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Écouter ses peurs


Cœur qui bat à cent à l’heure, chair de poule, ventre qui se noue, jambes qui tremblent... La peur survient face à un danger réel ou imaginaire. Plutôt que de la refouler, mieux vaut l’écouter pour identifier son besoin et surmonter son angoisse.

« Ne t’inquiète pas », « N’aie pas peur », « Tu n’as rien à craindre » sont rarement des phrases qui rassurent. Socialement mal acceptée, l’émotion naturelle qu’est la peur a tendance a être niée ou culpabilisée, ce qui provoque la honte. L’idéal du chevalier « sans peur et sans reproche », selon lequel montrer son inquiétude serait une faiblesse, perdure.

Concernant les garçons notamment, « ils débranchent le signal d’alarme servant à signaler le danger, pour ne plus ressentir leur peur, cette émotion si peu virile, affirme Christel Petitcollin dans Emotions mode d’emploi (Jouvence éditions). Les statistiques parlent d’elles-mêmes : le plus grand nombre de morts accidentelles se trouve chez les garçons de 15 à 25 ans. Dans mes séminaires sur la gestion des émotions, les hommes me le confirment souvent : ils ont ignoré la peur jusqu’à 25 ans, l’ont redécouverte en fondant un foyer, mais uniquement pour conserver un père et un mari à leur famille et ils n’ont vraiment commencé à la ressentir pour eux-mêmes qu’autour de 40 ans. »

Bref, mieux vaut ne pas en arriver à regarder un film d’horreur – ou les enfants à se déguiser pour Halloween - pour s’autoriser à éprouver de la peur. Même Jésus n’a pas refoulé sa peur, notamment aux prémices de sa Passion, à Gethsémani : « Il commença à ressentir tristesse et angoisse. » (Matthieu 26, 37) Dans un article, « De la peur mal-aimée à la crainte si aimable », le Père Pascal Ide affirme que Jésus a ainsi assumé et sauvé la peur.

La peur informe d’un besoin d’être protégé ou aidé ; elle signale qu’il faut être prudent. Il existe, en simplifiant, deux types de peurs. Le première survient quand « la situation présente un danger objectif et la peur nous invite à mettre en place notre protection », selon Christel Petitcollin. Par exemple, devant un feu, un pompier ne va pas partir sans casque ni équipement de protection ; ce serait de l’inconscience. La peur est comme une pédale de frein qui permet d’anticiper les virages dangereux.

Parfois au contraire, le danger est tellement imminent que la peur n’est plus utile et la personne enclenche des mécanismes de survie ; c’est ce que l’on appelle le « sang-froid ».

La seconde catégorie de peur se présente lorsque « la situation est une nouveauté et dans ce cas, la peur indique que nous sommes insuffisamment préparés pour l’affronter et que nous devons mieux nous informer ou nous entraîner ». Quand on commence un nouveau travail, ou qu’on se demande si le jour de son mariage va bien se passer, il est normal de ressentir de l’appréhension. Le meilleur moyen pour se rassurer concernant l’inconnu est de se renseigner au maximum sur ce qui nous attend et de l’imaginer de façon positive.

Mais il existe aussi une troisième sorte de peur : la peur irrationnelle. à force d’avoir été incité à nier ses peurs depuis l’enfance – « Mais non, n’aie pas peur » –, tout en ayant souvent entendu « Attention, tu vas tomber ! », les peurs se sont accumulées et sont devenues inhibantes. Elles altèrent également l’estime de soi. « Retournez-vous sur les années écoulées et faites l’inventaire de tout ce que la peur vous a empêché de faire, invite Christel Petitcollin. Impressionnant, hein ! » On peut aussi penser, dans l’évangile de saint Matthieu, à l’homme de la parabole des talents qui, ayant peur, est allé caché son unique talent dans la terre.

Les peurs peuvent aussi être « élastiques », quand elles s’expriment de manière disproportionnée par rapport à la situation présente. Elles entrent en résonance avec des souvenirs, un peu comme si un élastique était accroché sur un clou planté dans notre passé et que l’élastique tiré amplifiait la douleur. Comment ne pas penser aux peurs intérieures que sont celle d’être abandonné et celle de ne pas être accepté ou aimé ?

Comment surmonter toutes ces peurs qui, il faut l’avouer, ne sont pas très agréables, Christel Petitcollin conseille de départager les peurs rationnelles et les peurs irrationnelles, grâce à un petit test. D’abord, « Quel est le pire du pire qui puisse m’arriver dans cette situation ? » ; puis « Ce pire est-il objectivement probable ? » Si la peur est rationnelle et indique un vrai danger objectif, mieux vaut prendre les mesures utiles pour être protégé, renseigné et préparé. Par exemple, si l’on a peur d’une opération chirurgicale délicate à venir, discuter avec les soignants et avec des personnes ayant déjà vécu cette expérience permettent de se préparer psychiquement et matériellement.

Si la peur est irrationnelle, on peut essayer de prendre conscience de son côté souvent absurde : « Si j’ai cinq minutes de retard, mon patron va me virer. » On peut également imaginer la suite des événements que l’on craint, selon Christel Petitcollin : « Quelle histoire raconte ma peur ? Comment commence le scénario ? Sur quelle conclusion s’écrit le mot « fin » ? » Une fois que l’on a visualisé son film d’horreur, on peut choisir de se libérer de la peur qu’il procure en le modifiant : par exemple, au lieu de voir de terribles cambrioleurs s’introduire de nuit chez soi, on peut se visualiser en train de déclencher une alarme personnelle et de les voir fuir en courant.

Autre solution : plutôt que voir le film de sa peur, imaginer le film de son désir de sécurité. On peut se regarder tranquillement chez soi, dormant dans son lit douillet et faisant de beaux rêves, bien à l’abri de quelconques voleurs. En effet, la peur et le désir sont les deux faces d’une même réalité : si l’on a très peur de mourir, c’est que l’on a très envie de vivre ; si l’on a très peur de la rupture, c’est que l’on a très envie que la relation dure...

A l’instar des enfants, on peut verbaliser sa peur, la dessiner ou l’écrire, permettant de prendre conscience que « Je ne suis pas ma peur » et ainsi de l’accueillir à sa juste mesure. Il est également possible de soigner les peurs irrationnelles liées au passé, par la psychothérapie et certaines ressources efficaces (EMDR, Tipi, EFT...).

Au niveau spirituel, la crainte est l’un des sept dons du Saint-Esprit. Il s’agit bien sûr non de la peur de Dieu, mais de la crainte de pécher, d’offenser Dieu et ainsi de se tromper de bonheur. Plus généralement, le terme de « crainte de Dieu » exprime « le sens de la grandeur de Dieu, souligne un texte de la Conférence des évêques de France. La conscience de l’infinie distance entre le Tout-Autre et nous, ses créatures. Ce don suscite une attitude d’humilité et d’émerveillement. » En effet, « la crainte grandit quand la charité grandit » affirme saint Thomas d’Aquin. De la même façon, on craint de faire de la peine à quelqu’un, ou qu’il lui arrive quelque chose, tout simplement parce qu’on l’aime.

A l’inverse, on peut avoir peur de l’abandon à la volonté et à l’amour de Dieu. D’où les célèbres paroles de saint Jean-Paul II lors de sa messe d’intronisation en 1978 : « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! Le Christ sait « ce qu’il y a dans l’homme » ! Et lui seul le sait ! » En fait, le conseil « N’ayez pas peur » est évoqué des centaines de fois dans les écritures : « Ne crains pas : je suis avec toi ; ne sois pas troublé : je suis ton Dieu. » (Isaïe 41, 10). Et plus tard dans la bouche du Christ, quand celui-ci marche sur l’eau : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » (Matthieu 14, 27), avant que Pierre, effrayé, doute et s’enfonce.

Les martyrs de la foi montrent un calme étonnant face à la mort : leur confiance en Dieu et leur joie de leur entrée imminente au Ciel désamorcent leur peur. Demander le don de la crainte d’offenser Dieu peut faire l’objet d’une confiante prière. Solange Pinilla

Crédit photo Free-Photos/Pixabay.com s CC


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