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La solitude, amie ou ennemie ?


Être seul peut être une souffrance, notamment en cas de sentiment d’abandon ou d’indifférence. Cependant, la solitude est également une situation qui nous permet de mieux entrer en contact avec le soi profond et avec Dieu.

« Tourne-toi vers moi, Seigneur, et prends pitié de moi, car je suis seul et malheureux » dit le psalmiste (Psaume 85). Quand on pense à la solitude, on la considère le plus souvent d’abord comme un sentiment douloureux, un mal à éviter. Ainsi en 2011, le gouvernement français avait déclaré la lutte contre la solitude comme « grande cause nationale » de l’année. Selon un sondage TNS Sofres de l’année précédente, un tiers des Français déclaraient souffrir d’une expérience de vie solitaire et douloureuse. Cette réalité n’a pas changé. De fait, l’indifférence, le rejet et l’isolement sont sources de tristesse.

Une solitude non choisie peut être difficile à vivre, aggravée par une représentation plutôt négative de la solitude dans notre culture occidentale. « Envoyer un enfant dans sa chambre pour le punir, le mettre « au coin » dos tourné aux autres dans la salle de classe, ont été pour des générations les plus classiques des châtiments », explique Monique Castelain-Foret, psychologue clinicienne, dans Précieuse solitude (éditions Eyrolles). Elle ajoute : « Nos cours d’histoire nous racontaient que le bannissement, l’exil loin de la mère patrie étaient le sort réservé aux condamnés pour raisons politiques ». On a pu assimiler dans l’esprit commun solitude physique et solitude psychique, la première étant alors forcément reliée à la seconde.

Dans la chanson « La solitude », Barbara évoque celle-ci, dans une situation de rupture amoureuse : « Je l’ai trouvée devant ma porte / Un soir, que je rentrais chez moi / Partout, elle me fait escorte / Elle est revenue, elle est là / La renifleuse des amours mortes / Elle m’a suivie pas à pas ». De fait, la perte d’une relation ou d’un être cher engendre un sentiment de vide et d’abandon. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », s’écrie Lamartine dans son poème « L’isolement » ; la perte modifie les repères habituels.

De plus, la situation des autres renvoie à sa propre souffrance, comme le raconte Monique Castelain-Foret à propos d’une de ses patientes : « Claudine se lève chaque matin sans enthousiasme, même si elle meuble sa vie d’activités culturelles et sportives pendant lesquelles elle oublie sa situation de femme seule, souffrant de ne pas avoir un homme qui pense à elle. Elle remplit son temps le dimanche avec les travaux ménagers qu’elle déteste, pour éviter de sortir et de croiser des couples ou des familles. »

La solitude est particulièrement douloureuse à vivre quand s’ajoute la honte : celle d’être seul, d’être pauvre, d’être rejeté, d’être en dépression... Dans ces cas, la personne n’a même plus la force de demander de l’aide. « Parfois, la nuit, je me sentais tellement seul et angoissé, que seul le fait de connaître la possibilité d’appeler SOS Amitié m’empêchait de sombrer », confiait une personne ayant vécu une rupture.

Il arrive aussi que dans le cas d’une relation fusionnelle avec l’être qui vient de partir ou de mourir, la personne vive une crise d’identité : qui est-elle sans l’autre ? « Quel que soit le milieu social, on retrouve cette croyance que la vie à deux, choisie des années auparavant, est la seule option qui permette de rester vivant », ajoute Monique Castelain-Foret. Par ailleurs, quand l’entourage dénie le deuil de la personne - « Avance, passe à autre chose » -, le sentiment de solitude est décuplé. A l’inverse, prendre le temps de la tristesse et de la solitude permet de vivre son deuil sans chercher trop rapidement une « relation de réparation » (lire aussi « Traverser le deuil », Zélie n°46, novembre 2019).

La solitude, associée à l’abandon – qui réactive parfois une angoisse abandonnique remontant à l’enfance, liée par exemple à un parent absent, à un décès ou à l’arrivée d’un frère ou d’une sœur -, est donc souvent l’objet de peurs. Monique Castelain-Foret a déjà vu dans son cabinet des personnes qui refusaient de quitter un conjoint violent, parce qu’elles pensaient ne pas « pouvoir vivre seules », et qu’en couple il y avait au moins « une présence » auprès d’elles. Pourtant, elles n’avaient jamais vécu l’expérience de vivre seules. Parfois également, des personnes n’ayant pas réussi à apprivoiser leur solitude se confortent dans l’idée que cette situation ne leur convient pas.

La peur de la solitude est présente dans la culture humaine. Blaise Pascal le rappelait : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». La peur de la solitude est aussi celle d’être confronté à la vulnérabilité et à la mort, comme le souligne Pascal en développant sa célèbre pensée du « divertissement » : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser ».

S’il est légitime de chercher à créer des liens et de nourrir ses amitiés, comme nous le verrons plus en détail, il est important de ne pas le faire dans une logique utilitariste, l’autre étant un « pansement » contre la solitude. De fait, pour fuir celle-ci, les tentations sont multiples, et plus ou moins conscientes : surcharger son agenda d’activités et de rencontres, se trouver toujours en groupe, être amoureux en permanence, enchaîner les grossesses, fumer ou manger compulsivement – ou boire excessivement -, ou encore, dans un phénomène croissant, avoir toujours un écran avec soi.

Un terme a même été créé pour désigner la peur excessive d’être séparé de son téléphone portable – la nomophobie. Il y a quelques décennies, on pouvait meubler sa solitude à la maison en allumant la radio ou la télévision, mais à présent, l’écran peut nous suivre jusque dans notre poche de manteau. « Que nous soyons en panne de voiture ou en détresse affective, avec notre téléphone portable en main nous trouverons presque toujours – en théorie – un autre pour nous répondre », souligne Monique Castelain Foret.

Le numérique reste un outil précieux pour échanger, notamment avec des personnes éloignées géographiquement, mais la communication se fera toujours in absentia - en l’absence de la personne. De plus, on sait que sur les réseaux sociaux notamment, la notion de partage reste assez pauvre : « L’information donnée à un grand nombre d’amis n’apporte souvent en réponse à l’émetteur qu’un écho standardisé réduit à une icône produite par un clic plus ou moins automatique », décrit l’auteur de Précieuse solitude.

Bref, nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que le numérique ne comble pas la solitude : « Est-on moins seul quand on n’a jamais son corps ancré quelque part et sa tête toujours entre réel et virtuel ? » Une surconsommation d’écrans révèle en creux une insatisfaction dans nos vies, que la pratique de la gratitude peut contribuer à atténuer.

Là est le nœud du problème, et la béance du mystère de la solitude : pourquoi ne sommes-nous pas comblés ? Pourquoi sommes-nous seuls et vulnérables ? La solitude est en effet ontologique, elle est liée intrinsèquement à notre humanité. Même quelqu’un qui aura fait en sorte de ne pas vivre seul - passant de sa famille à une pension, une colocation, sa vie de personne mariée, de parent... -, ne peut éluder cette réalité.

Depuis que le cordon ombilical qui le reliait à sa mère a été coupé – et même in utero, l’enfant a une forme d’autonomie puisque son sang ne se mélange pas à celui de sa mère –, l’être humain est seul. Parfois, la fusion psychique entre la mère et l’enfant, qui persiste environ une année après la naissance, pourrait représenter une complétude que la personne chercherait à reproduire – en vain - dans sa vie. Cependant, l’exacte vérité de l’autre ne nous sera jamais accessible, pas davantage que la nôtre...

« Tu étais plus intime que l’intime de moi-même », dit saint Augustin en s’adressant à Dieu dans ses Confessions. Dieu : voici Celui qui est la clef de notre solitude. Étant notre Créateur, lui seul peut nous combler entièrement. « Il y a dans le cœur de l’homme un vide en forme de Dieu », souligne Blaise Pascal. Cependant, la grâce s’appuyant sur la nature, elle agira d’autant mieux que nos besoins physiques et psychiques sont pris en compte.

On ne peut pas dire : « Allez, je vais prier toute la journée dans une grotte, je n’ai besoin de rien, Dieu va me combler ! » Sauf miracle ou réel mysticisme, une personne humaine a besoin de manger et de dormir, mais également besoin d’être en sécurité, d’être respectée et aimée, et d’aimer. Plus ces besoins fondamentaux seront comblés, plus la personne pourra facilement vivre à son tour la communion avec l’autre et avec Dieu – on perçoit la conscience de tous ces besoins chez les missionnaires qui construisaient des hôpitaux et des écoles, et pas seulement des églises.

Nous savons bien ce que Dieu a dit lors de la Création : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Genèse 2, 18). L’être humain est fait pour la communion ! Il a besoin qu’on lui parle, qu’on le touche, qu’on prenne soin de lui – les bébés prématurés incarnent la nécessité de ces besoins aussi vitaux que la nourriture ou le sommeil. De fait, la solitude nourrit peu le besoin de contact physique. Pourtant, comme le souligne la psychothérapeute américaine Virginia Satir : « Nous avons besoin de quatre câlins par jour pour survivre. Nous en avons besoin de huit pour fonctionner. Et de douze pour croître. » Aller se faire masser peut être une bonne façon de vivre les bienfaits du toucher.

Les personnes qui souffrent de leur solitude témoignent : c’est l’absence d’interlocuteur, de vis-à-vis à qui raconter sa journée le soir, qui leur pèse particulièrement. Nous avons besoin du regard de l’autre pour nous construire. Plus, « c’est dans la rencontre et les échanges que notre visage s’éclaire, change, prend des expressions différentes », souligne Monique Castelain Foret.

Elle cite un passage de Vendredi ou les limbes du Pacifique, roman de Michel Tournier, inspiré de Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Échoué sur une île déserte, Robinson constate une évolution particulière de sa physionomie : « Aucun changement notable n’avait altéré ses traits et pourtant il se reconnut à peine. Un seul mot se présenté à son esprit : défiguré (...) Il comprit que notre visage est cette partie de notre chair que modèle et remodèle, réchauffe et anime sans cesse la présence de nos semblables. (...) En vérité, il y avait quelque chose de gelé dans son visage et il aurait fallu de longues et joyeuses retrouvailles avec les siens pour provoquer un dégel. »

De fait, le regard et le soutien d’autrui sont vitaux, même quand on est seul physiquement. C’est ce dont témoignent certains navigateurs en mer. Dans un chapitre nommé « Solitaire mais pas seul » de son livre Au sud la mer est blanche..., le navigateur Roland Jourdain affirme : « Si être seul, c’est ne compter pour personne, le défi solitaire est d’abord celui d’une foule embarquée. Des milliers d’heures de travail en conception, réalisation, essais en tout genre sont embarquées avec moi. Chaque centimètre du bateau me ramène à des visages. »

L’environnement a en effet un rôle particulier pour une personne qui vit seule ; d’où l’importance de faire de chez soi un endroit ressourçant, où les photos des proches ont une place (lire sur ce thème p. 15-16 du numéro de Zélie n°49).

Finalement, la solitude est-elle une amie ou une ennemie ? Elle est une ennemie si elle est absence de regard valorisant et de communication. Mais même lorsqu’elle est subie, par exemple dans le célibat non choisi ou le veuvage, la solitude peut être apprivoisée pour être peu à peu accueillie. Cela peut être justement l’occasion de s’interroger sur ses besoins profonds. Prendre des temps, courts ou début, puis un peu plus longs, où on se promène, on lit, on fabrique quelque chose ou on fait une activité ressourçante, permet d’apprendre à vivre avec soi et de goûter peu à peu les bénéfices de la solitude.

Car celle-ci est parfois indispensable pour laisser notre imagination ou notre créativité se développer. On entend certains se plaindre de leur difficultés à se concentrer au bureau, car ils sont sans cesse interrompus. Scientifiques, artistes et écrivains ont souvent eu besoin d’être seuls pour laisser émerger leurs idées. Certaines personnes se ressourcent en groupe, mais d’autres, plus introverties, ont besoin d’être seules régulièrement. Il est important que leur entourage le sache pour prendre en compte ce besoin, et respecte la personne qui a besoin de se retirer dans sa « grotte » ou de sortir se promener quelques minutes ou quelques heures.

Seul, on s’autorise aussi à faire plus de choses – comme danser, pleurer ou crier -, sans crainte du regard d’autrui. Et l’on se découvre des capacités qu’on n’aurait pas osé développer lorsque quelqu’un pouvait les faire à notre place. Bref, la solitude peut être une occasion de croissance.

Au niveau spirituel, la tradition de l’Église montre que la solitude est souvent nécessaire au dialogue intime avec Dieu. C’est au désert que Dieu s’adresse à nous : « Je lui parlerai cœur à cœur » (Osée 2, 16).

A l’inverse, « tout péché grave éloigne de l’amoureuse présence de Dieu et plonge le pécheur dans une solitude spirituelle profonde ce que traduit l’expression biblique : « Caïn se retira loin de la face du Seigneur » (Genèse 4, 16) » affirme le Frère Bernard-Marie, tertiaire franciscain et docteur en théologie, dans La solitude, une épreuve et une grâce (Mame). D’ailleurs, l’éloignement volontaire, total et définitif de l’amour divin a un nom : l’enfer.

La Bible n’ignore donc pas les deux versants de la solitude : ressourcement ou souffrance, avec ou sans Dieu. Jésus lui-même vit ces deux réalités. Après son baptême dans le Jourdain, il se retire quarante jours au désert, où le diable vient le tenter. Puis, « voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient » (Matthieu 4, 11). Avant de choisir ses douze apôtres, « Jésus sortit dans la montagne pour prier, et il passa toute la nuit à prier Dieu. » La solitude pour discerner, lors d’une retraite par exemple, reste une tradition de l’église. Jésus vit aussi le terrible sentiment d’abandon à Gethsémani, alors que ses disciples se sont endormis : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » (Luc 22, 42).

Le monachisme (de monos, « seul » en grec) incarne cet appel à vivre « seul avec Dieu », dans une solitude choisie pour le Royaume. Les Pères du désert qui ont initié cet état de vie - à l’instar de saint Antoine du Désert - s’inspirent de la parole de Jésus : « Quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » (Matthieu 6, 6) Toutefois, même les ermites – qui existent encore aujourd’hui, comme au sein de l’ordre des Chartreux fondé par saint Bruno –, vivent dans la solitude et le dépouillement mais restent reliés à l’Église et au monde. L’ermite du IVe siècle Evagre le Pontique l’affirme : « Le vrai spirituel est à la fois séparé de tous et uni à tous ».

La solitude unie à Dieu n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Elle demande de la confiance et de la persévérance, même quand on ne ressent plus de manière sensible la présence de Dieu. Lire les Évangiles, prononcer des prières jaculatoires – « Je t’aime, Seigneur, ma force », par exemple – ou communier à l’Eucharistie permettent de rester uni au Christ.

Si, pour nous en ce moment, la solitude est une ennemie, essayons de ne pas la fuir absolument mais d’essayer de mieux l’habiter, en prenant des temps plus ou moins longs pour l’apprivoiser et en faire une amie, qui nous permet de faire silence, de chanter, de respirer, d’être dans la gratitude... et de louer Dieu, en attendant le Ciel où « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28) ! Solange Pinilla

Combattre l’isolement à la Maison des familles

Lancées par des diocèses, les Maisons des familles permettent d’ouvrir un espace de parole et d’accompagnement pour des personnes qui peuvent se sentir seules et fragilisées, notamment au sein du couple et de la famille, mais aussi en tant que célibataires. Ainsi à la Maison des familles de Lyon, on trouve des propositions pour les mamans solos, les enfants de parents séparés, les mères d’enfants handicapés, les couples confrontés à l’infertilité, les adolescents, les parents ayant vécu un deuil périnatal, les personnes séparées de leur conjoint ou encore les célibataires qui souffrent de leur solitude. La Maison des familles de Lyon comporte même un restaurant tenu par les Apprentis d’Auteuil. Plusieurs Maisons des familles sont en projet en France.

Un ermitage paroissial en Bretagne

Tout le monde n’a pas la vocation d’ermite, mais toute personne peut avoir besoin de solitude pour prier, lire ou écrire, une heure ou plusieurs jours. Ouverte en décembre 2018 à l’initiative de la Fraternité paroissiale Notre-Dame-du-Désert, cette tiny house (micro-maison) écologique propose un lieu de solitude pour prier, au milieu de la nature, à Bruz au sud de Rennes. Il comporte un oratoire, une cuisine, une salle d’eau et une chambre. Des livres et des cartes postales sont à disposition, ainsi que des itinéraires de randonnée. Un accompagnement spirituel est possible. L’ermitage Notre-Dame-du-Désert est ouvert à toute personne – il suffit de réserver son créneau en ligne ou par téléphone –, la participation aux frais est libre.

Crédit photo : Felipe CespedesPexels.com CC

Vermeer/Wikimedia commons CC

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