange Pinilla

Les « 3 P » pour mieux se respecter

Le triangle des 3 P – « permission - protection - puissance» – a été créé par éric Berne, psychiatre et fondateur de l’analyse transactionnelle. Pascal Ide la propose pour se respecter et sortir du TM :

La puissance permet d’écouter et de prendre en compte ses besoins : « J’ai besoin d’avoir ma propre vie, et de ne pas aller chez ma mère tous les week-ends comme elle me le demande ; je peux le faire. » La permission est de s’autoriser à le faire : « J’ai le droit de rester chez moi ou de partir à l’extérieur ». La protection est d’oser dire non : « Maman, je comprends que cela te ferait plaisir que je vienne. Mais j’ai d’autres obligations. En revanche, mon dimanche est libre dans trois semaines. » Si besoin, la protection peut passer par recourir à une aide extérieure qui écoutera sans juger.

Crédit photo : Thijs van der Weide/Pexels License

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