Inès, jeune mariée engagée
Inès, 32 ans, est mariée avec Nicolas depuis quatre ans. Ils habitent Toulon. Dans le quartier de La Beaucaire où ils vivent, ils terminent une mission de trois ans comme responsables d’antenne pour l’association Le Rocher-Oasis des cités ; celle-ci propose à ses volontaires de vivre au cœur de quartiers urbains sensibles où ils mettent en place des actions éducatives, sociales et culturelles avec les habitants. Cet engagement donne une saveur particulière à leur vie de couple.
Comment avez-vous rencontré votre mari ?
Ce fut un « coup de regard-coup de foudre » en silence en se croisant à une soirée d’adoration. Mais la rencontre a surtout eu lieu à un week-end organisé par une amie en commun pour faire rencontrer tous ses amis les plus proches. A ce week-end là, je suis tombée amoureuse de Nicolas et réciproquement !
Nicolas devait partir quelques semaines après pour l’étranger. Avant son départ, nous nous sommes confié nos sentiments bien que nous ne nous connaissions que très peu et que, par conséquence, nos sentiments n’étaient pas encore très fondés. Nous avons donc décidé de nous voir tous les deux en toute amitié de nombreuses fois sans en avoir parlé à nos proches. Nicolas n’a dû finalement partir que bien plus tard ; des liens forts se sont tissés avant que notre histoire d’amour commence très simplement…
Quel a été votre cheminement personnel vers le mariage ?
Notre début d’histoire d’amour a été pour nous comme évidente… Puis, il a fallu que je reconnaisse ma peur de l’engagement, que je me fasse confiance, que j’écoute et comprenne davantage mon cœur : je ne m’étais pas imaginée tomber amoureuse d’un homme comme Nicolas et pourtant c’était avec lui que je me sentais si apaisée, si comprise. Au fond, tout était limpide et clair, mais pendant les fiançailles, j’ai eu le besoin de me poser beaucoup de questions pour faire le tour de mon « oui », d’autant que notre discernement s’est fait dans un contexte particulier !
Entre la rencontre et le mariage, en 3 ans, nous avons vécu un an de séparation géographique, le décès de ma chère maman, une opération chirurgicale délicate du cerveau de Nicolas, mon changement de travail et un retour de questions sur la vocation religieuse : est-ce que je pouvais continuer à aimer Jésus tout en aimant un homme ? Et si oui, comment ?
Pour m’éclairer sur cette dernière question, j’ai rencontré des religieuses et, grâce à notre père spirituel, des couples chrétiens avec des profils très variés : cela nous a libéré d’un certain nombre de clichés que nous avions l’un et l’autre, et nous a permis de vraiment nous poser la question du couple nous voulions être. A ce moment-là, j’ai été guérie de ma peur de l’engagement : le mariage serait alors le début de notre aventure à deux ; tout dépendrait toujours de nos choix ; on ne devait pas rentrer dans un moule ; c’était l’aventure d’un oui qui en ouvrirait sur beaucoup d’autres !
Je suis très heureuse aujourd’hui d’avoir pris ce temps-là et cette énergie-là pour trouver mes réponses, je sais d’où vient mon « oui », j’ai pu le fonder petit à petit…
Selon vous, quelles sont les joies et les défis de la vocation au mariage ?
Nous n’avons que 4 ans de mariage, nous avons encore tout à apprendre, et j’espère découvrir tout au long de notre histoire beaucoup d’autres joies et beaucoup d’autres défis.
Selon moi, l’une des grandes joies du mariage serait de découvrir de plus en plus comment rendre l’autre heureux ! Une autre joie serait de se rendre compte de notre spécificité de couple, de l’aventure que l’on veut vivre ensemble et surtout comment on veut la mener, où se laisser embarquer…
L’un des grands défis serait sans doute, de continuer à se conquérir et à se séduire au quotidien comme aux premiers temps de notre histoire, avec les mêmes papillons dans le ventre ! Nourrir le quotidien comme si chaque journée était unique avec un petit truc spécial qui croustille…
Un autre défi serait de comprendre comment fonctionner ensemble : si quelque chose ne marche pas comme on l’aimerait, cela ne tient pas nécessairement à l’un ou à l’autre, mais souvent à la manière dont interagit l’un avec l’autre et dont on se comprend. Ce serait de ne pas enfermer l’autre ou soi-même dans une case, de s’étonner de l’autre et de soi, de se questionner, de se regarder sous un autre angle… Et pour cela, de prendre le temps d’arrêter le temps au moins de temps en temps !
Comment situez-vous votre engagement en quartier sensible avec le Rocher par rapport à votre vocation conjugale ?
Partir en mission ensemble, c’est travailler ensemble ! Le début de notre mission au Rocher nous a fait réfléchir sur le rôle de chacun, d’autant plus que nous étions mariés depuis un an seulement. Dans le quartier où nous habitons, l’association du Rocher est un repère pour les familles qui en font partie. De ce fait, elles attendaient donc de nous d’être des repères en tant qu’homme et en tant que femme et dans notre complémentarité. Grâce à elles, nous nous sommes laissés bousculer, Nicolas est devenu entre autres plus entreprenant et moi, je pense avoir grandi en simplicité.
S’engager au Rocher en couple, c’est assumer une forte identité chrétienne au sein d’un quartier à majorité musulmane. C’est donc accepter d’être regardé comme un couple chrétien, d’être interrogé sur notre foi, notre parcours et cela pousse à une exigence, à une cohérence de vie. Notre foi ne peut être que l’affaire de notre prière ; elle doit nécessairement être l’affaire de notre vie.
Nous repensons souvent à la phrase de Nietzsche où il dit qu’il croirait s’il voyait les chrétiens avec des têtes de ressuscités. Nous prions chaque jour pour que notre joie et notre paix grandissent, et que seuls nos comportements soient témoins de notre foi. Je pense que cela nourrit notre idéal de vie commun. Cela nous rapproche, nous émoustille, c’est un si grand défi ! A chaque fois que nous en voyons ne serait-ce qu’un tout petit fruit, vous n’imaginez pas combien cela nous rapproche, et nous met dans un sentiment de gratitude.
Nous mettre au service d’un quartier, c’est très vite éprouver nos limites et nos incapacités ; nous nous remettons sans cesse en cause pour que nos paroles, gestes et actions soient compris des habitants du quartier de qui nous sommes si différents.
Avec ces rencontres si multiples, si variées, on découvre des pans entiers de l’autre ! Il n’y a pas de faux-semblant dans un quartier ; ce qui touche c’est l’authenticité, les habitants sentent la sincérité des personnes avec une sensibilité hors du commun. En 3 ans de mission, nous avons beaucoup découvert sur l’un et l’autre ; nous étions souvent bousculés, poussés à nous laisser découvrir, à faire tomber nos nombreux petits masques…
On ne voit que très peu de couples dans le quartier. Nous mesurons ici combien c’est exceptionnel d’avoir pu se choisir, de se faire confiance, de se pardonner… On mesure combien notre amour est un cadeau du ciel, qu’il est entre nos mains, qu’il est précieux et combien il est fragile, qu’on doit lui accorder toute notre attention… Nous avons un grand désir de revenir quand nous serons retraités et que nous aurons bien plus avancé dans notre vie de mariés et que nous pourrons témoigner de ce qui nous a permis d’avancer à travers nos tempêtes.
La mission auprès des volontaires nous a fait grandir dans notre paternité et maternité, paradoxalement alors même que nous souffrons de ne pas avoir encore d’enfants.
Il n’est pas facile de prendre du temps pour soi, tranquillement… Mais alors, quand on y arrive, on savoure intensément. Ici, pas de routine, il y a une vraie intensité de vie ! • Propos recueillis par Solange Pinilla
Article paru dans Zélie n°30 (Mai 2018)
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