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La tristesse, une étape nécessaire


Devoir renoncer à un projet rêvé, perdre un bijou auquel on tenait ou encore voir s’éteindre l’un de ses proches : pour toute perte, un vide se crée. L’émotion de tristesse va permettre d’apprendre à vivre avec cette perte.

Comme les autres émotions naturelles - la colère, la joie et la peur -, la tristesse est « une réponse physiologique à une stimulation», selon la psychologue Isabelle Filliozat, dans Que se passe-t-il en moi ? Mieux vivre ses émotions au quotidien (Marabout Poche). La tristesse répond à une perte, qu’il s’agisse d’un être cher, d’un espoir, d’un lieu, d’un organe, de sa santé ou encore d’un objet.

La tristesse est associée à des sensations assez ténues : légère accélération du rythme cardiaque, très faible augmentation de la température de la peau, baisse de tonus, serrement au niveau de la poitrine, crispation des membres, et, plus visibles, les pleurs.

En tant qu’émotion, la tristesse a pour fonction de réguler l’état interne de l’organisme pour maintenir son intégrité. En effet, après une perte, la personne sent un vide en elle. On le voit bien dans le cas d’un deuil : après le choc, le déni, la révolte et la négociation, il va falloir accepter l’inacceptable.

La tristesse va faire un travail de réparation. Isabelle Filliozat utilise la métaphore du tissu troué : le tissu de la relation ou des souvenirs a besoin d’être raccommodé. En regardant chaque trou causé par la perte, des images reviennent et des larmes coulent. La tristesse permet d’ourler les contours et d’« arrêter les fils pour que le tissu ne se défasse pas ».

A l’instar des autres émotions, la tristesse se déploie en trois temps : charge, tension, décharge. On a la gorge qui pique, la poitrine qui se serre... Les sanglots libèrent la tension, et l’on se sent souvent mieux après avoir versé des larmes. « Chaque image a besoin d’être pleurée pour que le trou soit refermé. Une fois tout le tissu recousu, l’autre est parti, mais il fait à jamais partie de nous. Nous avons intégré tout ce qu’il nous a apporté. »

La tristesse est donc « un passage transitoire préparant à une nouvelle situation », pour Christel Petitcollin, dans Emotions, mode d’emploi (Jouvence éditions). Elle propose l’image de la tristesse comme « l’embrayage qui nous permet de changer de régime sans casser le moteur ».

Par ailleurs, être triste ne suppose pas forcément regretter une situation. « On peut être triste que quelque chose se termine sans pour autant souhaiter que tout recommence comme avant. » Peut-être étions-nous tristes en finissant une année scolaire, sans pour autant désirer la revivre de bout en bout !

Étant donné le rôle de la tristesse, on perçoit alors l’importance des rituels de deuil, aujourd’hui réduits ; rares sont les personnes en Europe qui s’habillent en noir plusieurs semaines après la mort d’un proche. Porter le deuil permet de voir sa tristesse reconnue par les autres. Les pleureuses, dans certaines cultures, ont pour mission d’extérioriser le chagrin de façon visible.

On a parfois tendance à nier la tristesse après une perte : « Change-toi les idées », « Ce n’était qu’un chat, après tout », ou encore « Tu auras un autre enfant » après une fausse couche. Le deuil peut prendre du temps. Il se dit qu’après la mort d’un proche, le deuil nécessite entre 6 mois et un an environ – parfois davantage.

Chacun peut s’interroger : quelle est la place de la tristesse dans ma famille, dans mon lieu de travail ? Suis-je autorisé à pleurer ? Est-on moqué quand on verse des larmes ? Cela est variable d’un lieu à l’autre. Est-ce que je m’autorise moi-même à pleurer et à être réconforté, ou ai-je l’impression de montrer une forme de faiblesse ?

A l’inverse, une tristesse qui est écoutée, accompagnée – par exemple en rappelant les souvenirs liés au défunt –, consolée sans être niée, trouve son apaisement et accomplit son rôle de réparation. Après cette nécessaire période de repli sur soi, la personne est ensuite davantage prête à rire, partager, rendre grâce et aimer.

Est-il normal d’être tout le temps triste ? On ne parle alors plus de la tristesse comme émotion, qui dure en général quelques minutes, mais plutôt d’un sentiment, qui est « un état affectif complexe, combinaison d’éléments émotifs et imaginatifs, plus ou moins clair, stable, qui persiste en l’absence de tout stimulus » (Dictionnaire Larousse de la psychologie).

Contrairement à l’émotion extériorisée qui libère, le sentiment, quand il s’exprime, se renforce. « Pour se libérer d’un sentiment douloureux, il est nécessaire de démêler les nœuds émotionnels et de décoder les affects sous-jacents » affirme Isabelle Filliozat. Il faut donc reprendre contact avec sa peur, sa colère ou encore sa tristesse, autant d’émotions souvent contenues par le couvercle de l’angoisse.

La dépression comprend souvent un sentiment de tristesse diffuse. Cependant, c’est une maladie et un sujet à part entière, qui ne doit pas être confondu avec la déprime passagère. Il est courant d’être de temps en temps un peu las, fatigué et en manque de lumière. Il s’agit aussi parfois d’émotions élastiques qui s’expriment, comme à l’occasion de l’anniversaire d’un décès ou d’un événement douloureux.

Quant à la dépression d’origine psychique, Isabelle Filliozat la compare à une bulle d’air bloquée par un rocher au fond de l’océan. à l’occasion d’un événement ou d’un nouveau courant, le rocher bouge et laisse la bulle remonter à la surface : celle-ci est faite d’émotions refoulées. « La dépression nous oblige à aller guérir au fond de nous les trous occasionnés par les blessures, les béances laissées par les manques. » Et peut-être à pleurer ce qui n’a pas encore été pleuré.

Quel rôle joue la tristesse au niveau spirituel ? On compte plusieurs moments dans les évangiles où Jésus a pleuré. Après la mort de son ami Lazare : « Quand Jésus vit que Marie [de Béthanie] pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus fut bouleversé et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : Seigneur, viens, et vois. » Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » » (1) Le Christ est affligé de voir les autres souffrir, et il pleure avec nous. Il montre qu’être affecté avec ceux qui pleurent et compatir avec eux est une façon d’aimer. Il exprime aussi sa tristesse devant la mort.

Jésus pleure sur Jérusalem et ses péchés : « Lorsque Jésus fut près de Jérusalem, voyant la ville, il pleura sur elle, en disant : « Ah ! si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui donne la paix. » » (2)

Lors de son agonie à Gethsémani, le Christ dit à Pierre, Jacques et Jean : « Mon âme est triste à mourir. Restez ici et veillez. » (3). Il exprime son besoin d’être entouré dans ce moment de lutte intérieure.

Montrant sa tristesse face au mal, au péché et à la mort, Jésus met en évidence l’abîme que constitue la rupture avec l’amour du Créateur, depuis le péché originel. C’est aussi cette perte que souligne la célèbre phrase de Léon Bloy : « Il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints ».

Pourtant, le Christ vient nous accompagner dans nos tristesses, et nous promettre qu’elle n’est qu’un passage : « Vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie ». (4) C’est notre espérance chrétienne. Et c’est l’une des dernières phrases de la Bible : « Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur ». (5) Solange Pinilla

(1) Jean 11, 33-36. (2) Luc 19, 41-42. (3) Marc 14, 34. (4) Jean 16, 20. (5) Apocalypse 21, 4.

Lire le reste de Zélie n°39 - Mars 2019


Crédit photo Duong Nhân/Pexels License

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