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Blanche, mère endeuillée


Dans un lumineux témoignage paru aux éditions Emmanuel, « Éclats de vie », Blanche Streb raconte sa maternité, qui ressemble à combat. Mariée avec Arnaud, la jeune femme est docteur en pharmacie. Après la naissance de leur premier enfant, elle apprend qu’elle a été l’objet d’une erreur médicale, qui a abîmé et obstrué son utérus.

Leur deuxième enfant, Marie, miraculeusement conçu, décède in utero à cinq mois de grossesse. Nous publions ci-dessous des extraits du livre qui racontent son chemin de deuil, en commençant par ce jour funeste. Mais la vie continuera, avec surprises et espérance... Extraits choisis.

Silence

« Ce matin, c’est un homme sage-femme qui s’occupe de moi. Je le supplie lui aussi de vérifier les battements du cœur de mon bébé. J’ai tellement peur qu’elle souffre. Visiblement énervé, il accepte, et allume son appareil avec froideur et rapidité.

L’écran s’allume. Il pose sa sonde. Il n’y a plus rien, me dit-il. Le cœur s’est arrêté. Il essuie mon ventre, remballe sa machine et quitte la pièce.

C’est donc ça, un décès in utero ?

Un cœur qui s’arrête de battre, à l’insu de tout le monde, sans crier gare, sans prévenir. Même moi, ta maman, je ne sais pas quand cet instant est arrivé. Tu es partie, Marie, et je n’ai rien senti. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Je n’ai rien pu faire pour te retenir. Quel genre de maman suis-je ? Je n’ai pas deviné que tu mourais. Dans l’horloge de ton cœur, l’aiguille s’est arrêtée, et je n’ai pas entendu son dernier mouvement. Je ne t’ai pas aidée. Je ne t’ai pas aimée plus fort. Comment est-ce possible ? Pardon, Marie, pardon, mon bébé. Pardon, pardon, pardon...

Tu es morte, mon enfant, comment vais-je continuer à vivre ?

Je laisse passer une mousson de larmes, puis je prends mon téléphone.

– C’est fini, Arnaud. Notre bébé est parti. Son petit cœur ne bat plus.

Silence.

Il y a des silences qu’il ne faut pas essayer de combler. (...) »

À-Dieu

« Même si c’est dur au-delà des mots, prendre ce temps, regarder notre petit bébé et le tenir dans nos bras nous semble essentiel, pour comprendre l’incompréhensible et accepter l’inacceptable. Ne pas la voir, ne pas affronter notre rencontre, je crois que cela nous aurait fait encore plus de mal. Je ne veux pas passer toute ma vie à lui inventer un visage. Je la vois. Je la regarde. Je n’aurai aucun besoin de désespérer à me l’imaginer. La réalité me semble plus tolérable qu’un monde imaginaire peuplé de fantômes, où tout est à réinventer chaque jour. Cette étape, nous allons la vivre pleinement, avec un tout petit peu de courage et beaucoup de foi. En nos cœurs résonnent déjà la confiance et l’espérance. (...) »

Mal de mère

« Comment se lever quand chaque matin tu es morte ?

J’ai mal de tout cet amour que je ne pourrai pas te donner, que j’avais déjà préparé au fond de moi, je reste avec ça, ce poids, cette douleur, cet amour dont tu n’as plus besoin.

La vie a-t-elle encore un sens? Est-ce que tout ne sonne pas faux, la douche du matin, le repas de midi, le bruit de la rue et même celui de ma vie, tout sonne faux car tu étais, et tu n’es plus. (...) »

(Sur)vivre mon deuil

« Cette nuit, je comprends enfin que ce deuil est le mien. Je n’en veux pas, mais il est là.

Une part ne relève que de moi, quel que soit le précieux soutien de tous les miens.

Personne ne vit ce que je vis. C’est mon gouffre, ma souffrance. Les autres ont leurs épreuves, peut-être pires, qui sont parfois inconcevables pour moi. Et malgré la compassion, la peine ou la pitié que cela fait naître en moi, et mon désir d’aider, je ne peux pas les vivre à leur place.

De même, personne ne vivra à ma place ce que je dois vivre.

Prendre cette épreuve à bras le cœur. L’accepter. La surmonter ?

Ça semble infini.

Et si ça ne finissait jamais ?

Faire son deuil. Avant d’en traverser un si violent, j’utilisais cette expression. Maintenant, je ne la comprends plus.

Faire ? Je sais faire une quiche, faire la sieste, faire la gueule, faire la fête, mais faire mon deuil, ça, non, je ne sais pas...

D’abord « survivre » mon deuil. Car là, je meurs de cette souffrance qui me transperce, imprègne tout mon corps, et révèle qu’en nous tout est lié : corps, âme, esprit, vie !

Et après ?

Vivre mon deuil. Vivre avec mon deuil. (...) »

Pardon d’avance

« Pourquoi les autres ont toujours tout faux ?! La semaine dernière, cette copine qui m’a tout de suite demandé si je pensais avoir d’autres enfants. Mince, ma vie ne se résume quand même pas qu’à la maternité ?! Et avant-hier, ce crétin de bjkbkjbkjhliuh qui balance entre la poire et le fromage : « C’est bon, vous avez tourné la page ? » Et l’autre jour, encore cette andouille de bmkmlnzjhdéhzb qui me dit : « Oh la la, comme tu as l’air en forme » alors que je suis belle comme un cimetière sous la grêle. Ils sont nuls. Tous. Nuls. (...)

Et si avant chaque rencontre, visite, appel, je donnais un « pardon d’avance » dans mon cœur à celui qui m’approche ?

Je verrais alors tout le bien qu’on me souhaite, et comme on m’aime.

Une porte s’ouvre dans ma tête. Une paix inattendue. (...) »

Odette Toulemonde

« Ces quelques jours autour de la Toussaint me torturent, et à chaque heure qui s’écoule, je revis en pensée les événements de l’an dernier. Je m’épuise à faire comme si de rien n’était alors que je ne pense qu’à ça. Pourquoi personne ne m’en parle ? Pour ne pas ouvrir les plaies ? Car c’est déjà du passé ? Alors, c’est chape de plomb et silences polis ? Mais moi, j’en crève ! Ce passé est plus que présent et plus qu’imparfait, mes plaies sont béantes et je veux juste qu’on pleure avec moi ! Quelques SMS de proches me consolent. Non, tout le monde n’a pas oublié. Tu n’es pas seule. Immense consolation que ces simples mots : Je pense à toi. (...) » Extraits choisis par Solange Pinilla


Crédit photo © Paul-Augustin Frécon

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