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Trouver sa voix


Nous vivons avec notre voix, elle fait partie de nous… mais la connaissons-nous vraiment ? Certaines professions – enseignement, théâtre, plaidoirie, direction – en font usage de manière centrale, mais chacun peut, grâce à sa voix, être mieux ancré corporellement, s’affirmer et prendre plaisir à s’exprimer !

Avez-vous déjà entendu la voix enregistrée d’une personne décédée ? Il est troublant de sentir combien sa présence semble un instant rendue... La voix est révélatrice de notre personne, de notre être, de nos émotions. Elle ne peut cacher celles-ci. Ainsi, « si nous sommes en colère mais que nous tentons de contenir cette colère ou de la masquer, notre voix va trembloter, remarque Virginie Servaes, psychologue et coach vocal, dans Trouver sa voix et faire son chemin (Eyrolles). Si notre gorge est serrée parce que nous nous retenons de pleurer, notre voix va être en retrait, voire bloquée. »

Mais au fait, cette voix, qui est-elle ? Est-elle seulement produite par les cordes vocales ? Pas seulement, explique le docteur Claude Fugain, phoniatre, dans Médecin des voix (Grasset) : « Pour "fabriquer" une voix, quatre instruments sont nécessaires : une soufflerie – cage thoracique et paroi abdominale -, un vibrateur – le larynx contenant les cordes vocales -, des caisses de résonance – pharynx, cavité buccale et nasale – et enfin l’articulation qui gère la résonance. »

La « soufflerie », pour bien fonctionner, suppose que les mâchoires, les épaules et le ventre soient bien détendus et en ouverture. Les pieds doivent être plantés au sol, dans le prolongement du bassin ; la verticalité est nécessaire pour que le souffle passe sans effort.

Ensuite, le vibrateur, c’est-à-dire les cordes vocales : Claude Fugain les décrit comme « deux rubans de muqueuses qui une fois collés l’un à l’autre vibrent un peu comme les lèvres closes sous l’effet de la pression d’air ». Virginie Servaes précise qu’il s’agit des « replis horizontaux du larynx », celui-ci était un organe en forme de tube situé dans notre cou, que l’on peut sentir vibrer et même bouger sous ses doigts (voir encadré ci-dessous).

Est-ce que la taille des cordes vocales influe sur l’intensité de la voix ? Non, c’est surtout la pression d’air sous les cordes qui joue sur cette intensité. La masse des cordes vocales a cependant un rôle sur la hauteur de la voix. « Plus elles sont longues et larges, plus la voix est grave », précise Claude Fugain.

Troisième instrument : les caisses de résonance que sont le pharynx, la cavité buccale et nasale. Si celles-ci sont suffisamment souples et mobiles, cela contribue à former un beau timbre, cette coloration qui rend chaque voix unique – on reconnaît bien une voix à un simple « Allô ? ».

Le dernier instrument est lié au précédent : c’est le système articulatoire, c’est-à-dire les lèvres, la langue, le voile du palais - dans le prolongement du palais dur - et la position de la mâchoire.

L’acteur et professeur de chant Michel Hart souligne dans Découvrir sa voix (éditions du Rocher) que les instruments de musique, tels que le violon, comprennent aussi une force motrice (l’archet), des vibrateurs (les cordes) et un espace de résonance (la caisse).

Au XIXe siècle, le professeur de chant Manuel Garcia a distingué deux mécanismes de vibration des cordes vocales, la « voix de poitrine » et la « voix de tête », qui cependant ne correspondent pas aux organes associés, mais à la combinaison de mécanismes des cordes vocales et de modifications des espaces de résonance. Michel Hart explique que la technique vocale actuelle dénombre quatre mécanismes.

Le mécanisme 0 est la voix du grognement, celle de Dark Vador dans la série de films La Guerre des étoiles ; il s’effectue non pas avec les cordes vocales, mais avec des replis dans la muqueuse située au-dessus, appelée les « fausses cordes » ; il est utilisé dans les musiques actuelles amplifiées et dans certains chœurs d’hommes russes. Le mécanisme 1 est, quant à lui, la voix grave bien timbrée, percutante (ha ha ha ha) ; il repose sur un accolement épais des cordes vocales ; elle correspond à la « voix de poitrine », mais cela ne signifie pas forcément une sensation dans la poitrine.

Le mécanisme 2, lui, est, concernant la voix parlée, « la voix haute, moins timbrée, légère, aérienne, quasi fantomatique (hou, hou, hou, hou) » ; les cordes vocales sont accolées de manière fine ; on l’appelle « voix de tête », même si là encore, la sensation ne se situe pas nécessairement dans la tête. « En chant, cette voix de tête est utilisée dans le répertoire féminin Renaissance, baroque, classique et moderne », explique Marie-Adrienne Girard, chanteuse lyrique et professeur de chant. Enfin le mécanisme 3 est la voix hyper aiguë, un peu stridente, la voix de sifflet, la voix de la reine de la nuit dans La Flûte enchantée de Mozart ; les cordes vocales ne vibrent alors plus sur toute leur longueur.

Dans la voix chantée, passer du mécanisme 1 au mécanisme 2 – les deux les plus utilisés - « ne s’effectue pas sur une seule note qui constituerait une frontière nette », explique Michel Hart. « Il s’étire sur une étendue de plusieurs notes que nous appellerons « la zone de passage » », à peu près sur une octave. Celle-ci se trouve, pour les hommes, dans le haut de leur voix ; tandis que pour les femmes elle est dans le bas. « En chant, les femmes sont plus rapidement confrontées à la difficulté de passer d’un mécanisme à l’autre. »

On recherche, selon les styles, l’homogénéité du timbre grave à l’aigu - dans le chant classique par exemple -, ou l’hétérogénéité, c’est-à-dire le changement brusque de mécanisme, comme dans le yodle des pays alpins, ou dans certains chants de variété, par exemple chez Mariah Carrey ou Beyonce, qui utilisent souvent la voyelle « ou » pour faciliter le passage au mécanisme 2. « Luis Mariano a également utilisé cet effet dans sa chanson Mexico », note Michel Hart. On peut aussi évoquer les chanteuses de comédies musicales américaines qui étendent le mécanisme 1 à l’aigu – qui donne l’impression d’un son qui ressemble au fait de crier, mais qui est une phonation soutenue -, on appelle cela le belting.

Concernant la voix parlée, une autre distinction est intéressante, située entre la voix de conversation et la voix projetée. La différence se trouve notamment dans la respiration. Celle-ci est « une fonction automatique mise en mouvement par des muscles volontaires », explique Claude Fugain ; dans la voix de conversation, c’est l’inspiration d’air qui est active et l’expiration qui est passive. Mais dans la voie projetée, quand on s’adresse à un public, un auditoire, une classe, « le processus respiratoire s’inverse, et c’est la sortie d’air, l’expiration qui devient active ». Faites l’expérience. Par ailleurs, on peut noter que parler dans un micro en public ne dispense pas de projeter sa voix !

On observe aussi que le format du podcast a souvent pour but de proposer un échange en voix de conversation, qui sera pourtant écouté par un public. C’est ce côté « intime », faussement informel, que recherche souvent ce support.

Comment travailler sa voix pour en arriver à parler et chanter d’une voix assurée et bien timbrée ? Comment mener sa voix à maturité, dans ses meilleures potentialités ? En effet, « utiliser la voix s’apprend, affirme Claude Fugain. Et l’on peut, toute une vie, s’épuiser à parler sans se faire entendre. » C’est ce que la phoniatre évoque dans son livre Médecin des voix, où elle raconte les rencontres avec ces personnes qui ont appris, auprès d’elle, à se faire entendre : « hommes politiques à bout de souffle, professeurs aphones, comédiens inaudibles, avocats faussets, femmes dont les voix se perdent en réunion ».

D’abord, pourquoi est-il courant de ne pas aimer sa voix ? « Lorsque l’on parle, notre voix passe d’abord par le circuit intérieur, mais également par le circuit extérieur, de vos lèvres jusqu’à l’oreille, expliquait le phoniatre Jean Abitbol le 30 avril 2020 sur France Inter. Mais votre corps, lorsque vous vous entendez de l’intérieur, résonne avec des graves, parce que les muscles, les os, vont résonner quand vous parlez. Ces graves, ce sont ceux de la séduction ; nous les aimons car nous les avons entendus lorsque nous étions fœtus, dès l’âge de 3 mois dans le ventre de notre maman, car le grave est beaucoup mieux transmis à travers le liquide amniotique. Donc le grave nous rassure. Et quand on entend notre propre voix sur un répondeur, du téléphone à notre oreille, c’est l’aigu que nous entendons... »

Le coach vocal Yaël Benzaquen souligne dans cette même émission qu’aimer sa voix est aussi relié à la question de s’aimer soi-même, tant la voix est une image de soi très intime, puisqu’elle résonne jusque dans nos organes : « Il faut se connaître assez à l’intérieur pour pouvoir reconnaître et aimer sa propre voix. »

Néanmoins, si l’on souhaite vraiment rendre sa voix plus grave, on peut travailler sur les caisses de résonance – pharynx, cavité buccale et fosses nasales – pour les rendre plus mobiles et souples, et en « déplaçant » la résonance vers l’arrière, ce qui assombrira le timbre et donnera une « couleur » plus grave à l’ensemble, comme l’affirme Claude Fugain.

Concernant la prise de parole en public, où la qualité de la voix parlée représente un enjeu important – pour un avocat, c’est parfois l’avenir de son client qui est en jeu, ou pour un commercial, des milliers d’euros –, de nombreux conseils peuvent être donnés. D’abord celui-ci, pour bien se faire comprendre – conseil valable aussi en conversation privée - : faire entendre les voyelles en se concentrant sur celles-ci, et même en les anticipant mentalement, selon Michel Hart : « Les auditeurs auront immédiatement la sensation que la voix est plus sonore, et on constatera que l’on a fait moins d’effort. »

Prendre le temps au début de respirer profondément, de dire bonjour, d’accueillir - « Merci d’être là », par exemple -, permet d’être ancré dans le temps et dans une rencontre, et non uniquement dans le contenu à partager. Ensuite, il est important d’exprimer une parole personnelle, où l’on est impliqué, en étant connecté à la vision intérieure et à l’imaginaire de ce que l’on raconte. Une personne qui montre une part de son émotion, de ses qualités et de ses défauts paraît plus authentique que celle qui semble insensible et absente à ce qu’elle dit. Que l’on parle ou que l’on chante, l’expressivité personnelle, qui fait le sel de la voix, ne va pas sans une part de vulnérabilité.

Parfois, des blocages psychiques peuvent empêcher de donner toute sa voix. Un accompagnement psychologique pourra parfois aider à guérir la blessure à l’origine de ce blocage. Un coaching vocal travaillera, pour sa part, sur l’aspect technique de la voix et sur un rééquilibrage pour déboucher sur davantage de confiance en soi. Le blocage peut se révéler au cours du travail de coaching.

Ainsi, la coach vocal Virginie Servaes donne l’exemple de Marine, directrice d’une entreprise de 8 salariés, qui, en lisant un texte où il fallait s’imposer et dire « non » en donnant de la voix - la tirade des « Non, merci ! » de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand -, a pris conscience qu’elle ne s’était jamais autorisée à dire « non », car, enfant, son père ne lui avait jamais permis de prendre la parole à table. Jeune adulte, elle avait toujours adopté la discrétion car elle ne s’était jamais sentie légitime pour s’exprimer. Grâce au coaching, elle s’est naturellement reconnectée à sa liberté de parole et est désormais sans crainte face à ses collègues, ses clients, mais aussi sa famille.

Différents exercices, réalisés en douceur, peuvent aider à former une voix mieux timbrée et plus confiante (voir encadré ci-dessous), en travaillant sur la mobilité et l’ancrage de l’ensemble du corps : détendre en douceur sa colonne vertébrale et ses mâchoires, travailler sa réceptivité en écoutant une musique sur des enceintes les yeux fermés, se tenir en silence sans rien faire d’autre – la voix est inséparable du silence -, respirer avec le ventre, améliorer sa diction en prononçant des phrases telles que « Je vais chez ce cher Serge », ou encore faire des vocalises, d’abord en descendant de l’aigu vers le grave.

Dernier exercice de Virginie Servaes : « Choisissez un morceau à chanter, celui dont vous rêvez ! Et passez le cap... de la voix ! ». Si vous avez toujours aspiré à mieux chanter, prenez des cours particuliers avec un chanteur professionnel.

Finalement, cette voix aussi unique que notre empreinte digitale, à quoi sert-elle ? Elle nous permet de parler avec ceux que nous aimons, d’échanger dans un contexte professionnel ou amical, de dire nos peurs et nos joies. Et elle nous permet aussi de louer Celui qui nous l’a donnée ! De le prier : « A pleine voix je crie vers le Seigneur » (psaume 3) ; et de l’annoncer, tout comme les prophètes – de ceux de l’Ancien Testament à Jean-Baptiste, dont la « voix crie dans le désert » (Matthieu 3, 3). Sachons aussi garder le silence, pour écouter la voix du Seigneur...

Solange Pinilla

3 exercices pour trouver sa voix

Voici des exercices à effectuer en douceur, proposés par Virginie Servaes, coach vocal, dans Trouver sa voix et faire son chemin (Eyrolles) :

1. Masser le larynx. Cela ne vous est sans doute jamais arrivé, mais il est possible de faire légèrement bouger le larynx, qui héberge vos cordes vocales. Posez le bout des doigts sur votre larynx - ce tube situé dans votre cou -, les coudes levés. Massez le larynx en le poussant très doucement d’un côté et de l’autre, pour l’assouplir, le regard fixe.

2. Stimuler le diaphragme. Debout, mettez la main à plat en haut du ventre, dans le creux entre les côtes – là où vous sentez que la toux provoque une poussée contre votre main. C’est la place du diaphragme, qui gère le débit d’air dont vous avez besoin pour parler ou chanter. Puis chuchotez « Ti, ti, ti, ti, ti, ti » pendant 30 secondes à une minute. Soufflez puis répétez. Puis chuchotez « Ti, ti, ti, ti, ti, ti » en souriant, jusqu’à ce que vous ayez besoin de reprendre du souffle. Répétez cet exercice deux fois. 3. « M. Culbuto ». Debout, les pieds parallèles au bassin, les bras le long du corps, fermez les yeux, la bouche légèrement entrouverte, puis balancez-vous de gauche à droite, sans vous déhancher, comme si vous étiez le balancier d’une horloge. Faites cinq allers-retours. Revenez au centre puis balancez-vous d’avant en arrière sans que vos pieds ne décollent du sol. Terminez en effectuant des cercles. Lorsque vous vous sentez aligné, ouvrez les yeux. Cet exercice permet de travailler la posture, qui met la voix et le corps en accord.

Réparer les voix

Depuis cinquante ans, Claude Fugain - qui a pour frère le chanteur Michel Fugain - est médecin phoniatre et ORL. Sa spécialité : soigner les voix. Médecin des voix (Grasset) est un récit co-écrit avec la journaliste Violaine de Montclos, qui alterne des souvenirs de sa vie - elle a notamment contribué au développement de l’implant cochléaire à destination des personnes sourdes - et l’évocation de rencontres avec ses patients, dont certains sont célèbres : Jeanne Moreau, Guillaume Gallienne, Muriel Robin...

« J’aime apprendre à mes patients, dès qu’un soupçon d’effort ou de tension fatigue la machine, à revenir tranquillement à cet instrument à vent merveilleux qu’est leur système respiratoire. J’aime entendre les voix fluettes gagner en intensité, les timbres étouffés trouver enfin leur juste résonance, j’aime leur apprendre aussi à me regarder ». Un témoignage passionnant. S. P.


Crédit photo © EmotionPhoto/Adobe Stock

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