Agression : prévenir et se défendre
Que ce soit dans l’espace public ou privé, plus de 595 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles en France chaque année (1). Edouard Réhel, instructeur de krav-maga et professeur de judo et de ju-jitsu, donne des cours de « self-défense au féminin » depuis six ans à l’association Jeanne d’Arc à Saint-Malo. Voici ses conseils de prudence pour anticiper une situation d’agression, se défendre et gagner en confiance en soi. Certes, ce thème n'est pas très réjouissant en soi, mais il peut nous sauver la vie !
Zélie : Comment éviter les situations à risque ?
Edouard Réhel : L’affrontement avec l’agresseur n’intervient que lorsque l’anticipation et la négociation verbale ont échoué. L’anticipation passe par la prise de conscience de l’environnement, sans être ni paranoïaque, ni naïve. Il s’agit d’être attentive visuellement et auditivement. Mieux vaut donc éviter d'utiliser des écouteurs dans la rue.
Que l’on soit en train de faire de la course à pied, de marcher dans la rue, de se trouver dans un espace public, au travail ou au domicile, il faut faire confiance à son ressenti. Contrairement aux animaux en vigilance quant à leur survie, nous, êtres humains, nous sommes souvent déconnectés de notre instinct primaire. Nous nous convainquons que certaines sensations de malaise ou de danger ne sont pas fiables ! Si l’on ressent de la gêne vis-à-vis de quelqu’un, mieux vaut écouter sa « petite voix » et s’éloigner, changer de trottoir... Au risque de se tromper, mais cela, on ne le saura jamais.
Que faire si l’on s’aperçoit que quelqu’un nous suit ?
On peut se retourner, en tâtant ses poches et en faisant semblant de chercher quelque chose, tout en balayant largement du regard devant soi. Si on aperçoit quelqu’un qui nous rend mal à l’aise, on peut traverser la rue, voire faire demi-tour et repartir dans l’autre sens, pour voir si la personne nous suit. Mieux vaut éviter de rentrer directement chez soi ou à son lieu de travail. On peut entrer dans un commerce, chez quelqu’un ou encore appeler le 17.
Quelles mesures adopter pour anticiper le danger d’agression ?
Quand on part courir, il est bon de prévenir quelqu'un en lui précisant la durée et l’itinéraire, et lui dire à la fin qu’on est rentré. S’abstenir de faire toujours le même circuit de course permet d’éviter les agressions programmées. à éviter également : retirer de l’argent ou faire son plein d’essence seule la nuit ; prendre des raccourcis dans des rues mal éclairées ; fouiller longuement dans son sac pour chercher ses clefs de voiture dans un lieu isolé : mieux vaut partir vers sa voiture avec ses clefs en main. Eviter si possible de se garer dans un parking souterrain et préférer se garer en marche arrière pour pouvoir partir rapidement.
Se munir d’un sifflet est une bonne idée, pour faire du bruit et alerter, ce qui va à contresens de l’agresseur potentiel qui veut éviter l’alerte. En soirée, ne pas accepter le verre de quelqu’un qu’on ne connaît pas, et ne pas aller aux toilettes toute seule.
Concernant sa posture, sachant que l’agresseur repère une « proie » potentielle en quelques secondes, mieux vaut ne pas avoir la tête rentrée dans les épaules et le sac serré contre soi, mais privilégier une démarche alerte et attentive à son environnement. Pour prévenir le vol à l’arrachée, on peut mettre son sac entre soi et le mur, et éviter de tenir à la main son téléphone côté rue.
Toutes ces mesures peuvent sembler un peu « paranoïaques », mais en réalité on pense trop souvent que cette situation n’arrive qu’aux autres, ou dans d’autres lieux que là où l’on est...
Si malgré tout une personne nous arrête, comment répondre verbalement ?
Si l’on s’arrête, on devient davantage une cible. La seule personne qui a le droit de nous stopper est un policier ou un gendarme. Un agresseur potentiel peut demander une pièce, une cigarette ou un numéro de téléphone. Si la personne devient insistante, il ne faut pas partir dans la surenchère verbale ni l’injurier.
La réponse verbale sera différente en fonction de l’insistance de la personne. D’un : « Non, je n’ai rien », suivi d’un déplacement pour pouvoir partir, on passera à : « Qu’est ce que vous voulez ? Laissez moi tranquille ! Reculez ! », que l’on criera le plus fort possible. Les mains ouvertes et les bras quasiment tendus devant soi permettent de mettre une distance entre l’agresseur et soi, et d’avoir un langage non verbal clair : « Stop ». Crier permet de respirer et d’alerter l’environnement alentour. Même si les gens n’interviennent pas, ils vont regarder dans notre direction, ce qui risque d’incommoder l’agresseur et peut-être de le faire fuir.
En revanche, si l’on est menacée par une arme blanche, mieux vaut obtempérer et donner sa carte bleue ou son téléphone, que l’on pourra bloquer : c’est moins important que son intégrité physique.
Et si la négociation ne suffit pas ?
Si c’est trop tard, si l’on est contraint de rester sur place, l’objectif n’est pas d’entrer dans un conflit physique, mais de se dégager avant de fuir le plus rapidement possible. Si l’on est attrapé par le poignet, par les cheveux ou à bras-le-corps, il faut tenter de se dégager en ajoutant une frappe si possible. On peut frapper rapidement dans des zones non protégées : les yeux, les oreilles, le nez, la gorge, le tibia ou encore les parties génitales. Frapper dans une partie du corps où il y a un muscle ne sera pas efficace.
En même temps que la riposte, on peut répéter en criant : « Lâchez-moi, lâchez-moi ! » Cela permet de faire du bruit pour alerter, mais aussi de respirer. En effet, en situation de stress, on passe de 70 battements de cœur par minute à 180 ou 200 battements, ou même davantage. On se retrouve parfois dans l’impossibilité de bouger, de crier ou de respirer. Crier permet de respirer ; et plus on va crier, plus on va taper fort. Les frappes vont créer une réaction chez l’autre, un déséquilibre qui va lui faire relâcher la pression ; cela va permettre de repousser l’agresseur.
On privilégie une action simple, rapide et efficace, et non pas de « belles figures » techniques, car 5 secondes peuvent faire la différence. En pareille situation, le cerveau ne peut que nous restituer des gestes simples, des gestes réflexes, que l’on appelle les « gestes de l’enfant » : donner un coup de pied, griffer, mordre... L’objectif reste de se dégager, de rentrer rapidement chez soi et de porter plainte.
Parmi les femmes que vous accompagnez lors de vos cours de self-défense, avez-vous vu certaines augmenter leur confiance en elles ?
Je ne me sens pas légitime pour les interroger sur leurs motivations. Certaines viennent pour l’aspect sportif, car nous faisons aussi du renforcement musculaire et du cardio. D’autres viennent s’assurer ou se réassurer, suite à un vécu d’agression ou de maltraitance, dans le milieu professionnel ou personnel. Je vois des attitudes changer, j’entends : « J’ai repris confiance en moi », « Je suis plus à l’aise dans la rue », « J’ai acquis des automatismes et des réflexes », « Je sais repérer des signaux et m’éloigner, faire confiance à un frisson, à ma petite voix : « Je ne sens pas cette personne » ».
Autre conseil : les réseaux sociaux et sites de rencontres peuvent aussi être des viviers pour des « prédateurs ». Si l’on donne rendez-vous à un inconnu, mieux vaut choisir une zone avec beaucoup de monde alentour, voire demander à une amie de rester dans le coin.
Bien sûr, il ne faut pas s’empêcher de vivre et de sortir ! Sans être non plus être dans la naïveté ou l’hyper-confiance. Propos recueillis par Solange Pinilla
(1) Femmes de 18 à 75 ans, chiffre moyen entre 2011 et 2017. Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité », Interstats (Insee-ONDRP-SSMSI).
Sur 1 102 000 victimes de violences physiques ou sexuelles, 54% sont des femmes.
Pour lire le reste de Zélie n°38 (Février 2019)
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