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David, orphelin pour la vie


A l’âge de 6 ans, David Milliat a perdu ses deux parents. Aujourd’hui présentateur de l’émission « Le Jour du Seigneur », il raconte ce qui lui a tant manqué : une parole de vérité au moment de la mort de ses parents.

Dans chaque classe, il y a en moyenne un enfant qui a perdu au moins un de ses deux parents ; soit 800 000 jeunes de moins de 25 ans en France. Cette réalité est méconnue, et c’est entre autres pour la mettre davantage en lumière que David Milliat, journaliste de 40 ans, a accepté de raconter son itinéraire avec l’aide de Christophe Henning dans J’ai décidé de vivre (Salvator).

David a peu de souvenirs de son enfance avec ses parents. Un matin de juin 1985, le garçon de 6 ans se réveille : la nuit, après une fête chez des amis, ses parents ont eu un accident de voiture à l’entrée du tunnel de Saint-Germain-en-Laye en région parisienne. Leur voiture est sortie de la route pour percuter un poteau, a basculé et pris feu. Ses parents sont morts dans la voiture en flammes.

Ces faits, David ne les a appris qu’à l’âge de 20 ans, en menant son enquête et en retrouvant le dossier établi par les services de police. Son grand-père maternel qui avait pris les choses en main à partir du jour du décès, a imposé le silence vis-à-vis des enfants des défunts. Il ne leur a annoncé la mort des parents qu’après l’enterrement, leur faisant croire qu’ils étaient allés à l’hôpital suite à un accident.

« Je suis convaincu que c’est pour nous protéger d’une terrible déflagration qu’ils ont tous jugé bon de ne pas lever le voile noir sur ce qui était arrivé, explique David Milliat. Mais ce trou béant reste une blessure à jamais dans mon existence. Ce silence m’a conduit à me méfier de mes émotions : c’est peut-être ce qui m’a le plus durablement traumatisé. »

Ne pouvant saisir la réalité de la mort de ses parents, David est resté jusqu’à l’âge adulte dans une forme de déni. Même s’il a été très entouré par sa famille élargie, et accueilli avec sa sœur aînée Céline chez son oncle et sa tante, il s’est muré dans le silence. Il a aussi subi des épisodes de fièvre, de cauchemars et de somnambulisme.

David évoque également la honte qu’il a ressentie de ne plus avoir de parents et la sensation d’être différent des autres. Gêné d’être un objet de compassion qui le réduisait à son statut d’orphelin, il n’aimait pas bénéficier, à l’école ou ailleurs, d’un traitement de faveur. En revanche, il a apprécié l’initiative d’une institutrice qui, à l’occasion du cadeau de fête des mères, l’a pris à part pour discuter avec lui : « Alors, comment allons-nous faire ? Tu pourrais remercier ta tante en lui offrant cet objet que nous allons tous fabriquer ensemble ? »

A l’âge de 16 ans, pour la première fois, une amie propose à David de lui parler de ses parents, non par curiosité mais simplement pour écouter. « Le sujet n’est plus tabou. Cette discussion est un repère dans ma vie. »

Au début de ses études, David perd pied : « Je continuais à vivre ma vie, mais j’étais absent. Je me sentais tiré vers le bas. Je suis entré en dépression, comme on rentrerait dans un lac glacé, en plein hiver. Je devais passer l’épreuve, revivre le deuil de mes parents. » Avec l’aide d’un psychiatre et en faisant des recherches sur la mort de ses parents, il prend enfin conscience de ce qui s’est passé et découvre « le vertige de la perte ».

Tout n’est pas résolu pour autant. Le manque d’amour continue de l’habiter. Pourtant, il épouse Laurie avec bonheur. Lorsque leur première fille, Clémentine, s’annonce, les angoisses surgissent et deviennent envahissantes. Une enfant, c’est fragile ; ne va-t-elle pas mourir ? Par exemple, il change deux fois le matelas pour éviter la mort subite de nourrisson. A l’annonce d’une deuxième grossesse, David sombre à nouveau dans la dépression. Cela correspond à l’époque où il atteint l’âge où ses parents sont morts, à 31 et 34 ans... Comment être plus âgé que ses parents ? Ne va-t-il pas lui aussi laisser des orphelins ? Sa femme et lui prennent de la distance et, sous la tension, se séparent. David est cependant un père heureux.

Dans ce chemin de deuil qui dure toute une vie pour David, une étape est nécessaire : traverser les ténèbres. « Descendre au fond du gouffre : curieusement, la sortie de secours est au fond, intime, intérieure, dissimulée dans la faille. » Il écrit : « J’ai le droit de ne pas être bien, d’avoir mal, même encore maintenant. Mais en même temps, j’ai décidé de vivre. »

Le métier de journaliste l’a aidé à survivre à sa blessure : en rencontrant des personnes et en parlant à des milliers de téléspectateurs, celui qui anime aujourd’hui la plus ancienne émission de France – « Le Jour du Seigneur », lancée il y a 70 ans – trouve dans la relation « un lien qui libère ».

Baptisé en classe de CE2, David refuse l’image d’un « Dieu magicien » fait pour le rassurer, et croit davantage à un Dieu présence d’amour, « plus discret, plus respectueux de notre fragile humanité, et plus insaisissable ». Solange Pinilla



Photo © Corinne Simon/Ciric

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