La colère, émotion ou péché ?
La colère est avant tout une émotion, qui permet d’être informé que quelqu’un menace notre territoire physique ou psychologique. Si elle se transforme en un comportement agressif ou démesuré, elle ne respecte plus l’autre, ni le Créateur, ni soi-même, et devient un péché.
La colère fait partie des sept péchés capitaux. Néanmoins, Jésus montre une « sainte colère » lorsqu’il chasse les marchands du Temple (cf. Matthieu 21, 12). Alors, qu’en est-il ?
Comme les autres émotions – la joie, la tristesse ou encore la peur –, la colère est une source d’information dans les situations de la vie quotidienne et il est dangereux de l’ignorer. « Beaucoup de gens pensent que « gérer ses émotions » veut dire arriver enfin à les dompter, les contrôler, les refouler et surtout ne plus les ressentir ! souligne Christel Petitcollin, psychothérapeute et formatrice en communication, dans Émotions, mode d’emploi (Jouvence éditions). Or, c’est lorsqu’on réprime et qu’on nie ses émotions qu’elles prennent le pouvoir et exercent un contrôle négatif sur nos vies. La violence et l’intolérance viennent de peurs niées et d’une frustration non-identifiée, la dépression d’une incapacité à exprimer ses colères, l’angoisse d’un refoulement émotionnel trop important. »
Dans l’éducation telle qu’on la pratique souvent, les émotions sont niées ou refoulées ; parfois, on suscite chez l’enfant un sentiment de honte : « Regarde comme tu es vilaine quand tu cries ». L’enfant apprend à ravaler sa colère, à la nier, ou à subsituer une émotion à une autre : il préfère « pleurer (tristesse) que crier (colère), parce qu’il sait que ses pleurs seront consolés alors que ses cris lui attireraient une punition », selon Christel Petitcollin.
Parfois, dans une famille ou un groupe, une personne pratique le « racket émotionnel » : elle surjoue la colère, dans le but de manipuler les autres, allant jusqu’à la brutalité. Dès lors, son entourage s’interdit lui-même d’être en colère afin d’éviter les scènes pénibles, craignant de « réveiller le fauve ». En avoir conscience permet de rester calme et adulte afin de déjouer la personne racketteuse et la laisser exprimer ses peurs ou autres émotions niées.
Lorsque la colère est interdite chez une personne, elle s’exprime parfois brutalement et de manière disproportionnée : au bout de neuf colères refoulées, la dixième éclate, car c’est « la goutte qui fait déborder le vase ». La colère refoulée peut également s’exprimer par la bouderie ou par de petites piques et accusations ironiques.
La colère en tant qu’émotion, dès les premiers frémissements d’agacement, indique que quelqu’un menace notre sécurité physique ou psychique : quelqu’un nous double dans la file d’attente du magasin, un entrepreneur nous fait payer davantage que ce qui était indiqué dans le devis, un enfant vient nous voir alors que nous lui avions demandé de ne pas nous déranger... On peut également éprouver de la colère face à une injustice subie par quelqu’un d’autre ; c’est de l’indignation.
Il est important de distinguer la colère de la rage, selon Christel Petitcollin. Alors que « la colère sert à chasser les intrus, à poser ses limites et à se faire respecter » et est « ressentie avec un sentiment de puissance intérieure qui sert à dégager notre territoire », la rage découle directement de la frustration, émotion ressentie par le fait d’être confronté aux limites extérieures. On constate facilement la rage éprouvée par l’enfant qui fait l'expérience des limites ; il apprend à gérer la frustration, grâce à la verbalisation notamment, et à mesure de son développement cérébral. La violence des personnes est donc souvent une explosion de rage, sentiment d’impuissance qui mène jusqu’à un comportement agressif et destructeur, afin de faire voler les barrières en éclats.
Alors que la colère-émotion est moralement neutre, elle peut se transformer en colère-péché. Dans sa Somme théologique, saint Thomas d’Aquin liste les conditions d’une « sainte colère » : un objet juste, une intention droite, une réaction proportionnée. « La colère devient donc un péché lorsqu’elle est injuste, vindicative ou démesurée » soulignent Pascal Ide et Luc Adrian dans Les 7 péchés capitaux (Mame-Edifa). Ainsi, se venger n’est vraisemblablement pas une intention droite.
La colère-péché offense autrui – l’automobiliste copieusement insulté – mais également Dieu, Créateur dudit automobiliste. La colère-émotion contre soi-même est inadéquate, car on ne peut être un intrus pour soi-même, et la colère-péché contre soi est également mauvaise, car elle détruit l’enfant de Dieu que nous sommes, brutalement ou à petit feu.
Dès lors, comment parvenir à écouter sa colère sans qu’elle ne se transforme en rage ? Comment identifier l’intrusion subie et exprimer son besoin, avant d’être submergé et d’agresser l’autre ?
Dans un article de son site montessouricettes.fr, « Ecoutez votre colère plutôt que de chercher à la maîtriser », la formatrice Montessori Anne-Laure Schneider donne des conseils. Elle rejette d’abord l’idée de frapper dans un coussin ou un autre objet : « Le problème, d’après des recherches en neurosciences, c’est que le fait d’associer le geste de frapper à l’émotion de la colère renforce cette connexion entre les deux, jusqu’au jour où au lieu d’un coussin, on frappera quelqu’un. »
Hormis se reposer et faire du sport, il est un moyen qu’on peut utiliser quand on est envahi par la colère : « Quand vous sentez le flot de la colère vous envahir, au lieu de serrer les poings ou de lever les bras, ouvrez grand les mains devant vous, paumes vers le haut, bras tendus vers l’avant, conseille Anne-Laure Schneider. Cela vous évitera de renfermer toute cette énergie et de la garder vers vous. » Elle évoque les propos du philosophe Alain : « On ne peut être en colère lorsque l’on tend sa main largement ouverte, la paume retournée vers le haut. »
Une colère bien exprimée peut être ferme mais non violente, comme le souligne Christel Petitcollin. Si on la reconnaît dès ses premières manifestations, alors qu’on est encore assez calme – ce qui exige un vrai travail –, on peut la manifester par des phrases de l’ordre « Je ne vous permets pas de... », « Je vous interdis de... », « Comment osez-vous... », « A partir de maintenant, il est hors de question que... ».
On peut également utiliser les étapes de la communication non violente : décrire la situation, son ressenti, exprimer un besoin puis formuler une demande. Par exemple : « Je vois que tu téléphones dans le bureau. Lorsque j’entends du bruit, je n’arrive pas à me concentrer et je ressens une intrusion. J’ai besoin de calme. Pourrais-tu téléphoner dans la pièce voisine, s’il te plaît ? » Au début, cela est parfois aussi ardu qu’apprendre une nouvelle langue !
Enfin, invoquer l’Esprit-Saint est un grand secours quand on sent que la colère va déborder et devenir destructrice. Une courte prière ou un chant peuvent apporter de la paix, « fruit de l’Esprit » (Galates 5, 22).
L’être humain est « un » : corps, âme et esprit sont étroitement liés. Dès lors, parvenir à identifier sa colère-émotion, l’exprimer et ne pas se laisser submerger, aideront également à mieux respecter autrui, ne pas succomber à la colère-péché et ainsi mieux aimer Dieu et nos frères. Solange Pinilla
Un livre pour les enfants
Folle colère ! fait partie d’une nouvelle collection, « Mes émotions, j’en fais quoi ? », écrite par Gaëlle Tertrais, Violaine Moulière et Ségolène de Noüel, et illustrée par Caroline Modeste (Mame). Destiné aux enfants à partir de 7 ans, Folle colère ! raconte trois histoires où le personnage ressent de la colère : face à la triche au jeu d’un camarade, devant l’arrêt du temps de jeu vidéo (c’est plutôt de la rage due à la frustration) et face à un garçon qui double dans une file d’attente. Pour ces trois situations, des outils sont proposés, comme la respiration, et une vertu chrétienne à cultiver : tempérance, obéissance, audace. Des pages d’explications sont également proposées aux parents.
Article paru dans Zélie n°35 - Novembre 2018
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