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Geneviève : « On crée de l’injustice, quand on juge sans connaître »




Elle accueille des familles de personnes détenues à la prison de La Santé à Paris, au sein des équipes Saint-Vincent. Geneviève Paul-Cavallier (photo) nous fait part de la justice qu’elle trouve nécessaire dans la rencontre : celle de donner et de recevoir.



Un jour, un curé de paroisse lance un appel pour créer une équipe Saint-Vincent au Centre pénitentiaire de La Santé à Paris. Les équipes Saint-Vincent sont des groupes de femmes, créés il y a plus de 400 ans par saint Vincent de Paul, pour apporter une aide aux plus démunis.


« Habitant à côté de la prison, cela m’a tentée, nous raconte Geneviève Paul-Cavallier, dont l’accent dévoile les origines méridionales. Dans mon cursus professionnel, j’ai beaucoup travaillé avec de grands adolescents passés devant le juge. J’étais éducatrice spécialisée et responsable d’un foyer de garçons et filles, soit ayant été victimes de maltraitance familiale, soit ayant commis des actes de délinquance. Ensuite, j’ai été psychothérapeute libérale, où j’ai également accompagné des adolescents. »


Elle ajoute : « En rejoignant cette Équipe Saint-Vincent, en prison, je voyais une continuité avec mon travail : rencontrer des familles, apporter une présence et une écoute. De plus, quand on a eu un cursus familial hachuré, pour certains, c’est malheureusement assez facile d’arriver en prison... On a alors besoin qu’on nous tende la main. »


Il y a vingt-cinq ans environ, la Halte Saint-Vincent a ainsi été lancée au sein du Centre pénitentiaire de La Santé, à la demande du Chef d’établissement.. Geneviève est la vice-présidente de cette association. Une trentaine de femmes bénévoles viennent passer à tour de rôle une demi-journée, deux ou trois fois par mois.


Par équipe de deux, elles accueillent les épouses, conjointes, mères, pères ou encore enfants des personnes détenues – qui sont uniquement des hommes. « Nous accueillons ces personnes une heure avant le parloir, explique Geneviève. Elles sont souvent stressées. Elle se demandent si la personne détenue va bien, si elle n’a pas subi de violence en cellule. Nous proposons à ces familles un café, un temps de réconfort et de parole, parfois un coup de main pour remplir des papiers. On vérifie si le linge apporté pour la personne détenue correspond à ce qui est demandé. Parfois, elle sont surtout contentes d’être au chaud. »


Geneviève explique, de sa voix paisible : « La Santé autorise les parloirs jusqu’à trois fois par semaine ; cela prend du temps de venir visiter quelqu’un en détention : le temps de transport - la personne est incarcérée sur le lieu du délit, donc parfois loin de chez elle -, le parloir qui dure 45 minutes, les contrôles ensuite... Quand on a un proche incarcéré, il est fréquent que tout s’organise autour : le travail, l’accompagnement des enfants à l’école... »


L’équipière confie que les familles de personnes détenues apprécient de rencontrer les femmes de la Halte Saint-Vincent, car celles-ci ne les jugent pas. « Alors que souvent, le regard extérieur est difficile pour elles. Le plus souvent, elles ne disent pas aux voisins ou aux collègues que leur proche est en prison, mais qu’il est parti en voyage, par exemple... Ici, elles n’ont rien à cacher. »


Pour être vraiment présente aux familles de personnes détenues qu’elle écoute, Geneviève a sa manière de faire. Sur le chemin vers la prison, elle prie, afin de se préparer à être disponible. Sur place, elle apporte aux personnes un regard, un sourire, un geste. « Il ne faut pas donner de conseils, car on ne peut être à la place de l’autre. » Elle poursuit : « J’y vais sans a priori, le cœur ouvert, sous le regard du Christ. Si je ne comprends pas quelque chose, je prends un moment de prière, j’accepte de ne pas savoir. Dans cette écoute, on est à côté de la personne, à son rythme, à égalité. »


Ces personnes ont soif d’être accueillies : « Une maman très stressée se demandait comment elle allait trouver son fils. Avec une équipière, qui est d’ailleurs une religieuse Fille de la Charité, je l’ai écoutée. Plus tard, cette mère m’a dit : "Je me souviens de la première fois où vous m’avez reçue. Tout ce que vous m’aviez dit m’a fait beaucoup de bien." En fait, nous ne lui avions rien dit ! C’était l’écoute qu’elle cherchait. »


Dans cet engagement aux côtés des familles de personnes détenues, Geneviève voit un souci de justice particulier : « Il s’agit de ne pas laisser les personnes sur le bord du chemin au niveau de la relation. Nous leur offrons une relation affective, qui va dans les deux sens. Pour moi, la justice, c’est le don et le contre-don. A Noël ou à d’autres moments, des personnes nous apportent des gâteaux. Nous devons accueillir cela pour les sortir de la dette, et avoir une relation réciproque ».


En cas de difficultés linguistiques de la famille, les équipières Saint-Vincent les rassurent et les adressent à la bonne personne : « Tous n’ont pas les mêmes facilités pour parler ». Là aussi, une justice est rétablie.


Indirectement, ce sont aussi les personnes détenues que ces femmes aident, comme en témoigne une anecdote. Un jour, le Surveillant-Chef des parloirs faisait découvrir aux bénévoles de la Halte Saint-Vincent le circuit que les familles parcourent en détention pour aller au parloir, les sas où elles doivent passer... D’habitude, c’est un moment où les personnes incarcérées ne sont pas là, mais cette fois-ci elles étaient présentes.


« Certains ont commencé à nous insulter, car ils en ont assez de voir des politiques, des magistrats ou des journalistes venir en prison et certains ont l’impression qu’on les visite comme si c’était un zoo. Mais le surveillant-chef de la prison les a informés : "Ces personnes, ce sont elles qui accueillent vos familles ! " Les personnes détenues se sont excusées : "On ne savait pas qui vous étiez ! Nos familles vous apprécient beaucoup. Merci de nous permettre de lire une histoire à nos enfants, de leur donner l’occasion, à l’Accueil des Familles, de faire un dessin qu’ils nous remettront avec joie lors de leur visite..." »


L’équipe Saint-Vincent fait aussi parfois remonter des demandes de familles. « Nous proposons aussi des améliorations. Maintenant, les enfants peuvent entrer en parloir avec un biberon ou un doudou. Bien sûr, c’est parfois compliqué de négocier des choses, pour des raisons de sécurité. »


Saint Vincent de Paul, sainte Louise de Marillac et le bienheureux Frédéric Ozanam sont des figures inspirantes pour Geneviève. D’ailleurs, saint Vincent de Paul avait été fait prisonnier lors d’un voyage en Méditerranée, et est devenu aumônier général des galères du roi.


La question pour la bénévole est aussi de faire émerger l’esprit de justice dans une société au regard parfois sans miséricorde. Elle rappelle la parole du Christ : « J’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! »


« Je pense à une justice de la rencontre, de la connaissance de l’autre : on ne sait pas ce qu’a vécu la famille de la personne détenue. Si je connais l’autre, il n’est plus un étranger. Il devient mon prochain. On crée de l’injustice en jugeant sans connaître. Quelle que soit la culture et l’origine de l’autre, je rencontre un frère ou une sœur en humanité : est-ce que je reconnais en lui, le visage du Christ ? » Là est le défi ultime de la justice. Solange Pinilla



Cet article est extrait de Zélie n°87 - Septembre 2023, à télécharger gratuitement.


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