Bâtir des moments de qualité en famille
Trop longs sont les week-ends ou les journées de vacances où chacun traîne sa mauvaise humeur ou son ennui. Pour réenchanter le quotidien en famille, construire de beaux souvenirs et surtout s’aimer davantage, nous avons cherché un éclairage auprès d’Inès Saint Georges, conseillère conjugale et familiale au cabinet Raphaël.
Zélie : Pourquoi est-il si important de passer du temps de qualité et de plaisir en famille ?
Inès Saint Georges : Les moments de qualité sont l’un des cinq langages de l’amour évoqués par Gary Chapman, avec les paroles valorisantes, le toucher, les services rendus et les cadeaux. Les moments de qualité sont des temps privilégiés pour échanger, partager, s’écouter, nommer ses émotions, rire, pleurer parfois... Il permettent de se rendre disponible, de se rendre « présent » – comme un cadeau – pour mieux se donner et recevoir de l’amour. En effet, aimer implique l’action ; il faut poser des actes, car si on ne décide pas de les planifier, le temps passe et on ne les fera pas. Ces moments supposent des renoncements : il faut dire non à une invitation extérieure, au travail, aux écrans, au téléphone...
Cependant, chaque famille est unique : pour certains, les moments de qualité se déroulent particulièrement pendant les repas ; pour d’autres, moins. Certains sont dans l’« être », d’autres davantage dans le « faire ».
Quels sont les obstacles qui nous empêchent de passer des moments de plaisir en famille ?
Je ne pense pas que l’argent soit un obstacle aux moments de qualité. Il existe des familles ayant de grands moyens financiers mais qui ne savent pas prendre ce temps. Il suffit parfois d’être tous ensemble dans le salon ! Bien sûr, des moyens financiers peuvent permettre de passer des moments de qualité plus exceptionnels. Le véritable obstacle, ce serait plutôt ne pas se poser la question suivante : « Suis-je vraiment disponible pour parler à mon enfant, à l’étudiant qui rentre à la maison ? », et de ne pas dire non aux tentations extérieures.
Comment passer de bons moments en famille sans forcément faire des dépenses importantes au parc d’attractions ?
Selon les goûts, on peut partir randonner en montagne, jouer aux jeux de cartes, faire du vélo, organiser un pique-nique, réaliser une sortie culturelle, faire un jeu de mimes, admirer un coucher de soleil, pratiquer un sport... Ou juste passer du temps à jouer de la guitare pendant un moment où chacun peut parler librement. Il faut aussi savoir faire évoluer ce moment : si le film du dimanche soir n’est plus autant un moment de qualité qu’auparavant, on peut demander aux enfants : « Qu’est-ce que vous aimeriez vivre ? » Ou : « L’année dernière nous avons fait telle sortie, de quoi auriez-vous le plus envie cette fois-ci ? » Il est important de ne pas être dans des schémas répétitifs et de libérer la créativité.
Comment faire pour trouver une activité qui convienne aux adolescents comme aux plus jeunes enfants ?
Il ne faut pas idéaliser les moments de qualité : parfois, on va faire davantage plaisir aux grands, à d’autres moments aux plus jeunes. On apprend ainsi l’altérité. En fait, ce n’est pas tant ce qu’on va faire qui compte, mais la façon dont on va le vivre. Le plus important, c’est que chacun puisse nommer ses besoins, même s’ils ne seront pas tous exaucés. Il est possible qu’il puisse y avoir des déceptions, que cela ne se passe pas aussi bien que prévu, que le temps soit pluvieux.. L’essentiel est d’être ensemble.
Pourquoi ne faut-il pas néanmoins tout faire tout le temps ensemble, mais aussi préserver des temps de solitude ?
Parce que chaque membre de la fratrie a des besoins différents, et ces besoins évoluent. Si lorsque l’on va partir pour la promenade du dimanche, l’adolescent dit, pour la première fois : « Je ne veux pas y aller », il faut accepter cette étape. Sa demande de solitude et d’autonomie, d’espace pour grandir et se détacher doit être respectée et valorisée. Il faut accepter que les places bougent. Le temps de qualité peut également être vécu comme étouffant par un enfant qui ne se sent pas aimé particulièrement grâce aux moments de qualité, mais davantage par les paroles valorisantes par exemple. Enfin, à l’adolescence, l’enfant va commencer à chercher ses moments de qualité ailleurs qu’à la maison, avec d’autres jeunes. C’est bon signe.
Qu’est-ce qu’un rituel familial et à quoi sert-il ?
Les rituels familiaux marquent notre appartenance à une famille et font croître notre identité. Nous en avons besoin pour nous construire. Ils sont uniques à chaque famille : la réunion des cousins le 15 août, une pièce de théâtre ou une crèche vivante à Noël... Cela constitue une boîte à souvenirs, mais surtout un moyen de réenchanter la vie, de renouveler le plaisir d’être ensemble et de célébrer.
Ces rituels peuvent être sources de joie, mais pour d’autres, ils peuvent être contraignants et pesants. Mieux vaut se détacher de certains rituels et en créer ensemble de nouveaux, par exemple quand on fonde sa propre famille. Certains passent quinze jours par été avec leur belle-famille, ne trouvent plus leur place et cela finit par exploser ! Au lieu de cela, il vaut mieux créer sa propre histoire, son propre rituel. On peut réinterroger le Noël ou les vacances en famille élargie pour le passer juste avec ses enfants, si cela permet de mieux s’aimer.
Avez-vous un dernier conseil ?
Gardez du temps et de l’énergie pour le premier enfant du couple : le couple lui-même ! Les enfants, eux, vont partir. Le couple est essentiel. On risque pourtant souvent de se laisser prendre par le temps... J’ai entendu un couple dire : « Notre dernier repas juste tous les deux, c’était il y a trois ans... » De plus, pour nourrir et organiser les moments de qualité en famille, cela demande du temps en couple. A chaque famille de trouver son propre équilibre. • Propos recueillis par Solange Pinilla
Témoignages - Retrouver son âme d’enfant
« L’un de mes meilleurs souvenirs d’enfance en famille, ce sont nos vacances en caravane : trois semaines par été à visiter un pays d’Europe, alors que nous étions six enfants. Aujourd’hui avec nos trois enfants âgés de 2 à 5 ans, nos temps de qualité sont les histoires inventées lors des promenades en famille ; les expériences culinaires qui les surprennent, comme les gâteaux avec du colorant alimentaire ; les jeux dans la baignoire avec de la peinture corporelle - douche obligatoire ensuite ; le papa qui retrouve 100% de son âme d’enfant, se roule dans l’herbe avec les petits, fait des pyramides humaines et des batailles au pistolet à eau... » Marion
Le plaisir d’être ensemble
« Nos moments de qualité en famille avec nos cinq enfants âgés de 3 mois à 7 ans, c’est : la nuit sous la tente dans le jardin après avoir dîné autour du feu ; les balades en forêt, en apprenant à distinguer les arbres ou simplement en cueillant des fleurs ; les chasses au trésor ; les jeux dans des ruines d’un château en emportant les déguisements ; le dîner pizza dans la salle télé ; la glace sur le port l’été – ça marche pour la crêpe ; les pique-niques dans le jardin ; un bon jeu de société quand il pleut ; ou encore une partie de Playmobil. » Hélène
Un jeu pour faciliter la communication en famille
On peut parfois se trouver à court d’idées pour susciter un moment convivial à la maison. Lancée en 2015, la « Boîte de Comm’ de la famille » est un jeu qui propose de partager défis et confidences, la famille (à partir de 7 ans) étant scindée en deux équipes. Confidences – « Mon plus grand rêve, c’est de... » – et défis – « Toute l’équipe crée un slogan pour faire la pub de notre famille » – permettent à l’équipe gagnante d’obtenir une récompense. Par exemple, elle sera invitée à participer à une activité surprise dans le mois, organisée de A à Z par l’autre équipe (balade et pique-nique en forêt, vélo en famille, piscine, parc de loisirs, cinéma…). •
Article paru dans Zélie n°32 (Juillet-Août 2018)
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