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Sur le chemin de la maturité affective


De nombreux adultes ont des comportements inadaptés ou toxiques parce qu’ils n’ont pas acquis une véritable maturité affective. Celle-ci permet de vivre de façon à la fois autonome et ouverte aux autres ; elle se construit dès la petite enfance grâce à l’amour, à la sécurité et à l’éducation.

« Nous sommes corps-âme-esprit : notre croissance s’effectue sur ces trois plans, mais selon des modes différents et une chronologie propre » affirment Bernadette Lemoine, psychologue, et Inès Pélissié du Rausas, docteur en philosophie, dans un chapitre éclairant du livre Personnalités toxiques : faire face, prévenir, éduquer (Editions des Béatitudes).

En effet, si le corps se développe depuis la conception jusqu’à l’âge adulte, avec un palier de maturité entre 30 et 45 ans, et si la croissance spirituelle s’effectue selon un rythme propre à chacun, il en est différemment pour la maturation psychique. Il s’agit de développer l’intelligence, la volonté, l’imagination, la mémoire et l’affectivité, qui ont des rythmes de croissance différents. L’intelligence et la mémoire se développent surtout par l’éducation et les apprentissages à l’école ou ailleurs. Pour ce qui est de l’éducation de la volonté et de l’affectivité, « les parents en sont très prioritairement responsables », selon Bernadette Lemoine et Inès Pélissié du Rausas.

La maturité affective concerne la capacité à aimer. Elle se construit dès la vie intra-utérine, dans laquelle le bébé a une vive conscience de l’amour. Cette première étape est celle de la symbiose entre la mère et l’enfant. « L’amour de la maman pour son enfant permet à celui-ci de se sentir exister, être. Il n’est pas « néant » s’il se sent aimé » affirment les auteurs.

La naissance est la première séparation – physique mais pas encore psychique – d’avec la mère. Le bébé reste en fusion avec celle-ci, pendant au moins la première année, ce qui le maintient dans la confiance. Peu à peu, à partir des fameuses « angoisses de séparation » qui commencent autour de 9 mois, et jusqu’à l’âge de 2-3 ans, l’enfant prend pleinement conscience du fait qu’il est une autre personne que sa mère – d’où la « phase d’opposition » pour valider qu’il n’est pas elle.

Jusqu’à l’âge de 7 ans, l’enfant poursuit le défusionnement psychique : « Il se tourne davantage vers son père, puis, grâce à lui et avec son aide, vers l’extérieur » – même si le rôle du père est bien sûr important depuis le début.

Si l’enfant a besoin d’un « bon » narcissisme, qui lui permet de constituer son identité personnelle, il doit donc apprendre peu à peu à renoncer à sa position de toute-puissance par rapport aux autres.

Il apprend à entrer dans des relations d’amour et à prendre sa juste place dans le monde, comme le soulignent Bernadette Lemoine et Inès Pélissié du Rausas : « Ni dans l’isolement et le refus de la dépendance d’amour qui se traduit par « Moi, tout seul » ; ni dans une relation fusionnelle qui l’empêche de devenir lui-même et d’acquérir son identité propre – et nous sommes alors dans le « Moi, jamais seul » qui se rencontre souvent. Les personnes fusionnelles réclament toujours la présence d’une autre personne, de préférence connue, car elles ne supportent ni la solitude ni la perte de leurs points de repère habituels ; elles demandent sans cesse à être accompagnées, aidées, assistées, comme si elles n’étaient pas capables de vivre seules. »

Pour éviter de rester bloqué dans une immaturité affective, il faut que l’enfant ait avec ses parents une relation de confiance qui le sécurise. Comme le montre la théorie de l’attachement et les études qui y sont liées, ce lien confiant se manifeste par une peine de courte durée lors de la séparation d’avec les parents, et une joie manifeste quand il les retrouve.

L’attachement sécurisé donne à l’enfant estime de soi et confiance en soi, et lui permet ainsi de s’ouvrir aux autres. à l’inverse, « quand une séparation intervient, sans préparation, trop précoce, trop longue pour l’âge de l’enfant ou traumatisante par elle-même, l’enfant se croit abandonné et vit cette séparation comme une rupture du lien d’amour et de confiance » souligne Bernadette Lemoine, qui a consacré un livre à se sujet : Maman, ne me quitte pas ! (éditions Saint-Paul).

Parler à l'enfant avant une séparation, lui dire qu’on va revenir et le rassurer, dès les premiers mois de sa vie, est donc important pour son développement affectif – tout comme le fait, autant que possible, de ne pas laisser volontairement pleurer son bébé, comme l’ont mis en évidence les neurosciences.

Un signe important de maturité est le sens du réel, qui comporte son lot de frustrations et de pertes. Cette éducation à la frustration doit donc être accompagnée, non pas bien sûr par des punitions humiliantes ou violentes, mais par l’empathie et la verbalisation. Apprendre à respecter les règles de politesse et avoir le sens de l’effort s’expérimentent dans la vie quotidienne. Dans leur livre, Bernadette Lemoine et Inès Pélissé du Rausas affirment qu’à partir de 3-4 ans, on peut apprendre à l’enfant cette loi de vie : « On peut être heureux, même si on n’a pas tout ce qui nous fait envie, même si on ne fait pas tout ce qu’on a envie de faire, même si on doit attendre pour avoir/faire... »

Elles citent cet exemple vécu : Gaspard, 4 ans, voit un superbe camion de pompier au rayon jouet et le dépose dans le caddie de sa grand-mère. « Celle-ci lui dit : « Gaspard, j’ai bien compris que ce beau camion te fait envie, mais je n’ai pas l’intention de l’acheter et je vais le remettre... Je te rappelle que l’on peut être heureux même quand on n’a pas ce qui nous fait envie. » Gaspard, en colère, se roule par terre. Mais plus tard, après les courses, alors que le petit garçon s’intéresse à un pigeon, la grand-mère, le voyant détendu, lui dit : « Es-tu heureux, Gaspard ? » « Oui ! » « Pourtant, tu n’as pas eu le camion que tu désirais tant. Tu vois : tu peux être heureux, même si tu n’as pas ce que tu désires ! »

Assurer à son enfant une sécurité affective mais non fusionnelle, tout comme lui apprendre patiemment à choisir et donc aussi à renoncer, l’aideront à savoir exercer sa liberté pour aimer en actes et en vérité. Solange Pinilla

Article paru dans Zélie n°28 (Mars 2018)

Crédit photo (c) detailblick-foto/Adobe Stock

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