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L’acédie, quand la foi devient fade




Pour comprendre en profondeur ce mal mystérieux qu’est l’acédie, ainsi que ses origines monastiques, nous avons interrogé le Frère Jean-Charles Nault, père abbé de l’abbaye bénédictine de Saint-Wandrille en Normandie. Il a consacré deux livres à ce sujet : sa thèse La saveur de Dieu (Cerf) et Le démon de midi (L’échelle de Jacob).


Zélie : Pour commencer, qu’est-ce que l’acédie ?



Frère Jean-Charles Nault : D’une manière générale, l’acédie est une tentation qui provoque un dégoût des choses de Dieu, une lassitude, une tristesse de la vie avec Dieu. Ce phénomène complexe se manifeste par de la négligence, de la paresse, ou bien de l’hyperactivisme, ou encore le regret de l’engagement pris.


Il est paradoxal que cette tristesse touche les choses les plus désirables qui soient, que ce dégoût concerne ce qui devrait être le summum de notre saveur : le Bien suprême, l’Amour suprême, Dieu. L’acédie est quelque chose de grave : le fait que l’être humain est un être de désir, polarisé vers le beau, le bien et l’amour, est comme neutralisé. C’est en quelque sorte anti-naturel ! Cela touche donc quelque chose de très profond.


Comment l’acédie se manifeste-t-elle ?


Le mot acédie vient du grec akêdia qui signifie « manque de soin ». Dans la société pré-chrétienne, il s’agissait du manque de soin pour les morts. Cette incurie était considérée comme inhumaine.


Le mot acédie prend sa connotation chrétienne au IVe siècle avec Evagre le Pontique, un philosophe vivant dans le désert ; il fait partie des pères et mères du désert qui sont les premiers moines et moniales. Evagre, qui est aussi à mon sens un extraordinaire psychologue, va transformer l’akêdia en appliquant la notion de manque de soin à la vie spirituelle. Il décrit l’acédie comme le démon de midi, évoqué dans le psaume 90, où est décrit l’abri à l’ombre du Seigneur :  « Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole au grand jour, ni la peste qui rôde dans le noir, ni le fléau qui frappe à midi ».


Selon Evagre, l’acédie arrive entre 10 heures et 14 heures, qui est une période extrêmement chaude au désert, propice à la faiblesse corporelle en raison de la chaleur et de la faim - le seul repas quotidien étant pris à 15 heures ! C’est un moment favorable à une attaque spirituelle, à la remise en cause très profonde de la relation à Dieu.


L’acédie a deux dimensions : d’abord spatiale, avec la sensation d’être à l’étroit, un besoin de bouger et de voir autre chose ; ensuite, temporelle, suscitant l’impression qu’on n’en finira jamais, étant donné que le soleil et au zénith et qu’on ne le voit pas se lever ni se coucher. Le moine s’aperçoit que la matinée a été très peu féconde, et pense que la relation a Dieu n’a plus de sens.


Quels sont les signes montrant que l’on est touché par l’acédie ?


Evagre cite cinq signes avant-coureurs : l’acédie est un mal qui atteint sa victime sans que celle-ci ne s’en aperçoive ; d’ailleurs, le démon n’attaquait saint Antoine que la nuit. La première manifestation est l’envie de changer, la bougeotte, des difficultés à terminer ce que l’on a commencé, tant physiquement qu’intérieurement.


Un deuxième signe est un dégoût de son devoir d’état, de son travail, de sa vie conjugale et familiale ; on rêve en permanence de ce que l’on n’a pas à faire. Ensuite, la personne acédiaque porte une attention vraiment excessive à sa santé, à son bien-être, à son confort. S’en préoccuper est normal ; Evagre pointe le côté disproportionné.


Le quatrième signe est un minimalisme spirituel, avec une tendance à diminuer les exigences ; tout ce que la foi demande devient de trop, avec la tentation subtile de baisser la barre. Par exemple, le moine divise par deux le nombre de psaumes à dire. Ou au contraire, il met la barre beaucoup trop haut, mais cela dure peu car c’est trop difficile.


Le dernier « symptôme » est un sentiment de désespérance : dans la continuité des signes précédents, on envisage de quitter son état de vie ou son conjoint, ou bien on tombe dans une amertume, une décompensation, un échappatoire ou une double vie.


Comment remédier à l’acédie ?


Evagre donne cinq remèdes. D’abord, les larmes ! Alors que dans l’acédie, on ne se préoccupe plus de son salut, pleurer manifeste le besoin d’un salut. Comme l’enfant qui pleure pour exprimer son besoin d’aide, et sa confiance envers sa mère qui va venir, les larmes vont ramollir notre cœur, qui de pierre, deviendra de chair... Le cœur donnera à nouveau compassion et bienveillance.


Le deuxième remède est une hygiène de vie, un équilibre qui évite les excès de l’acédie, et où toutes les dimensions de notre personne vont être honorées : corps, cœur et esprit ; travail, prière, vie de famille...


Ensuite, Evagre conseille la méthode antirrhétique, qui consiste à combattre la tentation du diable par une Parole de Dieu adéquate, comme Jésus l’a fait au désert en répondant, par exemple, « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Evagre a d’ailleurs écrit L’antirrhétique, un livre listant les Paroles à dire selon les circonstances. Cette Parole est vivante, tranchante, efficace.


Quatrième remède : la pensée de la mort. Il s’agit de se rappeler, comme saint Paul, qu’ « il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous », et de se souvenir du but de notre vie, la sainteté. Sinon, on est comme un voyageur qui oublie le but de son voyage. Cette pensée peut relativiser les difficultés d’aujourd’hui.


Le dernier remède consiste en une persévérance active : se tenir jour après jour, sans voir plus loin, vivre l’instant présent et rester fidèle.


Evagre affirme que si l’on a persévéré, la lutte va déboucher sur un état de joie et de paix très profondes. On va retrouver le goût de vivre avec le Seigneur.


Après Evagre le Pontique, l’acédie a-t-elle été évoquée comme un mal touchant d’autres personnes que les moines ?


C’est saint Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle, qui parle de l’acédie en ne s’adressant pas uniquement à des moines. Il définit l’acédie comme, d’une part, la tristesse des choses divines. Comment peut-on en arriver à s’attrister des choses de Dieu ? Saint Thomas affirme que l’être humain est fait pour désirer et aimer, mais qu’il a tendance à mal discerner les biens réels - le Bien, l’Amour... - des biens apparents. Il se trompe de Bien quand il en arrive à s’attrister des choses de Dieu ; ou quand il renonce pour Dieu à des biens secondaires, mais que ceux-ci lui paraissent prioritaires, moins abstraits. Par exemple, si on jeûne pendant le Carême et qu’on en a de l’amertume, car le bien dont on se prive nous semble beaucoup plus concret que Dieu.


La seconde définition de l’acédie donnée par saint Thomas est le dégoût de l’action. Il s’agit de l’action qui nous prépare à la vie éternelle. En effet, au Ciel nous serons actifs, dans une participation à la vie de Dieu.


Dans les deux définitions, l’acédie est considérée comme le premier péché contre la charité, cette capacité avec laquelle nous touchons déjà Dieu, comme lorsque sainte Thérèse de Lisieux dit qu’on peut sauver une âme en ramassant une feuille morte dans le cloître avec un amour extraordinaire ; cela anticipe la vie éternelle.


On peut dire que l’acédie est grave car elle vient comme paralyser le dynamisme de la vie chrétienne qui est une marche à la rencontre du Seigneur. Elle brise l’élan de la charité. Propos recueillis par Solange Pinilla



Acédie ou dépression ?


Tristesse, dégoût de tout, incapacité à agir... Est-ce que l’acédie et la dépression ne présenteraient pas les même symptômes ? Dans Les 7 péchés capitaux ou ce mal qui nous tient tête (Edifa-Mame), le docteur en médecine et en théologie Pascal Ide et le journaliste Luc Adrian soulignent qu’en effet, dépression et acédie se ressemblent, et peuvent survenir au même moment.


Cependant, « la dépression est une maladie, un mal subi ; l’acédie est un péché, un mal responsable ». Alors que dans la dépression, la tristesse accompagne une impuissance - parfois totale - à agir, la capacité d’action demeure dans l’acédie.


Avec l’acédie, on est « sur une ligne de crête entre la maladie de l’âme et la maladie psychologique », évoquait Jean-Guilhem Xerri, auteur de La vie profonde, dans une émission de KTO sur l’acédie, nommée « La bonne santé de l’âme ». « Parfois, ce que l’on a n’est pas un problème psychologique mais spirituel ! »


Plus subtilement, l’acédie peut se greffer sur une blessure, affirment Pascal Ide et Luc Adrian. Ils citent le cas de Jean-Romain, un homme tranquille, arrangeant et très « pantouflard ». En faisant un travail psychologique, il a compris que, né après un grand frère qui s’affrontait systématiquement à ses parents, il avait vécu en évitant les conflits, en suivant le groupe et en étouffant tout désir en lui. « Jamais, enfant, personne n’avait accordé un réel intérêt à ce qu’il pensait, sentait, désirait, voulait. Sur cette blessure profonde d’indécision et de non-désir, s’était greffé le péché d’acédie qui est le dégoût de l’action. » S. P.



Prendre soin de son âme avec la méditation chrétienne


Stéphanie Halperson a pratiqué la méditation bouddhiste, mais cela lui a laissé un sentiment de vide. Un jour, dans une église, l’amour de Dieu l’a envahie. Dans Méditer avec son cœur et ses cinq sens (EdB), elle relate son parcours et propose des méditations chrétiennes guidées, sans oublier la dimension corporelle de la prière : respiration, aide de l’imagination et des cinq sens pour visualiser des scènes de la Bible, à la manière de saint Ignace. « Le regard purificateur de Jésus sur moi », « Le Cœur de Jésus », « La colère », « L’amour de Dieu »... Ces méditations, préparées avec le frère Sébastien Marie (csj), sont également disponibles en version audio sur l’application gratuite MeditaCœur. S. P. (A lire aussi. Zélie n°58, « Comment prier ? »)




Photo © Philippe Lissac/Godong

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