A la découverte de la pédagogie Charlotte Mason
Méconnue en France à l’inverse des pays anglo-saxons, Charlotte Mason est une enseignante britannique qui donna de nombreux conseils d’éducation aux alentours de 1900. Sa pédagogie propose à chaque enfant un environnement propice à sa croissance, sans programme prédéfini et avec un accent sur les livres et la nature. Laura Laffon, qui instruit ses quatre enfants de 4 à 10 ans à la maison, a traduit en français et adapté les livres et conférences de Charlotte Mason, en deux tomes auto-édités. Elle raconte son quotidien inspiré par cette pédagogie sur son blog petitshomeschoolers.blogspot.nl. Entretien.
• Laura Laffon, comment avez-vous connu la pédagogie Charlotte Mason ?
J’ai commencé l’école à la maison il y a six ans, car mon aîné n’était pas bien à l’école. J’ai ensuite continué avec les plus jeunes. Or, ce que j’essayais de faire à la maison ne fonctionnait pas du tout : je tentais de reproduire le système scolaire, comme lorsqu’on a un groupe, ayant moi-même suivi une formation d’enseignante puis ayant rapidement arrêté après un stage. En cherchant ce qui se faisait en homeschooling (école à la maison) aux États-Unis, j’ai découvert Charlotte Mason, qui m’a beaucoup plu. J’ai traduit ses écrits en français et les ai adaptés, car ils étaient marqués par l’époque victorienne.
• La pédagogie Charlotte Mason concerne à la fois l’éducation à l’école et au sein de la famille. En France, pourquoi inspire-t-elle surtout des parents pratiquant l’instruction en famille ?
Il serait difficile de mettre en place Charlotte Mason à l’école en France, car ce ne serait pas possible au-delà de 10 enfants. à l’école, on a tendance à passer d’un enfant à l’autre, donc ce serait plus difficile de personnaliser l’éducation en fonction de chacun. A ma connaissance, le seul établissement qui pratique Charlotte Mason en France, sans le formuler comme tel, est le Collège latin à Paris – un collège privé hors-contrat. Il existe des « écoles Charlotte Mason » dans le monde anglo-saxon, à petits effectifs. Par ailleurs, on peut s’inspirer de cette pédagogie pour un enfant qui est scolarisé ; mais il ne lui restera sans doute pas assez de temps pour faire des leçons ou des narrations si on veut lui laisser aussi du temps libre.
• L’un des principes de Charlotte Mason est celui-ci : « l’éducation est une atmosphère ». De quoi s’agit-il ?
L’enfant doit vivre dans un environnement beau, vivant, avec une âme, des livres... Il doit y avoir peu d’objets, mais de beaux objets. Contrairement à Maria Montessori, Charlotte Mason ne préconise ni matériel pédagogique, ni environnement volontairement adapté à l’enfant ; elle préfère que celui-ci escalade une chaise pour atteindre l’évier, plutôt que ce dernier soit abaissé à sa hauteur. Cette atmosphère est aussi une routine de travail et de vie. Charlotte conseille aussi de passer six heures par jour à l’extérieur ! Dans tous les cas, sortir tous les jours est très important. Même si l’on habite en ville, il est possible d’aller au parc, de cultiver des légumes sur son balcon ou d’aller en forêt le week-end ; c’est apaisant pour l’enfant.
• « L’éducation est une discipline » pour Charlotte Mason, c’est-à-dire un moyen d’entraîner l’enfant à prendre de bonnes habitudes durables. Quelles sont ces habitudes ?
En effet, Charlotte Mason déconseille l’éducation formelle – lire, compter... – avant l’âge de 6 ans. Avant cet âge, il s’agit surtout de bonnes habitudes à acquérir : Charlotte en dénombre soixante ! La principale est de développer la concentration, par exemple en proposant à l’enfant de poursuivre le jeu qu’il a envie d’arrêter. Il vaut mieux travailler sur une habitude à la fois.
• Charlotte Mason dit enfin que « l’éducation est une vie » : pour elle, l’enfant n’est « pas un vase à remplir », mais il doit être exposé à un bain culturel riche.
C’est une gymnastique à prendre pour enrichir le quotidien de l’enfant : aller au théâtre, à la bibliothèque, au concert, voyager... C’est toute la famille qui s’instruit, parents compris, car l’instruction ne s’arrête pas à un âge défini !
• Comment choisir ce que Charlotte Mason appelle un « living book » (livre vivant) ?
Il faut être très exigeant sur le choix des livres. Un bon livre n’est pas forcément celui qui plaît à l’enfant et peut être un peu idiot, mais c’est celui qui va faire rêver, qui a un beau vocabulaire, qui est écrit par quelqu’un de passionné ! Il peut même exister des « living books » pour les maths et les sciences.
• Pouvez-vous nous raconter une journée avec vos enfants selon la pédagogie Charlotte Mason ?
Je ne suis pas à la lettre ses principes car Charlotte demandait de travailler six matinées par semaine ; or je n’en fais que cinq, car en France les activités extrascolaires ont souvent lieu le mercredi. Le matin, les enfants étudient de 9 heures à 13 heures, en de courtes leçons : lecture, écriture, calcul, dictée, histoire, sciences, piano, etc. On allonge la durée des leçons chaque année un peu plus : 20 à 25 minutes pour mon fils de 6 ans, 45 minutes pour celui de 10 ans. Ainsi, ils n’ont pas le temps de décrocher et de rêvasser. J’utilise des cours par correspondance : les cours Sainte-Anne pour le primaire, et nous passerons chez Hattemer pour le collège.
L’après-midi, après des leçons de langues qui n’ont pu tenir le matin, ont lieu les sorties en extérieur, parfois avec des amis, et les travaux manuels. Ceux-ci s’apparentent à de l’artisanat avec de belles matières – et non au collage de bouchons par exemple... – : tricot, broderie, cuir, vannerie, couture, cuisine, peinture... selon les intérêts des uns et des autres. Les enfants ont également du temps libre, du temps de jeu pour bâtir leur imaginaire.
• Est-ce que l’enfant ne risque pas de manquer de certaines connaissances ?
Parfois, quand je vois que les enfants d’autres familles savent des choses que les miens n’ont pas encore appris, je me demande s’ils ne vont pas avoir du retard... En fait, quand l’enfant est prêt, cela s’acquiert vite : un de mes enfants a appris à lire en deux mois. Par ailleurs, j’ai été inspectée, donc j’ai dû regarder le programme de l’Éducation nationale pour voir si mes enfants ne manquaient pas de certaines connaissances, mais tout s’est bien passé.
• Charlotte Mason était protestante. Quelle est la place de la religion dans sa pédagogie ?
Pour elle, on ne peut séparer l’instruction religieuse du reste : tout se fait dans un esprit chrétien. La lecture de la Bible est quotidienne.
• Y a-t-il eu des études ou des écoles qui ont indiqué des résultats concernant cette pédagogie ?
Il n’y a pas eu d’études sur la pédagogie Charlotte Mason, mais des études sur le homeschooling dans les pays anglo-saxons, réalisées sur 20 ou 30 ans, ont montré que ces enfants instruits à la maison sont des adultes mieux intégrés dans la société. • Propos recueillis par Solange Pinilla
Charlotte Mason en application Sur son blog, Laura Laffon raconte « une blague qui circule dans le milieu homeschool », et qui incarne l’esprit Charlotte Mason :
« Savez-vous comment une famille de homeschoolers change une ampoule ? D’abord la mère emprunte à la bibliothèque trois livres sur l’électricité, puis les enfants construisent des maquettes d’ampoules, lisent la biographie de Thomas Edison et préparent un dossier sur sa vie. Ensuite chacun étudie l’histoire de l’éclairage, et la famille organise un atelier « confection de bougies ». Puis la famille au grand complet se rend au magasin pour comparer les différents types d’ampoules ainsi que leur prix et leur rentabilité par rapport à leur longévité. Ils n’oublient pas de calculer le montant de la monnaie. (...) Enfin, après avoir confectionné une échelle maison à base de branchages ramassés dans la forêt, l’ampoule est installée ! »
Article paru dans Zélie n°17 (Février 2017)
Crédit photo : © Petits homeschoolers